brexit
© AFP 2016/ Carl Court
Alors que le référendum du Brexit approche, seule la dissolution de l'Union européenne permettra d'améliorer les relations entre les pays européens et celles entre les pays européens et la Russie, estime l'historien John Laughland.

Le premier ministre britannique, David Cameron ; son ministre de la défense, Michael Fallon ; son ministre des affaires étrangères, Phillip Hammond ; l'ancien champion mondial des échecs, Garry Kasparov ; et l'ancien directeur de communication de Tony Blair, Alistair Campbell, ont tous affirmé, au cours de la campagne pour le référendum sur le maintien ou la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, que le seul dirigeant mondial qui se réjouirait du Brexit serait Vladimir Poutine.

Cette unanimité est en contraste flagrant avec le silence que le président russe a en réalité observé sur la question du Brexit, un silence qui lui-même contraste avec le manque de retenu du président américain, Barack Obama ; du président du FMI, Christine Lagarde ; du premier ministre irlandais, Enda Kenny ; du premier ministre japonais, Shinzo Abe ; et du président du Conseil européen, Donald Tusk. Tous ces dirigeants se sont très clairement ingérés dans le débat britannique, faisant ouvertement campagne en faveur de l'UE et encourageant - ou menaçant - les électeurs au Royaume-Uni de voter pour le statut quo.

Comme nous n'avons pas d'éléments de preuve de ce qu'on pense du Brexit au Kremlin - pour la simple raison que les dirigeants russes ne sont pas exprimés sur le sujet, auquel ils n'ont d'ailleurs peut-être pas prêté beaucoup d'attention - les affirmations du contraire proposées par le camp pro-européen relèvent de la plus pure spéculation. Certains commentateurs pro-russes se sont empressés de montrer qu'il n'en est rien. Mais la réalité indéniable est que tout affaiblissement des structures bruxelloises ne peut que favoriser, dans le long terme, une meilleure entente entre, d'une part, les pays européens et, d'autre part, la Russie, et par conséquent une vraie unité trans-européenne.

Depuis plusieurs années, en effet, ce sont précisément les structures européennes qui représentent le plus grand obstacle à l'unité paneuropéenne.D'abord pour des raisons de pure idéologie: l'UE se considère comme un bloc ou, pour reprendre l'expression de l'ancien président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, comme «un empire». Comme tout empire, elle se sent menacée par tout empire potentiellement concurrent, dans la mesure où la concurrence menace le monopole du message universel dont tout empire a besoin pour se légitimer. Nous savons depuis que Hillary Clinton l'a dit quand elle était encore Secrétaire d'Etat que la création de l'Union eurasiatique est ressenti comme une menace dans les chancelleries occidentales, et que les Américains veulent tout faire pour mettre des bâtons dans les roues de la Russie, du Kazakhstan et des autres pays-membres de l'Union eurasiatique. C'était dans la perspective d'un tel "Grand Jeu" géopolitique, économique et idéologique de type impérial que l'UE a voulu faire rentrer de plus en plus de pays dans son giron avec le fameux Partenariat oriental. Lancé en 2008, celui-ci ne sera signé finalement qu'avec deux pays, la Géorgie et la Moldavie, mais son but était de réduire à zéro l'influence de la Russie en Europe orientale et dans le Caucase.

Ensuite parce que Bruxelles se livre depuis longtemps, et avec acharnement, à une véritable bataille de l'énergie contre la Russie dont elle veut se débarrasser comme fournisseur. A chaque proposition russe de construire de nouveaux gazoducs pour alimenter le marché européen, Bruxelles concocte une contre-proposition qui souvent n'aboutit à rien, comme cela était le cas pour le projet Nabucco. Les règlements européens interdisant qu'un fournisseur de gaz puisse aussi être propriétaire de gazoducs ont ainsi entraîné l'abandon du gazoduc South Stream par la Russie en 2014. Ces deux éléments, l'aspect impérialiste de l'UE et sa politique énergétique, se sont rencontrés en Ukraine, pays de transit du gaz par excellence, et pays tiré entre l'Est et l'Ouest, provoquant ainsi la guerre civile dans cet Etat malheureux. Jusqu'à ce que la crise ukrainienne n'empoisonne aussi les rapports bilatéraux qui ont pu exister entre, par exemple, la Russie et l'Allemagne ou la Russie et l'Italie, ces derniers pouvaient être bien plus fructueux que les rapports entre Bruxelles et Moscou.

Le dégoût que Vladimir Poutine éprouve pour la construction européenne était patent bien avant la crise en Ukraine. Il est de notoriété qu'il a dit à plusieurs reprises, y compris au club Valdai en 2013 mais aussi plus récemment, que l'Europe a tort de se couper de ses racines historiques, nationales et religieuses. Or, s'il est vrai que ce post-modernisme politique est cultivé dans plusieurs pays européens au niveau national, il l'est surtout au niveau européen, où les notions mêmes d'histoire, de nation et de religion sont catégoriquement rejetées. L'histoire parce que, selon la vulgate européiste, ce n'est qu'avec la création des structures européennes que l'Europe a pu tourner le dos à son passé sanglant; la nation parce que c'est elle qui porte la guerre comme le nuage la tempête, pour citer le chancelier Kohl; et la religion car l'UE se veut non seulement post-nationale mais aussi post-chrétienne, comme en témoigne son engouement pour la perspective d'une adhésion de la Turquie musulmane, à laquelle on va d'ailleurs bientôt accorder un régime sans visas.

Née au début de la guerre froide, l'Union européenne ne peut pas se réformer pour tendre la main à la Russie. Elle n'a aucun intérêt à le faire. Un ennemi extérieur comme la Russie donne une raison d'être factice à ses élites qui sont à la recherche d'une légitimité qu'elles ne pourraient jamais obtenir par leurs propres mérites. Voilà les raisons pour lesquelles il faut dire avec clarté et même véhémence: la grande Europe des patries ne verra le jour que si l'Union européenne est dissoute. Et ceux qui reprochent à Vladimir Poutine de vouloir saboter l'UE sont ceux qui précisément ne veulent pas d'une telle unité pan-européenne. Ils veulent au contraire les Etats Unis d'Europe - c'est-à-dire l'Europe des Etats Unis.