mort bébé manchot empereur
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En dépit d'un mode de vie extrême, les manchots royaux (Aptenodytes patagonicus) semblent très peu sujets au stress oxydatif.

Pour comprendre l'origine de cette adaptation, des scientifiques du Laboratoire d'Ecologie des Hydrosystèmes Naturels Anthropisés (LEHNA, CNRS/Université Claude Bernard/ENTPE), du Laboratoire de Biométrie et Biologie Évolutive (LBBE, CNRS/Université Claude Bernard) et du Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon (CRNL, CNRS/Université Claude Bernard, INSERM, Université Jean Monnet) ont procédé à l'immersion répétée dans l'eau froide de jeunes manchots royaux afin de mimer la transition entre milieu terrestre et marin telle qu'elle se déroule dans la nature.

En comparant divers paramètres physiologiques, biochimiques et génétiques relevés chez ces derniers avec ceux obtenus pour de jeunes oiseaux naturellement adaptés au milieu marin, l'équipe a pu démontrer que les fortes capacités antioxydantes des manchots adultes ne sont pas innées mais le fruit de profonds ajustements métaboliques.

Ces travaux soutenus par l'Institut polaire français Paul Emile Victor (IPEV), le CNRS et l'Université de Lyon ont été publiés en juillet dernier dans Free Radical Biology and Medicine.

Ces dernières années, un chercheur suisse a émis l'hypothèse qu'un stress oxydatif modéré pouvait amplifier les réponses antioxydantes des cellules d'un organisme, permettant ainsi à ce dernier de surmonter plus facilement de futures atteintes oxydatives. C'est que qu'a voulu vérifier une équipe constituée de chercheurs du CNRS et de l'Université de Lyon chez le manchot royal. Parce qu'il enchaine plongées en apnée à grande profondeur et nage sur de longues distances dans les eaux froides de l'océan austral, cet oiseau marin est soumis à des conditions fortement pro-oxydantes. L'étonnante longévité du manchot royal -certains individus peuvent vivre près de 30 ans- suggère en outre l'existence de capacités antioxydantes hors du commun chez cette espèce.

Afin d'identifier les mécanismes physiologiques qui sous-tendent l'expression de telles aptitudes, les scientifiques se sont focalisés sur le passage en mer des oiseaux immatures, une étape clé de leur développement. Après une phase de croissance terrestre d'une année environ, les jeunes manchots royaux doivent en effet affronter les rigueurs de l'océan austral pour pouvoir se nourrir. "Cette transition vers le milieu marin constitue pour eux une épreuve énergétique considérable car elle combine à la fois un important stress thermique, l'effort physique de la nage jusqu'aux zones de nourrissage distantes de plusieurs centaines de kilomètres et des plongées répétées à plus de 200 mètres de profondeur", explique Benjamin Rey, ingénieur au Laboratoire de Biométrie et Biologie Évolutive et principal auteur de l'article.

Sur le site de la base scientifique Alfred-Faure, située dans l'archipel des îles Crozet, les scientifiques ont tout d'abord identifié les adaptations naturelles du manchot royal associés au passage en mer. Ils ont ainsi montré qu'après leur premier séjour dans l'océan, les manchots immatures génèrent plus de chaleur lors d'immersions expérimentales dans l'eau froide. De manière surprenante, ces oiseaux présentent de plus faibles dégâts oxydatifs tissulaires que des manchots naïfs n'ayant pas encore fait le grand plongeon. L'équipe a pu montrer que cette protection contre les atteintes oxydatives était à la fois liée à une plus faible production mitochondriale de dérivés réactifs de l'oxygène et à de plus fortes capacités antioxydantes tissulaires. Une analyse transcriptomique a également révélé des adaptations multiples visant à améliorer les processus antioxydants et les mécanismes de réparation des dégâts oxydatifs offrant à l'animal une meilleure résistance au stress oxydant.

Afin de reproduire sur l'organisme des jeunes manchots une partie de l'effet de cette transition brutale que constitue le passage en mer, les scientifiques ont ensuite réalisé une expérience originale. Sur une période de trois semaines, ils ont immergé à plusieurs reprises dans une eau à 8°C de jeunes oiseaux sur le point de quitter leur colonie pour rejoindre l'océan pour la première fois de leur vie. L'objectif de cette expérience menée dans le respect du bien-être animal : vérifier si ces séances d'immersion dans l'eau froide pouvaient initier des mécanismes adaptatifs préalablement identifiés chez les manchots passés naturellement en mer. Si les oiseaux immergés à plusieurs reprises ont montré une plus grande propension à produire de la chaleur, aucune augmentation de leurs capacités antioxydantes n'a en revanche été observée. Des dégâts oxydatifs ont par ailleurs été détectés au niveau cellulaire.

L'analyse transcriptomique a quant à elle révélé des variations de l'expression des gènes liées au stress oxydant similaires à celles décelées chez les oiseaux passés naturellement en mer. "Ces résultats tendent à démontrer pour la première fois chez un animal sauvage évoluant en milieu naturel qu'un stress oxydatif cellulaire survient effectivement lors des premières immersions dans l'eau froide et que ce stress primordial peut être en mesure de contribuer au développement ultérieur d'adaptations antioxydantes", conclut Benjamin Rey.