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Dans un livre qui sort aujourd'hui, le Dr Martin Winckler dénonce la violence de confrères. Exagéré ?

« Ce n'est quand même pas si compliqué de pousser ! » voilà ce que Maeva, 30 ans, s'est entendu dire alors qu'elle faisait tout ce qu'elle pouvait ! Six jours après la naissance de son premier bébé après dix heures de travail, cette professeur des écoles est encore sous le choc : « Quelle brutalité, soupire cette habitante des Yvelines. J'étais déjà en plein stress car on m'avait dit que mon bébé était en danger... » La petite Mila se porte bien. Mais sa maman n'oubliera pas de sitôt ces deux femmes médecins qui ont surgi, sans se présenter, en lui intimant d'ordre d'en finir « en quarante minutes » !

Cette histoire n'étonnerait guère Martin Winckler, l'auteur de « la Maladie de Sachs », parti vivre au Canada en 2008. « Les médecins maltraitants sont une plaie. Ils trahissent la confiance des patients tout en faisant beaucoup de mal à la Sécu avec des prescriptions inutiles », dénonce cet ex-généraliste, dont le livre au titre choc « les Brutes en blanc » sort aujourd'hui.

Exagéré ? Anticonfraternel ? « J'assume ! Trop souvent encore, des médecins, parce qu'ils estiment faire partie de l'élite, parce qu'ils n'ont jamais reçu en fac de cours d'éthique et de psychologie comportementale, pensent qu'ils ont tous les droits. Ils se sentent moralement supérieurs à ceux qu'ils soignent, explique l'écrivain. Le problème est que cela peut être très destructeur. Car, dans l'acte de soigner, le médecin est un remède en soi. Plus le médecin écoute, conseille, réconforte, meilleurs seront les résultats. » Et si l'attention manque pour le patient, c'est encore pire à l'égard de ses proches, comme Jamil, croisé hier à la sortie des urgences d'un hôpital parisien : « Cela fait deux heures que j'attends des nouvelles de ma marraine de 78 ans qui est tombée ce matin. Personne ne m'informe. »

Appels de détresse

Martin Winckler n'exerce plus depuis huit ans, pourtant, il reçoit encore chaque semaine des appels de détresse. « Il y a trois jours, une maman traumatisée m'a joint. Sa pédiatre avait décalotté, sans lui en demander la permission, le prépuce de son garçon alors qu'il est prouvé depuis 1968 que, médicalement parlant, c'est parfaitement inutile. Son enfant souffrait le martyre. Le médecin enfreint six articles du code de déontologie. » Martin Winckler a conseillé à cette mère de porter plainte au pénal pour coups et blessure. Il juge toutefois encourageants les témoignages rageurs sur Internet : « Ça bouge, c'est bien, vive les réseaux sociaux, vive les séries comme Dr House, Grey's Anatomy ou Urgences qui ont fait découvrir qu'un médecin, ce n'est ni un surhomme ni une surfemme, ça triche, ça ment, c'est vénal, bref, c'est comme tout le monde. »
OUI. « L'imagerie a remplacé l'écoute du malade »

Didier Sicard, président d'honneur du Comité consultatif national d'éthique
Professeur émérite à l'université Paris-Descartes, Didier Sicard porte, à 78 ans, un regard sans concession sur la médecine moderne.

L'humain a-t-il vraiment disparu de la relation médecins-patients ?

D.S. Pas complètement et heureusement ! Mais force est de constater que cette dimension a perdu beaucoup de terrain au fil des années. La faute d'abord au développement de la technologie, notamment la biologie et l'imagerie qui ont peu à peu remplacé l'écoute du malade, mais aussi à la dictature de l'économie. Comme l'examen d'un patient est un temps difficile à quantifier, on préfère raisonner en nombre d'actes médicaux pratiqués.

Le système est-il le seul en cause ?

Bien sûr que non. La société aussi a une part de responsabilité. Aujourd'hui, les patients attendent une réponse immédiate à leurs problèmes. Mais ils ne se fient plus à l'expertise ancestrale de la main du médecin, qui écoute un cœur ou palpe un ventre. Ils n'ont confiance qu'en une médecine technique, sophistiquée, basée sur l'acte médical au sens technique. La vérité du corps, pour eux, c'est devenue la vérité des appareils. Tout médecin qui ne prescrit pas d'examens est donc considéré comme un mauvais médecin.

Les patients peuvent-ils reprendre le pouvoir ?

Depuis la loi Kouchner de 2002, on assiste en effet à un partage croissant de la décision. Avec l'avènement d'Internet et des réseaux sociaux, les patients ont en effet le sentiment d'avoir acquis une expertise qui leur permet plus facilement de négocier. Je ne peux que me réjouir qu'ils s'impliquent davantage dans leur santé. Mais cela ne laisse pas forcément plus de place à l'humain. Les patients sont simplement plus écoutés dans leur demande d'examen.

Propos recueillis par Élodie Chermann
NON. « C'est le diagnostic qui est violent »

Dr Eric Henry, président du Syndicat des médecins libéraux (SML)
Généraliste à Auray (Morbihan), Eric Henry renvoie la responsabilité au système.

Les médecins sont-ils tous devenus « des brutes en blanc » ?

É.H. On ne peut pas dresser des généralités à partir de quelques témoignages ! Que des patients ne s'estiment pas bien suivis, c'est possible. Mais souvent, c'est le diagnostic qui est violent. Quand vous annoncez à quelqu'un qu'il a un cancer, le choc est tel que vous passez pour quelqu'un d'inhumain. Mais pour nous aussi, c'est inhumain. On ne choisit pas de faire médecine pour maltraiter les malades, mais pour essayer de les aider. Nous nous y engageons d'ailleurs à la fin de nos études lorsque nous prêtons le serment d'Hippocrate.

Les exemples cités reposent pourtant sur des histoires réelles...

Je ne les remets pas en cause. Mais est-ce toujours notre faute ? Peut-être faut-il aussi chercher l'explication dans la place que les patients eux-mêmes nous attribuent. Avant, il y avait quatre piliers : le maire, le curé, l'instituteur et le médecin. L'aura des trois premiers a totalement chuté et nous sommes obligés de jouer les voitures-balais. Quand les gens ne vont pas bien, c'est à nous qu'ils s'adressent. On est là 365 jours par an et ils nous croient increvables ! Sauf qu'avec le temps qu'on nous donne, on ne peut pas tout !

Selon vous, ce sont donc les conditions d'exercice qui sont devenues inhumaines...

En quelque sorte. Nous subissons à la fois une pression par le bas et par le haut. La Sécurité sociale, les mutuelles... On nous pousse à rentrer dans un modèle avec des objectifs à remplir. Chacun tente de résister comme il peut mais, face à ce système qui tente de nous broyer, on se retrouve souvent seul. Résultat : 50 % des soignants français pensent qu'ils vont faire au moins un burn-out dans leur carrière.

Propos recueillis par Élodie Chermann