Commentaire : Rappelons-nous qu'à la naissance, un bébé naît stérile, l'intestin complètement vierge. En quelques heures, jours et semaines, grâce, notamment, au contact permanent et indispensable qu'il doit entretenir avec sa mère, des milliards de bactéries colonisent son ventre. Ces dernières lui permettent de pouvoir s'insérer dans son environnement. Il peut ainsi interagir avec le monde extérieur sans avoir à périr d'un contact quelconque avec un micro-organisme un peu trop entreprenant, sans avoir à mourir de faim parce qu'il est incapable d'assimiler la nourriture qu'il absorbe. Il est également prouvé que plus un nouveau-né est exposé à des microbes et des allergènes, plus son système immunitaire est à même de pouvoir faire aux agressions. On comprend alors que les premiers temps de notre « exposition à la vie » sont importants et qu'ils déterminent en partie notre futur.

Les mesures hygiéniques et prophylactiques sont indispensables dans certaines situations : épidémies, gestion des blessés sur les champs de batailles, interventions chirurgicales. Elles sauvent la vie. Mais, surprise, à notre époque du tout aseptisable, le microbe est devenu un ennemi qu'il faut éradiquer, en toute situation. Jusqu'à tremper la viande de poulet dans le chlore... Une sous-exposition artificielle aux « pathogènes » qui, paradoxalement, au lieu de nous protéger, ne fait que renforcer notre faiblesse et notre sensibilité à leur encontre. Un affaiblissement du système immunitaire, donc, déjà malmené par les vaccinations délétères, la nourriture industrielle, appauvrie, contaminée, la sur-médication, la pollution de l'air et de l'eau. Ingrédients indispensables pour tout programme d'extermination digne de ce nom.

Hazda
© Inconnu
Le monde que nous occupons aujourd'hui est très différent de celui qu'occupaient nos ancêtres pas-si-lointains. Alors que nous entrons dans une nouvelle ère géologique — l'Anthropocène, marquée par l'empreinte de l'homme — la déforestation mondiale, la fonte des calottes glaciaires et la dégradation générale de la biosphère suscitent de graves préoccupations.

Mais une autre victime, souvent négligée, de cette nouvelle ère, est la diversité des micro-organismes qui vivent sur et à l'intérieur de nos corps (notamment les bactéries, les virus et les champignons). Si notre microbiome — la diversité génétique de ces organismes — est le canari dans une mine de charbon microbienne, alors mon travail avec les chasseurs-cueilleurs d'Afrique de l'Est suggère qu'il se tient la tête en bas sur son perchoir.

Sur le terrain, j'ai vu un chasseur Hadza adroitement dépecer un babouin et en partager la viande avec d'autres autour d'un feu. Rien n'est jeté. Les organes, cerveau inclus, sont consommés, ainsi que les intestins crus et l'estomac. Du point de vue aseptisé des normes occidentales, c'est un spectacle horrible pour un repas du soir. Peu importe combien de fois je regarde les Hadza découper des animaux tués à l'arc, je suis à chaque fois surpris par l'échange extraordinaire de microbes entre ce groupe et leur environnement, véritable tango microbien qui caractérise certainement l'ensemble de l'évolution humaine.

Un chasseur Hadza qui nettoie le sang sur ses mains à l’aide du contenu de l’estomac riche en microbes du même animal.
© InconnuUn chasseur Hadza qui nettoie le sang sur ses mains à l’aide du contenu de l’estomac riche en microbes du même animal
Pourquoi est-ce important ? Des recherches récentes ont montré que la maladie est souvent associée à un effondrement de la diversité microbienne. Ce que l'on ne sait pas en revanche, c'est en définir la cause et l'effet. Est-ce la maladie qui cause l'effondrement de la diversité microbienne, ou est-ce l'effondrement de la diversité microbienne qui cause — ou précède — la maladie ?

Nous n'en sommes qu'au début et il y a encore beaucoup à étudier. Toutefois, l'idée que les microbes que nous abritons — et leur diversité — peuvent nous aider à mieux comprendre et éviter les maladies, a déclenché un optimisme inégalé dans la recherche médicale depuis l'introduction des antibiotiques il y a 50 ans de cela. Ce qui me ramène aux Hadza. Vivre et travailler auprès des Hadza me fait penser à la relation étroite que les humains ont probablement développée avec divers groupes de microbes.

Chaque animal tué est une opportunité pour les microbes de passer d'une espèce à la suivante. Chaque baie cueillie d'un buisson, ou tubercule sortie du sol riche en vie microbienne, chacun de ces actes d'approvisionnement maintient les Hadza connectés à un important ensemble régional d'espèces microbiennes. C'est cette exposition continuelle à un riche vivier de micro-organismes qui a doté les Hadza d'une extraordinaire diversité de microbes — bien plus importante que celle observée au sein des populations des pays dits développés.

Du point de vue de l'écologie, la faible diversité du microbiome de l'Occident peut éventuellement s'expliquer comme le résultat d'un ensemble régional (toutes les espèces pouvant coloniser un site spécifique) d'espèces dégradé, ou comme celui d'une augmentation des filtres environnementaux (choses qui repoussent ou limitent les déplacements de microbes dans l'environnement, ou les altèrent). Ou comme une combinaison des deux.
Les filtres environnementaux, comme les régimes alimentaires, ont été principalement étudiés en tant que causes premières de la baisse de la diversité microbienne dans les intestins des occidentaux. L'usage excessif d'antibiotiques est un autre filtre environnemental. Chaque traitement antibiotique peut réduire la diversité des microbes dans le corps. D'autres filtres peuvent être : trop de temps passé à l'intérieur, une augmentation des naissances par césarienne et une diminution du taux d'allaitement, l'utilisation de produits antimicrobiens (tels que les gels désinfectants pour les mains), de petites quantités d'antibiotiques dans les viandes que nous consommons, et l'hygiène moderne.
Cependant, la contribution de l'ensemble régional d'espèces est peu étudiée dans la recherche microbienne.

Je suppose que cela découle des difficultés liées à l'échantillonnage à grande échelle, et bien sûr, du coût et des priorités. Sachant que l'ensemble régional d'espèces — bien que focalisé sur les macro-organismes (organismes visibles à l'œil nu) — est un thème central en écologie, il serait judicieux de l'intégrer à la recherche microbienne humaine. Reprenons notre exemple classique de filtre environnemental lié aux antibiotiques, on pourrait se demander si quelqu'un ayant pris des antibiotiques et ayant connu une baisse de sa diversité microbienne ne récupèrerait pas plus rapidement — son état de richesse microbienne pré-antibiotique — si il ou elle avait été exposé à un ensemble régional d'espèces solide et diversifié, une fois le traitement antibiotique passé.

De toute évidence, plus d'attention et une meilleure gestion des filtres environnementaux contribueraient à l'amélioration de la diversité microbienne du corps humain. Toutefois, l'élan nécessaire dont cette nouvelle génération a besoin pour enfin remettre en perspectives la santé des écosystèmes — petits et grands — peut être impulsé par une meilleure compréhension de la manière dont la dégradation de l'environnement nous atteint — plus profondément encore (nos propres intestins) que la plupart d'entre nous ne l'imaginaient jusque-là.

Ce qui compte, c'est que tout ce buzz autour du microbiome peut être l'occasion de mobiliser un indispensable groupe de défenseurs de l'environnement microscopique pour mieux enseigner la manière d'évaluer l'importance de ce que subit la biosphère.

Traduction : Emmanuelle Dupierris - Édition & Révision: Nicolas Casaux