Cover of The Economist, August 31st, 2013
Couverture de The Economist, 31 août 2013 : « Frappez le fort »
Cher journal, nombre de mes collègues sont mécontents au sujet des derniers événements en Syrie. Ils sont mécontents qu'Assad soit toujours au pouvoir. Toutefois, je choisis de voir le verre à moitié plein. Un récent sondage a révélé que 58% des Américains soutenaient les bombardements sur la Syrie et que 19% étaient « sans opinion ». C'est une merveilleuse nouvelle, puisque cela montre que la grande majorité des gens sont facilement manipulés et sont tout simplement apathiques. L'élément le plus important - mais le moins bien compris - d'une démocratie est la propagande. Ainsi, permettez-moi de partager avec vous les fondamentaux de toute campagne de propagande réussie.

Voici les cinq règles en matière de relations publiques, c'est-à-dire de propagande :
  • Simplicité du message
  • Miser sur l'émotionnel
  • Ne laisser aucune place à la nuance ou au débat
  • Diaboliser l'opposition
  • Répéter le message en boucle
Règle #1 : le message principal doit être à la portée d'un enfant de 5 ans. Dans le cas présent, ça donne : « Assad a utilisé des armes chimiques pour tuer des Syriens innocents. » Le deuxième message était : « Nous devons faire quelque chose. » Tous ceux qui regardaient la télé ou lisaient les médias mainstream/sociaux ont entendu ce message claironné haut et fort.

Règle #2 : Miser sur l'émotionnel. La propagande, c'est juste du marketing. (En fait, le terme « Relations publiques » fut inventé pour remplacer le mot Propagande quand ce dernier fut assimilé à un gros mot après la Deuxième Guerre mondiale.) Toute bonne publicité comporte un aspect émotionnel. Les émotions vous empêchent de réfléchir et d'analyser. Ainsi, tandis que pour vendre du Pepsi, les experts en marketing montrent des photos de femmes sexy, pour vendre une guerre, ils ont recours à des images suscitant la peur et/ou la colère.

Il y a 120 ans, lorsque les États-Unis voulurent voler Cuba à l'Espagne, ils suivirent le même modèle. « Vous fournissez les images, et je vous fournirai la guerre », déclara le magnat de la presse William Randolph Hearst à son caricaturiste. Les images dépeignaient des enfants mourants et la brutalité des autorités espagnoles. (Même si la population espagnole est blanche, l'image ci-dessous montre un personnage monstrueux aux traits afroaméricains, puisqu'à cette époque aussi, on trouvait des racistes parmi les fauteurs de guerre).

US-Spanish war propaganda
Aujourd'hui, le gouvernement étatsunien dit aux Casques blancs : « Fournissez les vidéos, et nous vous fournirons la guerre. » C'est la même technique sans cesse réutilisée. Vous vous rappelez la Guerre du Golfe, lorsqu'une jeune fille témoigna devant le Congrès, déclarant que des soldats iraquiens tuaient des nouveaux-nés dans des couveuses au Koweït ? Bien sûr, comme cela fut démontré plus tard, il s'agissait d'une fake news ; et le témoin en question était la fille de l'ambassadeur du Koweït.

La guerre en Syrie offre également une merveilleuse opportunité d'étudier l'utilisation du discours émotionnel : « pire attaque chimique en Syrie depuis des années » (un mensonge du NY Times, qui oublie commodément l'article qu'il a lui-même publié sur les quelque 52 attaques chimiques perpétrées par Daech) ; « indignation mondiale » « le monde entier sous le choc », « attaque chimique épouvantable/meurtrière/terrible/innommable », et ainsi de suite. Et puis, pour évoquer le gouvernement syrien, on emploie systématiquement le mot « régime », et Assad est invariablement qualifié de « dictateur » ou de « boucher » qui « assassine son propre peuple ». Chaque mot, chaque formule sont choisis pour leur impact émotionnel.

Règle #3 : Ne laisser aucune place au débat. Les médias et leurs experts n'ont laissé plané aucun doute sur l'identité du coupable. Dans les minutes qui ont suivi la diffusion des photos/vidéos, tout le monde pointait déjà Assad du doigt. Qu'il s'agisse d'ABC, NBC, CBS, CNN, Fox, ou du NY Times, du WaPo ou du HuffPo... tout le monde a repris le même couplet en chœur. Tucker Carlson fut le seul journaliste mainstream à donner un autre son de cloche, mais « on » est en train de le recadrer.

Cette homogénéité du discours est absolument essentielle au succès de toute campagne de propagande. Nul ne doit être autorisé à envisager d'autres alternatives, par exemple : l'attaque a-t-elle pu être montée de toutes pièces, pouvait-il s'agir d'un false flag, comment savoir quand/où ont été filmées ces vidéos, comment se fait-il que les armes chimiques d'Assad ne tuent que des enfants et des civils et jamais des djihadistes, pourquoi ces attaques se produisent-elles toujours au moment où Assad est en passe de l'emporter, etc ?

Et puis, les « preuves » ne sont jamais mises en doute. On voit des photos et des vidéos, et ça nous suffit. Un médecin sur le terrain déclare devant les caméras qu'il s'agit d'une attaque au gaz sarin ou au chlore... affaire classée. Personne ne discute des options disponibles, par exemple : faut-il missionner sur place une équipe internationale de médecins et d'experts, faut-il demander une autopsie, faut-il demander à Assad de répondre à ces accusations (arrgh !), et ainsi de suite.

L'Establishment étatsunien est à la fois juge, juré et bourreau (littéralement, pour le coup). Le témoin est Al Qaïda, qui fournit les image et les vidéos, mais ça, la personne lambda l'ignore.

Le deuxième message n'a pas non plus fait l'objet d'un débat. Même en supposant que le gouvernement syrien ait utilisé des armes chimiques, pourquoi les États-Unis devraient-ils intervenir ? Est-ce là une obligation morale qui n'incombe qu'aux États-Unis ? S'agit-il d'une obligation légale ? Les États-Unis doivent-ils intervenir à chaque fois qu'un pays utilise des armes chimiques ? Quid des armes non chimiques ? Aucun débat n'est permis.

Même l'attaque aux missiles de croisière était grand-guignolesque, mais l'individu lambda n'a rien remarqué de suspect. Par exemple, nous avons bombardé le centre de recherche de Barzeh, qui a été inspecté et mis hors de cause par l'OIAC à plusieurs reprises, y compris en novembre 2017. Le fait est qu'il s'agit d'un centre de recherche éducatif civil :

Barzeh research center
En outre, l'équipe de l'OIAC venait tout juste d'arriver en Syrie, le 13 avril, lorsque le trio infernal États-Unis/GB/France s'est mis à bombarder les sites. Ne serait-il pas plus logique d'envoyer d'abord l'équipe de l'OIAC inspecter les bâtiments, avant de les bombarder ? Et puis, si les bâtiments contenaient réellement des armes chimiques, cela ne risquait-il pas de disperser ces dernières, provoquant la mort de milliers de civils alentour ? La véritable preuve de la nature civile de ces bâtiments est que dans les heures qui ont suvi les bombardements, on a vu des journalistes et des soldats syriens parcourir les ruines de ces « usines d'armes chimiques » tout juste détruits par les missiles étatsuniens.

Oui je sais, réfléchir ne fait que compliquer les choses et porte un coup aux mensonges confortables. C'est pourquoi la propagande doit verser dans le simplisme.

Règle #4 : s'en prendre violemment à quiconque remet en question la version officielle. Nous avons violemment attaqué les journalistes et les blogueurs indépendants. Vanessa Beeley, Eva Bartlett et des twitternautes influents comme @PartisanGirl et @Ian56789 ont tous été calomniés et traités de « bots russes ». Ian s'est même fait bannir de Twitter pendant quelques jours. Des sites tels que 21st Century Wire et Russia Insider ont été piratés par nos hackers pendant les frappes en Syrie.

Règle #5 : la clé de toute campagne réussie est la répétition - qu'il s'agisse de vendre un produit, un politicien ou une guerre. Ainsi les médias ont-ils saturé les ondes et Internet avec des expressions choc, des photos et des vidéos « percutantes ». L'Occident n'a qu'un seul organe de presse, mais décliné en des centaines et des milliers de versions, afin de donner l'illusion du choix et de la diversité. Ainsi, quans le même message est répété à l'infini par des centaines de personnes, il devient la vérité.
Goebbels big lie
Alors voyez-vous, peu importe qu'Assad soit toujours au pouvoir. Le point-clé, c'est que les gens sont crédules et malléables, puisque c'est précisément cette crédulité qui nous permet de continuer la guerre et, au final, de réaliser nos objectifs. Je vous le garantis, nous viendrons à bout de la Syrie, et ensuite, ce sera au tour de l'Iran. Oui, ce sera un désastre humanitaire d'une ampleur incommensurable, mais soyez assurés que les Occidentaux s'en trouveront fort aise. C'est le pouvoir la propagande !