Narendra Modi
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C'est passé plutôt inaperçu ici mais, voici quelques mois, l'Inde a été confrontée à une thérapie de choc qui a provoqué bien des souffrances parmi la population indienne.

En 2014, l'Inde connaissait un véritable tremblement de terre politique. Au cours des dix années précédentes, le parti du Congrès national indien (le parti de Gandhi et Nehru, premier Premier ministre indien) avait dirigé le pays en compagnie de quelques autres partis du centre et du centre gauche. Il avait mené une politique néolibérale et fait prospérer la corruption. Mais il était alors apparu que ministres et lobbyistes avaient conclu des arrangements téléphoniques et que 24 milliards d'euros avaient été détournés lors de l'octroi des licences 2G aux entreprises de télécommunication. Partout, des gens étaient descendus dans la rue contre cette corruption.

Un séisme politique

Lors des élections de 2014, le parti nationaliste hindou Bharatiya Janata Party (BJP) de Narendra Modi tirait profit de la colère du peuple. Modi parvenait à reléguer l'extrémisme religieux de son parti à l'arrière-plan et à faire passer à l'avant-plan sa « lutte contre la corruption ». Il révélait que les grandes entreprises ne payaient pas une roupie d'impôt sur leurs milliards de bénéfices et qu'elles transféraient ces mêmes bénéfices vers des banques suisses. Il promettait au peuple de récupérer tout cet argent noir.

Le BJP obtenait bien vite une majorité au Parlement. Il formait un nouveau gouvernement, avec Modi comme Premier ministre. D'emblée, ce gouvernement faisait repasser au premier plan un nationalisme fortement teinté de religion. Ceux qui exprimaient des critiques contre les idées conservatrices hindoues ou se déclaraient athées se faisaient agresser, voire tuer par les milices du BJP. La répression des minorités linguistiques et religieuses devenait un point important de l'agenda du gouvernement. Désormais, on voyait très clairement ce que le parti voulait : se débarrasser du cœur de l'Inde, à savoir « l'unité dans la diversité ».

200 milliards d'euros disparaissent en une seule nuit

Fin 2016, le gouvernement annonçait qu'il voulait retirer de la circulation les plus grosses coupures indiennes (de 500 et de 1 000 roupies, respectivement 7 et 14 euros), prétendument dans le cadre de la lutte contre l'argent noir et la fausse monnaie. Les économistes appellent ce genre d'opération une démonétisation. Modi décidait d'appliquer une thérapie de choc.

La population disposait de quinze jours pour échanger ces coupures contre de nouveaux billets de banque de la même valeur. En outre, elle ne pouvait changer en nouveaux billets que pour 5 000 roupies en argent comptant. Le surplus devait être versé sur un compte. Les personnes qui rentraient plus de 250 000 roupies devaient venir expliquer d'où leur venaient de si gros montants. Modi et son gouvernement présentaient cette mesure comme révolutionnaire, mais quel impact a-t-elle eu sur la population ?

Celle-ci en avait ressenti les conséquences immédiatement, le jour même du lancement de la démonétisation. Les billets de banques de 500 et 1000 roupies représentent 86 % du total des devises du pays. En une nuit, 200 milliards d'euros en billets de banque ont perdu toute leur valeur. L'opération s'est déroulée sans la moindre efficacité car le gouvernement de Modi n'était pas prêt à les remplacer par de nouveaux billets de banque. Et ce, alors que l'économie indienne s'appuie sur de l'argent comptant. 88 % des habitants des zones rurales n'ont même pas de compte en banque. 2 ou 3 % à peine de la population indienne utilise des cartes de crédit ou des cartes de débit. De données de la Banque centrale indienne des réserves, il s'avère que 8 % seulement de toutes les transactions financières en Inde se déroulent via des cartes de banque électroniques. Pour 92 % des transactions, on utilise donc toujours de l'argent liquide. Dans une telle économie, si tout l'argent devient illégal en une seule nuit, cela provoque un choc colossal.

Une guerre économique contre la population indienne

Les petites et moyennes entreprises ont vu leur chiffre d'affaires se réduire de 50 %, leur main-d'œuvre de 35 %. Les grands fabricants ont noté, eux, une perte de chiffre d'affaires de 20 % et de leur emploi de 5 %. Les premières victimes ont été les travailleurs agricoles et les villageois, les ouvriers d'usine, les petits paysans, les petits commerçants, etc.

Le rapport de l'AIMO (organisation des PME indiennes) a estimé qu'à la fin de l'année comptable 2017, le chiffres d'affaires aura régressé de 55 % et l'emploi de 60 %. Cela va modifier complètement la vie des 250 millions de travailleurs agricoles et de paysans pauvres, des 45 millions de travailleurs de la construction, des 2 millions d'ouvriers des plantations et des 32 millions de travailleurs des secteurs non organisés. Et les gens qui possédaient des cartes de crédit n'ont pu utiliser les distributeurs automatiques car ceux-ci n'étaient pas encore pourvus des nouveaux billets.

Il y a donc eu des files interminables devant les banques. Mais celles-ci n'avaient pas reçu suffisamment d'argent du gouvernement. Au point que des gens ont fini par mourir de faim, car leur argent péniblement gagné était devenu sans valeur. Bien des gens sont morts alors qu'ils faisaient la file - parfois depuis plusieurs jours - devant les banques. Il est devenu très clair aux yeux de la majorité de la population que Modi se moquait d'elle. De plus, le gouvernement ne s'est jamais excusé pour tous ces décès.

Pas de lutte contre la corruption

Il a continué à défendre ses mesures de choc et sa répression en les qualifiant de « particulièrement efficaces ». Mais c'est inexact. Plusieurs enquêtes avaient prouvé que l'argent noir provenait en premier lieu des activités frauduleuses des grandes entreprises. Plus de 80 % de l'argent illégal qui sort de l'Inde provient de ces activités frauduleuses. Il s'agit dans ce cas de sous-déclaration de volumes de production et de sur-déclaration de coûts du travail et autres afin de renseigner moins de profit et de payer ainsi moins d'impôts. De cette façon, l'argent noir s'accumule. A cela s'ajoutent les énormes fuites de capitaux vers l'étranger.

La façon la plus récurrente de faire sortir de l'argent du pays consiste à sous-facturer les exportations et à sur-facturer les importations. Mais ni le gouvernement Modi ni les précédents gouvernements fédéraux n'ont jamais entrepris la moindre action contre les grands délinquants du monde des affaires.

Modi avait promis de récupérer tout l'argent noir. Mais rien n'a été fait. La quasi-totalité des billets de banque déclarés sans valeur ont été rapportés aux banques. Ceci prouve que la majorité de l'argent noir n'avait pas abouti dans les mains des travailleurs et certainement pas en argent comptant.

La véritable raison de cette guerre économique contre le peuple

De très nombreuses entreprises cotées en bourse ont contracté d'énormes prêts auprès des banques indiennes, pour quelque 160 milliards d'euros. Au lieu de forcer les grandes entreprises à rembourser l'argent emprunté, le gouvernement a suivi une autre voie. La démonétisation avait donc pour but de sauver les banques d'une faillite provoquée par leurs prêts irresponsables aux entreprises.

L'État pille l'argent des pauvres pour le céder aux riches. En rendant les billets de banque sans valeur, les autorités ont forcé les gens à verser leur argent liquide aux banques. C'est une sorte de prêt non officiel (un « bail-out », autrement dit un renflouement) aux banques mais, par ailleurs, le gouvernement n'a pas l'intention de forcer les grandes entreprises à rembourser leurs emprunts.

De plus, le gouvernement a contribué à ce que le marché indien passe de façon abrupte d'une économie scripturale à une économie digitale, estimée à quelque 500 milliards d'euros en 2020. C'est un marché gigantesque pour des entreprises comme Visa, Mastercard ainsi que pour bien d'autres institutions financières internationales.

Pour tout achat ou utilisation de la carte, les deux entreprises américaines Visa et Mastercard perçoivent des frais de transaction de 2 à 3 %. Des milliards sont transférés de la sorte de la population indienne vers les actions aux Etats-Unis. Le gouvernement indien avait créé un lien de collaboration en ce sens, appelé Better Than Cash, avec USAID, Visa, Mastercard, Citi, etc.

En juillet-septembre 2015, USAID (United States Agency for International Development, agence du gouvernement américain pour le « développement ») avait mené une enquête en Inde pour examiner jusqu'où l'on pouvait accroître le recours aux paiements digitaux, surtout parmi les consommateurs à bas revenu. S'agissait-il déjà des préparatifs de la démonétisation ? La démonétisation est un exemple classique du mariage entre le néolibéralisme et l'autoritarisme. Via cette thérapie de choc qui l'a plongée dans un chaos complet tout en valant bien des souffrances à ses millions de pauvres, l'Inde a montré au monde qu'elle se muait en toute jeune alliée de l'impérialisme américain.

Le Bharatiya Janata Party

Le Bharatiya Janata Party n'est pas vraiment tolérant sur le plan religieux. Il a des liens historiques avec le groupe paramilitaire d'extrême droite Rashtriya Swayamsevak (RSS). Nathuram Godse, l'assassin du Mahatma Gandhi, était membre de ce RSS. Bien que le RSS le nie, son frère Gopal Godse, co-suspect dans l'assassinat, écrit dans sa biographie qu'ils faisaient tous deux partie de ce groupe.

Le BJP a joué un rôle important dans la destruction de Babri Masjid, un lieu saint des musulmans, d'une grande importance historique. Le parti avait annoncé qu'il allait construire au même endroit un temple au dieu hindou Ram. Cette destruction est considérée comme la principale raison de toutes les tensions religieuses.

Le BJP a choisi le très controversé Narendra Modi comme dirigeant des élections de 2014. Quand les groupes terroristes hindous de droite ont assassiné des milliers de musulmans et en ont chassé des centaines de milliers de leur lieu de naissance à Gujarat, Narendra Modi était le Premier ministre de cette province. Et il plane sur sa personne de sérieuses présomptions d'abus de pouvoir et d'aide reçue de la part de groupes terroristes.