Traduit par Michèle Mialane, édité par Fausto Giudice

Après les dernières élections présidentielles, le président sortant, Laurent Gbagbo, et Ouattara, chef de file de l'opposition, avaient tous deux revendiqué la victoire et déjà prêté serment.

Les pays industrialisés occidentaux tiennent au retrait de Gbagbo; celui-ci peut s'appuyer sur des humeurs anticoloniales dans la population et donc l'UE et les USA estiment qu'il n'est pas fiable.

Ouattara, en revanche - un ancien vice-président du FMI- est bien sûr LE candidat de l'Occident ! Il a travaillé de 1961 à 1990 et de 1994 à 1999 au Fonds monétaire international (FMI). Dans les années 80, il en a dirigé la section Afrique et s'est donc trouvé aux premières loges pour l'application des mesures d'ajustement structurel qui ont eu pour effet d'anéantir l'infrastructure sociale des pays concernés, en ouvrant leurs marchés intérieurs aux denrées européennes (en général des produits agricoles excédentaires chez eux) et donc (comme du reste au Rwanda en son temps !!) de détruire l'agriculture autochtone. De 1994 à 1999 Ouattara a même été vice-Président du FMI. Ce curriculum vitae fait apparaître Ouattara presque comme le candidat idéal pour garantir aux entreprises occidentales la protection des intérêts des multinationales du capital monopoliste.

Sous Gbagbo aussi on avait pris des mesures politiques bienvenues en Occident. Par exemple, la Côte d'Ivoire fut le premier pays africain à conclure un accord provisoire avec l'UE, qui ouvrait le marché intérieur ivoirien aux importations et favorisait les quatre cinquièmes des importations en provenance de l'UE. Le franc CFA, la devise utilisée en Afrique de l'Ouest, acquiert dès lors une parité fixe avec l'euro. Le pays investit aussi dans de vastes projets d'infrastructures, nouvelles constructions et réhabilitations dans les ports et aéroports, routes et réseaux de communication, dont l'UE peut retirer de grands profits.

Depuis 2005 on extrait aussi du pétrole en Côte d'Ivoire. Par exemple les entreprises Total (française) et Yam's Petroleum LLC ont conclu un contrat pour l'exploitation d'un champ pétrolifère qui pourrait recéler jusqu'à 1,5 milliards de barils. Une raison supplémentaire pour l'UE et les USA de vouloir mettre au pouvoir à Abidjan le pro-occidental Ouattara. Gbagbo leur semble trop peu fiable, d'autant plus qu'il a même exigé récemment le retrait hors de son territoire des troupes onusiennes (que beaucoup, là-bas, considèrent depuis longtemps comme le bras armé des USA).

Ouattara, qui avait déjà abondamment fourni la preuve de sa docilité à favoriser les intérêts des pays industriels lorsqu'il travaillait au FMI, est donc le président préféré des Occidentaux. En particulier, il entretient les meilleures relations avec l'ancienne puissance coloniale française, toujours en tête des investisseurs en Côte d'Ivoire avec 40% des capitaux étrangers.

En dépit des incertitudes qui subsistent sur les véritables résultats du scrutin ivoirien, pas plus le gouvernement allemand que l'UE et l'ONU n'ont hésité à reconnaître Ouattara comme le vainqueur.

Comme l'Allemagne veut accroître sa présence dans le pays, elle soutient les sanctions infligées à Gbagbo par l'UE (gel de ses comptes européens, refus de visa d'entrée pour lui et ses principaux collaborateurs), mais cela ne l'empêche pas de plaider pour une « solution intérieure » où « l'armée occuperait une position clé ». « Des troupes étrangères, par exemple les Casques Bleus de l'ONU » devraient « faite preuve d'impartialité », car sinon elles courraient le risque de « passer pour des troupes d'occupation ».

Le directeur de la section étrangère de la Fondation Friedrich Ebert (liée au parti social-démocrate SPD) en Côte d'Ivoire, Jens Hettman, a entre temps déclaré qu'il semblait «difficile de maintenir » une reconnaissance inconditionnelle d'Ouattara.

De fait Berlin avait réussi, pendant que Gbagbo était au pouvoir, à accroître sa présence en Côte d'Ivoire, jusque-là plutôt faible. La Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (Société allemande pour la coopération internationale), ex-GTZ, travaille depuis plusieurs années à un projet de soutien à l'économie privée en Côte d'Ivoire qui doit faciliter la mainmise des entreprises allemandes sur la production agricole du pays. Elle est de plus en charge d'un projet pour la formation de la police, pour le compte du Ministère allemand des Affaires étrangères. Si un Président un peu trop lié à Paris prenait le pouvoir sans qu'il y ait en face un contrepoids - par exemple l'armée- serait un obstacle aux tentatives de Berlin de renforcer sa présence économique et politique dans le pays.

Ouattara lui-même et les gens de son parti, tous des politiciens pro-occidentaux, n'avaient toléré aucun observateur de vote dans les parties du pays qu'ils contrôlent. Les Ivoiriens ont donc l'impression qu'on leur a volé leur victoire électorale, et aussi parce qu'ils ne veulent pas de politiciens acquis à l'Occident à la tête de leur pays. C'est ce qui explique les affrontements violents qui se sont produits et se poursuivent. Ils auraient fait près de 200 morts juste après les élections et des dizaines de milliers de personnes sont en fuite. C'est pourquoi beaucoup redoutent un retour de la guerre civile comme en 2007.

Quant aux pays industriels occidentaux, ils tiennent au retrait de Gbagbo.

L'exemple de la Côte d'Ivoire montre bien le peu d'espace que les Occidentaux laissent à la démocratie dans les pays en développement. Disons-le : pas du tout, s'il y va de leurs intérêt !

Les États occidentaux ont donc décrété des sanctions contre Gbagbo, bien que, pour toutes les raisons évoquées précédemment, la victoire d'Alassane Ouattara soit plus que douteuse.

Depuis la fin de la guerre civile de 2007, le pays est partagé en deux zones d'influence. Le Nord est sous le contrôle des ex-rebelles des Forces Nouvelles (FN) commandées par Guillaume Soro, qui ces derniers temps était le Premier Ministre de Gbagbo. Mais depuis elles ont apporté leur soutien à Ouattara, originaire du Nord de la Côte d'Ivoire.

En revanche le Sud, à l'économie plus dynamique, est sous le contrôle de Gbagbo.

En résumé on peut constater que la question, en Côte d'Ivoire, est de mieux inclure ce pays dans la zone d'influence occidentale, dans la tradition néocoloniale (c'est à dire d'ouvrir grandes ses portes au capital monopoliste transnational), mais aussi de savoir laquelle des puissances occidentales aura la haute main dans ce domaine.

Traduit par Michèle Mialane
Edité par Fausto Giudice