Une étude récente publiée sur Springer Link traite du conflit d'intérêts dans la recherche scientifique, un domaine qui aurait dû faire l'objet d'une étude concise et impartiale depuis longtemps. Il est reconnu de longue date que les chercheurs peuvent être influencés par les commanditaires de leurs recherches. Il y a de nombreuses raisons à cela, y compris la pression exercée sur les publications et la nécessité de renouveler le financement de la recherche pour faire avancer sa carrière.
Conflict of interest
La description typique des scientifiques dans les médias est celle d'individus impartiaux en quête de vérité, qui ne prennent en considération que des faits avérés, non influencés par des sentiments personnels, cherchant la vérité sans fard. La réalité semble toutefois quelque peu différente.

Comme le fait savoir l'étude :
« Il existe maintenant des preuves convaincantes dans plusieurs domaines que les articles faisant état du financement d'organismes qui s'intéressent aux résultats produisent souvent des conclusions différentes de celles qui ne font pas état d'un tel financement. »
Pour contrer cet effet, les revues de recherche exigent maintenant des auteurs qu'ils soumettent des déclarations décrivant tout conflit d'intérêts ou intérêts divergents. Et dans un monde parfait, ce serait tout ce dont on a besoin. Après tout, les scientifiques obstinés et impartiaux à la recherche de la vérité sans fard ne mentiraient pas, n'est-ce pas ? Eh bien, il semblerait que cela soit le cas.

L'étude indique :
« Dans un monde idéal, la recherche scientifique serait totalement exempte de partialité, avec des facteurs tels que la source de financement des auteurs ne jouant aucun rôle dans la conception d'une étude, la manière dont elle est analysée, et la présentation des résultats. Malheureusement, ce n'est pas toujours le cas, et un nombre croissant de travaux - en particulier les méta-analyses - ont montré que la source de financement peut être un déterminant important des résultats, tandis que d'autres recherches - comme les analyses des documents obtenus de l'industrie du tabac - ont révélé des preuves évidentes de l'influence des bailleurs de fonds de la recherche. »
La première chose que l'on remarque, c'est la façon dont l'industrie du tabac est présentée comme le meilleur exemple de l'ennemi juré du financement de la recherche. Mais lorsqu'il s'agit d'évaluer si la recherche et son financement sont fiables et viables, ce qui importe est de répondre à la question « à qui cela profite-t-il » ?

Qui en profite ?

Dans le passé, l'industrie du tabac a manifestement été complice de suppression des données, comme il est tout aussi manifeste que le souci de leurs profits a motivé cette activité. Mais, considérer l'industrie du tabac comme complice seulement, est une indication claire d'un énorme (et commode) préjugé, qui n'est presque jamais reconnu par les médias et la fraternité scientifique.

Prenons par exemple les deux principaux bailleurs de fonds de la recherche antitabac, le Wellcome Trust [fondation de charité en médecine dont le siège est en Grande-Bretagne - NdT] la Robert Wood Johnson Foundation [association caritative étasunienne - NdT]. Ces deux fondations ont été créées par des sociétés pharmaceutiques. Dotée par le géant pharmaceutique Johnson and Johnson, la Robert Wood Johnson Foundation a pour mission de promouvoir la nicotine pharmaceutique. Ses activités de lobbying comprennent des programmes de désaccoutumance au tabac financés par l'État où des dispositifs de distribution de nicotine sont recommandés. La fondation est également active dans l'imposition d'interdictions de fumer visant à obliger les fumeurs à cesser de fumer et, implicitement, à commencer à utiliser une certaine forme de nicotine pharmaceutique.

Lorsque ces composantes sont en place, la Fondation récolte ses fruits financiers. Possédant environ 72 600 000 actions de Johnson and Johnson - le fabricant de dispositifs de distribution de nicotine - RWJF fait de l'argent chaque fois qu'une loi antitabac est adoptée.

Le Wellcome Trust, désormais séparé de Wellcome, continue à générer une part importante de ses fonds à partir de participations dans des sociétés pharmaceutiques.

Le marché du sevrage tabagique est énorme

Le marché du sevrage tabagique - qui comprend les patchs de nicotine, les inhalateurs et les médicaments de désaccoutumance au tabac - est désormais une industrie pesant plusieurs milliards de dollars. L'industrie pharmaceutique a réussi à monétiser la nicotine au point qu'acquérir de la nicotine en achetant leurs produits est devenu prohibitif (d'où l'incitation à augmenter sans cesse les taxes sur le tabac). Ils ont réussi à diaboliser l'administration de nicotine via le tabac, mais ils investissent aussi d'énormes sommes dans le développement de médicaments à base de nicotine pour traiter les personnes atteintes d'Alzheimer, de Parkinson et de schizophrénie. N'oublions pas non plus l'énorme marché des antidépresseurs et des produits antistress, des domaines où fumer du tabac est une solution simple et efficace.

On peut voir comment ces entreprises dégagent un énorme profit en s'assurant que les seuls mécanismes d'accès à la nicotine soit via leurs coûteux produits brevetés, et non pas à travers un accès facilement disponible et efficace comme le tabac.

En passant, cela explique aussi pourquoi le lobby antitabac (et ses bailleurs de fonds) a réagi si fortement à l'incitation qui a été faite de fumer des cigarettes électroniques. Après avoir assommé, diabolisé et taxé jusqu'à son maximum le tabagisme et juste alors qu'ils pensaient avoir renvoyé leur adversaire dans les cordes, s'en est venu la cigarette électronique [ou le vaping - NdT], une autre méthode peu coûteuse et soi-disant moins nuisible de consommer de la nicotine. D'où l'hystérie et l'effort considérable pour que la cigarette électronique soit incluse dans les interdictions de fumer. Il s'agit toujours d'une question de profit.

Il faut donc se poser la question suivante : s'il est inacceptable que les compagnies de tabac financent la recherche sur les effets du tabagisme en raison de leurs propres intérêts, pourquoi est-il acceptable que ces fondations financent la recherche qui stimule les ventes de produits vendus par les compagnies dans lesquelles elles détiennent des actions ?

Pourquoi Big Pharma finance la recherche

Il est clair que les mêmes règles devraient s'appliquer. Comme il est tout aussi clair que ce n'est pas le cas. Pourquoi ? Parce que l'obtention d'un financement continu de recherches dépend de la bienveillance des organismes de financement. Si vous publiez les résultats qu'ils approuvent, il est probable que davantage de fonds vous seront versés. Si vous publiez des recherches qui vont à l'encontre de leur raison d'être, votre financement s'évaporera rapidement et, avec lui, vos chances d'avancement professionnel et de titularisation future. Quand la principale incitation pour les scientifiques et les chercheurs est de produire ce que votre commanditaire recherche, nous sommes sur une pente glissante ! L'autre facteur déterminant est que le chercheur doit être disposé à ne pas publier si le commanditaire de la recherche n'aime pas l'orientation que prend la recherche. Soyez réceptif à ces nuances et votre carrière s'épanouira. Agissez contre eux et vous en subirez les conséquences.

L'ancien vice-président directeur général et lanceur d'alerte de la société Pfizer, le Dr Peter Rost, a expliqué dans plusieurs entrevues comment une société pharmaceutique fournit des années de financement à certains experts et institutions afin de les rendre dépendants de leur entreprise :
« Elle leur procure des subventions, elle établit avec eux des relations amicales, elle s'assure qu'ils deviennent redevables envers leur entreprise, elle lance des programmes conjoints dont ils peuvent tirer profit. Mais ils ne continueront pas à recevoir de l'argent, à moins qu'ils ne disent ce que l'entreprise veut qu'ils disent. Tout le monde sait que cela fonctionne ainsi. Ils le savent et vous le savez - seul le public ne le sait peut-être pas. C'est de cette manière qu'ils influencent le corps médical. Avec de l'argent, tout simplement. »
De sérieuses conséquences

Alors, que se passe-t-il lorsqu'un scientifique va à l'encontre de la sagesse scientifique dominante et publie des recherches que le lobby antitabac - et par extension ses principaux bailleurs de fonds issus de l'industrie pharmaceutique - n'aiment pas? Prenons un exemple classique, James Enstrom.

En 2003, Enstrom a publié une recherche évaluée par des pairs (la prétendue « Référence absolue » de la recherche scientifique) dans le British Medical Journal. Le contrecoup a été énorme et immédiat. Engstrom a subi de nombreuses attaques ad hominem [argument consistant à retourner contre l'adversaire, en vue de le confondre, ses propres actes et ses propres paroles - NdT], a été mis au piloris et accusé d'être le domestique de l'industrie du tabac ce qui l'a finalement conduit à perdre emploi. Ses recherches ont été examinées par des pairs et publiées dans le British Medical Journal, qui n' a jamais proposé de le retirer. Mais c'est sa conclusion qui a provoqué l'hystérie parmi le lobby antitabac/pharmaceutique, parce qu'il contredisait la vision politiquement correcte du tabagisme dit passif. Comment ose-t-il !
« Les résultats ne corroborent pas de relation causale entre le tabagisme dit passif et la mortalité liée au tabagisme, bien qu'ils n'excluent pas un potentiel effet mineur. L'association entre l'exposition au tabagisme passif et les maladies coronariennes et le cancer du poumon peut être considérablement plus faible qu'il n'est généralement admis. »
Puis, pour empirer les choses, il a rédigé en 2005 un éditorial pour le magazine Forbes, dans lequel il révélait la science de la malbouffe de l'EPA sur les particules diesel causant le cancer. Assez, c'était assez. Son employeur, UCLA, l'a congédié parce que ses recherches « ne cadraient pas avec la mission du ministère ». Enstrom a intenté une action en justice contre l'UCLA et a récemment été réintégré et a été dédommagé par un règlement financier. Notons que la raison pour laquelle l'UCLA s'est opposée à la recherche et aux conclusions d'Enstrom, c'est parce qu'elles « n'étaient pas alignées sur la mission du ministère ». La « mission » d'un département de recherche scientifique est indubitablement une quête de vérité, et les faits sont les faits, n'est-ce pas ?

Les résultats de la plupart des recherches sont faux

Le dernier mot revient à l'épidémiologiste de renom, le Dr John Lonnidis, qui en 2005, a écrit un article qui a causé beaucoup de grincements de dents dans les milieux scientifiques et d'affaires. John Lonnidis débute par ce commentaire :
« Il existe une inquiétude grandissante quant au fait que la plupart des résultats de recherche publiés soient faux. »"
Il poursuit avec une liste de corollaires qui méritent tous d'être notés. Le cinquième d'entre eux résume bien le thème de cet article :
« Dans un domaine scientifique, plus les intérêts financiers ou autres et les préjugés sont importants, moins les résultats de la recherche sont susceptibles d'être vrais. »
Ne soyons pas hypocrites

De toute évidence, il y a une multitude de raisons de s'inquiéter de la recherche scientifique financée par l'industrie. Mais en enquêtant sur ce type de conflit d'intérêts, nous devons veiller à ne pas laisser notre propre conflit d'intérêts influencer nos conclusions. Nous devrions faire attention à ne pas sélectionner et choisir quelles sont les recherches financées par l'industrie que nous acceptons et quelles sont celles que nous rejetons, en nous basant uniquement sur nos propres préjugés ainsi que sur ceux de la société. Tant que les conflits d'intérêts potentiels sont clairement divulgués, il n'y a aucune raison de s'en prendre aux scientifiques ou aux résultats scientifiques financés par des organisations avec lesquelles nous ne sommes pas d'accord. En lieu et place, il nous suffit d'examiner les données et les conclusions pour découvrir où réside réellement la vérité. Et nous nous devons de le faire pour tout type de recherches, peu importe qui les finance.