Le psychologue américain Albert Bandura, a publié en décembre 2015, à l'âge de 90 ans, un livre intitulé «
Moral Disengagement : How People Do Harm and Live with Themselves »
(1) dans lequel il expose sa théorie du désengagement moral qu'il développe depuis les années 1980.
Bandura est considéré comme l'
un des psychologues les plus influents du XXe siècle. À la différence de ses nombreuses publications académiques, ce dernier livre est destiné à un large public.
Comment des gens, par ailleurs normalement prévenants et attentionnés, font des choses cruelles et vivent encore en paix avec eux-mêmes ?
Se basant sur sa théorie de l'
agentivité, Bandura expose les mécanismes psychologiques par lesquels les gens désengagent sélectivement leur « auto-sanction morale » faisant normalement partie de leurs processus d'autorégulation.
Ces mécanismes sont les suivants :
- ils sanctifient leur comportement dommageable comme servant des causes louables, comme étant mieux que certains comportements des autres... ;
- ils se déchargent du blâme pour le préjudice qu'ils causent en déplaçant et en diffusant la responsabilité ;
- ils minimisent ou nient les effets néfastes de leurs actions ;
- ils déshumanisent ceux qu'ils maltraitent ;
- ils blâment leurs victimes en attribuant leurs malheurs à leurs défauts et leurs défaillances.
La plupart des théories de la moralité sont presque exclusivement centrées sur le niveau individuel. « "La théorie de Bandura étend le désengagement moral au niveau des systèmes sociaux à travers lesquels des inhumanités sont commises, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives" », indique la présentation de l'éditeur.
Le livre analyse, à la lumière de ce modèle, le désengagement moral impliqué dans plusieurs problèmes sociaux contemporains : peine de mort, crise financière de 2008, déni du réchauffement climatique, terrorisme, comportements de grandes industries...
Dans certaines industries, note l'auteur, le climat social de désengagement moral facilite la production de produits dangereux (tels que les cigarettes) et de résidus chimiques toxiques (dont le plomb, le chlorure de vinyle, la silice et la poussière de charbon) qui représentent des menaces importantes pour la santé et le bien-être.
Son objectif, écrit-il, n'est pas d'excuser ou de tolérer les conduites analysées, mais plutôt d'utiliser les connaissances scientifiques pour informer les efforts pour « "prévenir et contrer la suspension de la morale dans la perpétration d'inhumanités" ».
Notes :(1) Littéralement : « Désengagement moral : Comment les gens font du tort et vivent avec eux-mêmes ».
Commentaire : La théorie du désengagement moral ne nous permet-elle pas de comprendre un peu mieux la notion de folie contagieuse ? Les comportements pathologiques pour ainsi dire « viraux » ne s'expliquent-ils pas un peu plus facilement ?
Si le désengagement moral est un moyen de ne pas faire face à ses responsabilités en court-circuitant toute culpabilité, qu'il est basé sur un code de conduite imposé, ou facile à apprendre et ne s'appuyant qu'en partie sur la réalité objective, on comprend bien qu'une nation, un peuple ou un groupe n'a pas besoin d'être composé à 100 % d'authentiques psychopathes, loin de là, pour être tout à fait nuisible aux gens normaux. Quelques-uns suffisent à donner une direction, une impulsion, un ordre, dans un cadre social, certes perverti, mais qui possède une capacité de fonctionnement efficient. Ce cadre fonctionnerait et perdurerait ainsi grâce à la multitude des petits rouages qui le composent, "nourris au désengagement" et qui ont troqué, eux, les "ressentis" de leur conscience contre un avantage ou un confort quelconque.
Et il est fort possible qu'une conscience ainsi amputée ne sache faire face aux défis de l'existence qu'en adoptant un comportement accordant une importance toujours plus grande au déni, à la soumission ou à la domination. Propageant ainsi, en elle-même, par la répétition d'attitudes sans conscience, et à l'extérieur, par l'"idéal" qu'elle représente, ce modèle d'une "folie normalisée", à suivre ou à revendiquer.
Dans sa thèse universitaire, H. Xu écrit aussi :
Les personnalités antisociales, qui se caractérisent par l'insensibilité et le manque de remords et d'empathie (par ex. Blair et al, 2006 ; Frick & Morris, 2004 ; Frick & White, 2008), sont considérées comme l'expression complète de cette stratégie (Mealy, 1995; Raine, 1993). L'intelligence, le charme superficiel et le manque d'émotions prosociales (comme l'empathie, la sympathie, la honte et la culpabilité permettent aux psychopathes de manipuler et profiter des autres sans être harcelés par la culpabilité (par ex. Raine, 1993). Le narcissisme est un autre type de personnalité qui se caractérise par des sentiments de supériorité et de conviction que tout leur est dû (Emmons, 1984; Raskin & Terry, 1988). Il est en corrélation positive avec la déculpabilisation. En particulier lorsque l'ego a été menacé ou froissé, les personnes narcissiques se vengent rapidement (Bushman et al, 2003 ; Campbell et al, 2004 ; McCullough et al, 2003). Comme Baumeister (1997) l'a observé, la culpabilité implique la réciprocité qui est rarement reconnue en présence d'un ego énorme.
Les variables idéologiques spécifiques prédisent également bien la déculpabilisation intergroupe. Par exemple, les justifications de la discrimination, qui est causée par la menace symbolique, se produisent lorsque la méritocratie (par ex. la discrimination contre l'incompétence, Vala, Lima, et Lopes, 2004) plutôt que l'égalitarisme (par ex. l'égalité, la justice sociale et la lutte contre la discrimination, Moskowitz et al., 1999) est saillante (Pereira, Vala, & Leyens, 2009). Il a été démontré que les idéalistes évitent les sentiments de culpabilité en se convaincant qu'ils luttent contre le mal (Baumeister, 1997). D'autres exemples sont l'autoritarisme de droite (RWA, Right-Wing Authoritarianism, Altemeyer & Hunsberger, 1992) et l'orientation à la dominance sociale (SDO, Social Dominance Orientation, Pratto et al, 1994). L'autoritarisme de droite combine la soumission anxieuse aux autorités considérées comme légitimes et bien établies (la soumission autoritaire), l'agressivité contre les déviants (l'agressivité autoritaire), et le conventionnalisme (Altemeyer, 1998 ; Stone, Lederer, et Christie, 1993). L'orientation vers la dominance sociale est un ensemble d'attitudes et de croyances générales favorisant la préférence pour les relations intergroupes hiérarchiques (Pratto et al, 1994). La SDO est entraînée par la conception du monde comme une jungle concurrentielle dans laquelle seuls les individus les plus adaptatifs survivent (par ex. Duckitt et al., 2002).
Directement lié au sujet :
Commentaire : La théorie du désengagement moral ne nous permet-elle pas de comprendre un peu mieux la notion de folie contagieuse ? Les comportements pathologiques pour ainsi dire « viraux » ne s'expliquent-ils pas un peu plus facilement ?
Si le désengagement moral est un moyen de ne pas faire face à ses responsabilités en court-circuitant toute culpabilité, qu'il est basé sur un code de conduite imposé, ou facile à apprendre et ne s'appuyant qu'en partie sur la réalité objective, on comprend bien qu'une nation, un peuple ou un groupe n'a pas besoin d'être composé à 100 % d'authentiques psychopathes, loin de là, pour être tout à fait nuisible aux gens normaux. Quelques-uns suffisent à donner une direction, une impulsion, un ordre, dans un cadre social, certes perverti, mais qui possède une capacité de fonctionnement efficient. Ce cadre fonctionnerait et perdurerait ainsi grâce à la multitude des petits rouages qui le composent, "nourris au désengagement" et qui ont troqué, eux, les "ressentis" de leur conscience contre un avantage ou un confort quelconque.
Et il est fort possible qu'une conscience ainsi amputée ne sache faire face aux défis de l'existence qu'en adoptant un comportement accordant une importance toujours plus grande au déni, à la soumission ou à la domination. Propageant ainsi, en elle-même, par la répétition d'attitudes sans conscience, et à l'extérieur, par l'"idéal" qu'elle représente, ce modèle d'une "folie normalisée", à suivre ou à revendiquer.
Dans sa thèse universitaire, H. Xu écrit aussi : Directement lié au sujet :