Commentaire : Un article ou l'on apprend finalement qu'un dialogue a eu lieu entre l'avion et le contrôle aérien égyptien peu avant le crash. Vu qu'il s'agit d'un avion civil, l'échange était sûrement sans aucun encodage et forcement capté par les services de renseignements des autres pays. Qu'y a-t-il à cacher ?


Les causes de la catastrophe aérienne, qui a fait 66 morts dont 15 Français dans la nuit du 19 au 20 mai, restent mystérieuses. Enquête marquée par la très grande discrétion de l'Egypte.

Marine
© AFP/Marine Nationale/Alexandre GroyerAu large de l’Egypte, le 22 mai. La priorité des militaires français envoyés sur la zone de recherches est de retrouver les boîtes noires de l’appareil.
Deux semaines après la disparition en mer du vol MS 804 et alors que le signal d'une des boîtes noires a été détecté mercredi, les questions demeurent plus nombreuses que les certitudes. S'il en est une, c'est bien que la communication des autorités égyptiennes est aussi opaque que les fumées détectées à plusieurs reprises par les systèmes de l'Airbus A320.

Une poignée de minutes avant que l'avion ne quitte les écrans radars, des messages automatiques Acars ont évoqué un début d'incendie. D'autres transmissions identiques, comme nous le révélions jeudi, avaient été émises à trois reprises dans les vingt-quatre heures précédant le crash.

Cinq messages de détection de fumée

A 0 h 26, le système Acars, qui sert à préparer la maintenance au sol de l'avion, communique à la compagnie une détection de fumée dans les toilettes avant. A 0 h 27, c'est dans la soute « avionique » que des fumées se diffuseraient. Ce compartiment, dans lequel un homme peine à se tenir debout, est à l'aplomb du cockpit. « On y accède par une trappe sous les pieds des pilotes, décrit un ingénieur avionique ayant travaillé sur A 320, notamment pour Air France. C'est là que se trouve le cerveau électronique de l'avion. » L'appareil, mis en service en 2003, avait, dans les vingt-quatre heures précédentes, effectué un aller-retour à Asmara (Erythrée), puis un à Tunis, avant de s'envoler pour Roissy où il était arrivé à 22 heures mercredi, pour repartir un peu plus d'une heure plus tard. Lors des précédents vols, trois alertes de détection de fumée ont donc déjà été transmises par l'Acars, sans que l'on en connaisse précisément la nature.

Black-out sur la maintenance

Comment ces données ont-elles été traitées ? C'est là une question cruciale. L'Acars est transmis à la fois aux serveurs de la compagnie et au poste de pilotage. Entre ses trois différents vols, l'équipage de l'avion a changé. « Une fois au sol, la procédure est standard, poursuit cet ingénieur. Le commandant note les dysfonctionnements. Les personnels examinent le carnet rouge pour la partie électronique, vert pour la mécanique. » Si rien n'est à signaler, « on ne pénètre pas dans la soute avionique », reprend le même. En revanche, « un message de détection de fumée conduit obligatoirement à de plus amples investigations ». Ont-elles été faites lors des précédentes escales ou à Roissy ? Rien ne l'atteste pour l'instant. « En tout cas, s'il n'est resté qu'une heure à Charles-de-Gaulle, c'est que l'on s'est contenté d'un examen visuel de l'appareil », évoque notre ingénieur, qui peine à comprendre l'enchaînement des faits. « En cas de signal de détection de fumée, même impromptu, on ne laisse pas repartir l'appareil comme ça, avance-t-il. D'autant que l'instrumentation de bord, dans la soute avionique, se change facilement. Il s'agit de sortes de boîtes que l'on enlève et remet en place. On ne va pas chercher dans les composants. »

La thèse de l'attentat s'éloigne

Un tel enchaînement de messages, sans la battre complètement en brèche, amenuise l'hypothèse d'un attentat qui, « de plus en plus, relèverait d'un scénario à la James Bond », estime ce proche du dossier. Les Acars ne livrent rien de l'origine des fumées. D'emblée, les autorités égyptiennes ont évoqué une piste terroriste, « plus probable que celle d'une défaillance ». Pourtant, rien n'est venu l'étayer, à commencer par une quelconque revendication. A l'inverse, l'histoire de l'aviation regorge de précédents incendies aux conséquences funestes. En 1980, 301 personnes étaient décédées dans l'embrasement d'un Lockheed de la compagnie Saudia, l'incendie ayant pris dans une soute. En 1998, c'est un probable court-circuit sur l'un des systèmes de divertissement (les écrans passagers) d'un McDonnell Douglas de Swissair qui entraîne la perte de l'avion et de ses 229 occupants. En 2007 encore, un Boeing 737 de China Airlines est ravagé par les flammes, sans qu'il y ait de victimes. Le feu peut tout aussi bien prendre dans des « torons », ces câbles utilisés dans l'aviation, que sur des bobines ou autres condensateurs. Si les toilettes d'A320 sont équipées d'extincteurs intégrés automatiques, « ce n'est à ma connaissance pas le cas pour la soute avionique, se remémore cet ingénieur. Il faut une intervention humaine, à l'aide d'extincteurs à main spécifiques à l'aviation ».

Une enquête à couteaux tirés

Comme l'avait révélé M 6, le capitaine du MS 804 a communiqué avec Le Caire au moment du drame. Qu'a-t-il dit ? Mystère. Au fil de ces deux dernières semaines, la communication erratique des autorités égyptiennes est venue grever un peu plus la faible confiance qu'avaient en elles les professionnels de l'aéronautique, notamment suite à l'enquête parcellaire menée dans le cadre du crash de la Flash Airlines, à Charm-el-Cheikh en 2004. « Avec les Egyptiens, ça cogne dur », confirme un enquêteur français. En théorie, de telles investigations reposent sur une « coopération sincère » entre les différents pays. On en est loin. « C'est l'Egypte qui dirige l'enquête. Et l'oriente, accuse cette même source. Tout nous laisse penser qu'ils veulent réécrire l'histoire. » Pour l'intéressé, la meilleure preuve en est ce silence radio observé sur la maintenance de l'appareil. « Le problème, c'est que le BEA est sous leur autorité, et qu'ils auront la main sur le rapport d'enquête final. » « Il a fallu trois jours pour que l'existence des messages Acars soit connue, note en écho François Nénin, journaliste spécialisé. Dans le même temps, l'Egypte a mis trois mois a reconnaître que l'avion de Metrojet, en octobre, avait bien été détruit par un attentat, que Daech avait revendiqué le jour même... »

L'inquiétude des familles

Ces doutes, les familles des victimes les partagent. « On ressent une inquiétude croissante de leur part quant à la réalité de la coopération franco-égyptienne », raconte Stéphane Gicquel, secrétaire général de la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs (Fenvac). L'association déplore que « les familles ne sont pas suffisamment informées des évolutions des investigations. C'est très difficile à vivre ». Autre source d'angoisse : l'identification des corps. « Les proches apprécieraient que l'Egypte envoie un signal fort, en sollicitant par exemple la coopération de l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale », relaie Stéphane Gicquel. Sans aller jusque-là, l'Egypte a fait appel à un prestataire spécialisé dans l'assistance post-catastrophe, Kenyon International. C'est cette même société qu'avait sollicitée Lufthansa après le crash de la Germanwings.