Une connaissance hors pair de l'Histoire lui permettait de saisir les ressorts secrets des événements.

de Gaulle
Hier, le 18 juin fut célébré comme toujours en termes les plus convenus. Prenons un angle plus inhabituel et louons une faculté particulièrement remarquable du Général, une lucidité souvent prophétique. On sait que le fameux « appel » procédait d'une fine analyse des forces dans le monde : l'Allemagne ne pouvait manquer d'attaquer un jour la Russie, comme le Japon, les États-Unis, de sorte que, comme il l'annonça dès le 25 juin 1940 à Maurice Schumann : « Cette guerre est une affaire terrible mais réglée, l'essentiel est pour nous d'y ramener non pas quelques Français, mais la France. » Prescience qui s'étendit d'ailleurs en tous domaines : la nécessité d'une politique industrielle, l'inévitable retour au régime des partis, la drogue de la dette... L'ouvrage récent de Gérard Bardy, De Gaulle avait raison (Éd. Télémaque), cite, par exemple, cette sortie dans un Conseil des ministres de 1963 : « Il y a eu 40.000 immigrants d'Algérie en avril. C'est presque égal au nombre de bébés nés en France pendant le même mois. J'aimerais qu'il naisse plus de bébés en France et qu'il y vienne moins d'étrangers. »

Il est un autre domaine où sa culture d'État le prédisposait à voir clair. Celui qui cita souvent le mot de Nietzsche « L'État est le plus froid des monstres froids. Il ment froidement » ne mit pas longtemps, après l'assassinat du président Kennedy, à faire pièce à la version du « tueur solitaire », et déclare à son ministre Peyrefitte, quatre jours après le drame : « La police a fait le coup, ou bien l'a fait faire, ou bien a laissé faire », hypothèse qu'il faudra des années et l'enquête du procureur Garrison pour étayer. « Ils se sont saisis de ce communiste (Oswald) qui n'en était pas un, tout en l'étant. C'est unminus habens et un exalté, c'était l'homme qui leur fallait [...] On ne saura jamais la vérité, car elle est trop terrible, trop explosive ; c'est un secret d'État. Ils feront tout pour le cacher. Sinon, il n'y aurait plus d'États-Unis » (C'était de Gaulle, T. 2)

Une connaissance hors pair de l'Histoire lui permettait de saisir les ressorts secrets des événements : songeait-il, à propos d'Oswald, à cet autre communiste, Lubbe, réputé avoir incendié le Reichstag alors qu'il ne fut qu'une commode marionnette manipulée par Göring, chose établie bien plus tard ? Il y a dans l'Histoire moins de fous qu'on ne dit, plus de manipulations qu'on ne croit, plus de complots qu'on n'ose le voir. Hélas, l'inculture de notre époque a pris pour habitude de rejeter sous l'opprobre de « culture du complot » les vérités secrètes et certes peu démocratiques de la realpolitik.

Il faut croire qu'il reste des traces de cette culture chez quelques gaullistes, tel François Asselineau déclarant le 9 juin que pourrait arriver en Grande-Bretagne, avant le référendum sur le Brexit, ce qui advint en 2003 en Suède quatre jours avant le référendum sur l'euro, lorsque le ministre des Affaires étrangères, Anna Lindh, porte-parole du OUI, fut assassinée par un « déséquilibré » d'origine serbe, Mijailović. Peu après, la prédiction d'Asselineau s'avérait. « Complotisme » ou lucidité ?