Sauf surprise, les syndicats devraient prochainement valider l'accord sur la télémédecine. Il prévoit l'instauration de téléconsultations pour tous les patients dès le 15 septembre. Entretien avec le docteur Philippe Vermesch, président du SML.
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© Sebastien Bozon Source: AFPSoyez prêts, c'est pour bientôt

RT France : La majorité, voire l'ensemble, des syndicats de médecins semble satisfaite du projet d'accord entre les syndicats et la Caisse nationale de l'Assurance maladie (Cnam) sur la mise en place de la télémédecine, qui serait accessible à tous les patients si les syndicats de la profession votent favorablement dans les prochains jours. Que pensez-vous de cet accord ?

Philippe Vermesch (P. V.) : Cet accord sur la télémédecine qui a été finalisé et reçu ce matin [le 20 avril] a l'avantage d'exister mais... peut mieux faire. Aujourd'hui, il existe déjà de la télémédecine quand les médecins se téléphonent mutuellement ou s'envoient des photos. Là, cet avenant permet de formaliser, pour la première fois en France, cette activité qui, aujourd'hui, n'est pas officielle.

Désormais, on aura une télémédecine qui sera officielle y compris dans la relation avec le patient. Autre avantage : au 15 septembre, la télémédecine sera ouverte à tout le monde. Il y aura sûrement des avantages en matière de relationnel, c'est-à-dire entre le patient et le médecin ou de médecin à médecin. Cela va notamment permettre de diminuer les frais de transport et, pour les médecins, d'avoir une meilleure réactivité.

La télémédecine, telle qu'elle est prévue dans cet avenant, se fait par visioconférence de façon sécurisée et encadrée. Avant, c'était un patient qui nous appelait et qui nous demandait ce qu'il fallait faire. On lui donnait un conseil par téléphone, au pire on lui demandait de venir ou d'aller voir un spécialiste que l'on connaissait. C'était moins formel. Tandis que là, c'est quelque chose qui est formalisé, sécurisé et qui permet d'être rémunéré pour une tâche que l'on faisait avant gratuitement.

Il faudra vraisemblablement et nécessairement faire une évaluation dans un an, un an et demi, pour voir un petit peu où on en est sur la macro-économie, par exemple : les avantages médicaux qui ont été apportés par la télémédecine, ce que cela a coûté et ce que cela a fait économiser.

RT France : Vous avez aussi quelques inquiétudes...

P. V. : Aujourd'hui on est tout de même un peu dans le flou car on ne sait pas comment cela va se passer. Il y a également une ou deux petites réticences quant aux honoraires mais c'est un démarrage. La télé-expertise [la demande à distance par un professionnel de santé d'un deuxième avis médical] notamment : on trouve quand même que la télé-expertise de niveau 2 demande, pour le médecin généraliste, de fournir des pièces, tout un travail de préparation, de recherche, de compilation de documents [pour un envoi vers un médecin expert]. On estime que 5 euros pour le médecin requérant, c'est à dire le médecin traitant, ce n'est pas énorme.

RT France :Toutefois, la télémédecine implique que le patient doive s'équiper pour permettre d'être en vidéoconférence avec son médecin, d'avoir un ordinateur connecté à internet...

P. V. : Cela peut se faire aussi par smartphone mais à condition de passer par des plateformes sécurisées. On est encore un peu dans le flou là-dessus. C'est de la technique, on a jusqu'à la fin de l'année pour développer les choses. Mais je pense que cela va aller très vite car des plateformes ont déjà planché là-dessus depuis longtemps. On va certainement proposer aux gens d'appeler en visioconférence des numéros. La connectique sera sécurisée. En face, vous aurez le médecin qui pourra vous parler. Donc, il n'y a pas besoin de grand-chose. En revanche, si vous faites cela de chez vous, il faudra quand même un réseau de communication qui soit adapté. Si vous avez une connectivité qui est très limitée, la visioconférence ne pourra pas se faire.

RT France : Mais justement, le but de la télémédecine est de résoudre le problème des déserts médicaux. Sauf que les déserts médicaux, ce sont aussi des campagnes dans des coins reculés où il n'y a pas forcément l'ADSL, encore moins la fibre optique. Ce sont, pour la plupart, des populations âgées qui n'ont pas forcément le matériel pour imprimer des ordonnances et encore moins de webcam.

P. V. : Tout à fait et c'est là le problème, je suis bien d'accord. Après, des déserts médicaux il y en a un peu partout, même au centre de Paris aujourd'hui. Mais si on va au fin fond du Massif central, il est vrai que cela peut poser plus de problèmes.

RT France : N'y a-t-il donc pas une contradiction avec l'objectif affiché de la télémédecine, c'est-à-dire résoudre le problème des déserts médicaux ?

P. V. : On verra comment cela se passe progressivement. Après, peut-être qu'il y aura des aides locales par les Agences régionales de santé (ARS), avec les conseils généraux [conseils départementaux]. Pour les patients les plus lourds, il y aura peut-être une petite aide matérielle. Je ne sais pas comment cela va se passer mais cela va se régler progressivement. Je rappelle que Monsieur Macron s'était engagé à ce que l'ensemble du territoire soit couvert numériquement en 2020. 2020, c'est bientôt. Après, entre les promesses et ce qui se passe, je n'en sais rien.

RT France : De telles négociations ne sont pas prévues dans les accords ?

P. V. : Ce n'est pas prévu parce que ce n'est pas notre responsabilité et, aussi, parce qu'on ne sait pas où l'on va financièrement. On n'est pas très content, notamment en termes de télé-expertise qui est un deuxième volet de l'accord. La télé-expertise, de niveau 1 à niveau 2, c'est par exemple l'envoi d'une photo par un médecin généraliste vers un spécialiste, le médecin généraliste ayant un patient avec un problème dermatologique. Il prend la photo avec un dermatoscope qui coûte entre 1500 et 2000 euros. Il l'envoie au spécialiste dermatologue qui va lui répondre sur le type de pathologie ou de lésions. Cela est facturé 12 euros pour le spécialiste. 12 euros alors que le spécialiste va prendre du temps, analyser, écrire un compte rendu, et engager sa responsabilité !

RT France : Avec la télémédecine, le risque n'est-il pas de créer des relations uniquement virtuelles entre le patient et le médecin ?

P. V. : Non, parce que c'est le médecin généraliste qui donne le feu vert, qui va proposer d'aller voir un spécialiste. Ensuite, c'est le spécialiste qui jugera s'il doit voir directement le patient ou le faire en téléconsultation. Dans l'avenant, il est tout de même indiqué que le patient doit voir au moins une fois par an le médecin spécialiste consulté. Cela ne sera donc pas que du virtuel. Et pour la première téléconsultation, il faut que le patient soit connu du médecin spécialiste. Pour les quelques exceptions : les patients qui n'ont pas de médecins traitants, qui sont dans des zones sous-denses, sans spécialistes, à ce moment-là, on peut faire une téléconsultation dans le cadre d'une urgence. Mais le patient ira voir le spécialiste dans la foulée.

RT France :Dans le cas où le généraliste ne peut formuler de diagnostic par téléconsultation, il va certainement réorienter le patient vers un autre généraliste ou le revoir directement. Le patient devra alors reprendre un rendez-vous, repayer une consultation, sans compter la perte de temps...

P. V. : Le généraliste doit réorienter vers une personne plus qualifiée, donc vers un spécialiste. Je ne pense pas qu'il y ait plus de perte de temps qu'aujourd'hui.

RT France : L'objectif final, c'est donc que les médecins soient obligés d'adopter ce système ?

P. V. : L'objectif final, c'est quand même de faire quelque chose de plus efficient et de plus économique. Par exemple, pour les EHPAD [Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes] : cela permet de voir des spécialistes qui sont à 70 ou 80 kilomètres. Cela évite le déplacement des patients et de les mettre sur des brancards. Toutefois, on est encore relativement dans le flou aujourd'hui car on ne sait pas où on va mais cela va rendre sûrement beaucoup de services.

RT France : La téléconsultation avec un médecin généraliste sera facturée 25 euros, au même prix qu'une consultation classique, n'y a-t-il pas un problème ?

P. V. : Il n'y a pas de problème. Quand le médecin requérant demande la téléconsultation, c'est qu'il a déjà vu le patient. Avec la mise en place de la visioconférence, la connexion, les problèmes techniques, cette nouvelle technique va mettre autant de temps que la consultation moyenne, qui est de 15 minutes. Et puis, vous ne pouvez pas donner 10 euros au médecin... Sinon, il vous demandera de venir au cabinet, et vous risquerez de faire la queue.

RT France : Néanmoins, le patient peut craindre de ne pas avoir le même « service » pour 25 euros en téléconsultation où le médecin ne procédera pas à une auscultation, la prise de tension...

P. V. : Dans ces cas-là, le patient devra se déplacer.

RT France : Le médecin généraliste peut-il imposer la téléconsultation ?

P. V. : On ne s'est pas trop posé la question mais je pense que cela va se faire dans des situations ponctuelles comme des problèmes de déplacement, d'accès ou de besoin d'affiner une discussion à cause d'une pathologique qui se complique... Je rappelle que le patient sera déjà connu du médecin.

RT France : Si cela passe par des ordonnances envoyées par mail, n'y a-t-il pas un risque sur la confidentialité et de rupture du secret médical ? Les boîtes mails, par exemple, peuvent assez aisément se faire pirater...

P. V. : Normalement non, cela se passera dans des espaces sécurisés.