En 1916, dans un hôpital militaire d'Alabama, les médecins décident d'utiliser des livres pour soulager les troubles psychologiques des militaires de la Grande Guerre. L'expérience est une réussite ; les patients se sentent mieux et soulagés.
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C'est ainsi que naît la bibliothérapie (du grec biblios - livre - et therapeuien - soigner -) aux États-Unis, puis en Angleterre. Ce mot est rare dans les dictionnaires français et les seules définitions existantes sont sommaires ou floues. Certains se limitent à la mention « traitement par le livre de certaines maladies mentales ».

À qui s'adresse la bibliothérapie ?

Cette définition nous incite à penser que la bibliothérapie serait plutôt dirigée vers le malade psychiatrique. Aux États-Unis, les études sont nombreuses où l'on voit des psychologues aboutir à des résultats satisfaisants, fruits de collaborations étroites entre patients et équipes soignantes. Sans se substituer à une autre thérapie, déprimés, névrosés, psychotiques bénéficient de la bibliothérapie en appoint.

La bibliothérapie est également utilisée auprès de certains groupes sociaux en « difficulté de vie : enfants confrontés à des déstructurations familiales, personnes âgées ou souffrant de légers handicaps... À ceux-là, peuvent s'ajouter des publics incarcérés, ainsi que des groupes de drogués ou d'alcooliques. Des observations très précises ont pu être faites dans une prison d'Illinois, à partir de volontaires. Elles tendent à démontrer que la bibliothérapie change positivement l'idée qu'ont d'eux-mêmes les prisonniers.

Les self-help books

Face aux difficultés de vie, une très grave maladie, la perte d'un être cher ou un divorce, les Anglo-Saxons s'organisent ! Depuis une vingtaine d'années, on assiste, en effet, au phénomène du self-help. Un concept difficile à traduire. De nombreux groupes de « non-professionnels » se sont créés pour s'entraider, à l'affût d'informations précises sur « comment s'en sortir soi-même ». Une profusion éditoriale, les self-help books, a découlé de ce phénomène engendrant une littérature « grand public » sur des sujets spécifiques (juridiques, médicaux, etc.), ouvrages-guides où des conseils de toutes sortes sont prodigués. Ce sont ces types d'ouvrages qui peuvent être prescrits dans le cadre de la bibliothérapie. On y trouve tout pour lutter contre l'alcoolisme, la dépression, le tabagisme, l'obésité...

De telles études n'existent pas en France. Le Dr G. Federmann a bien été le premier médecin à découvrir et analyser l'importance du livre en milieu psychiatrique. Mais peu de ses pairs ont suivi cette voie... Dommage quand on pense que cette médication inédite est loin d'être neuve. Elle est pratiquée depuis plus de 200 ans au Pennsylvania Hospital aux États-Unis.

En France, la littérature dite « psychologique », essais et guides pratiques de développement personnel, a envahi les librairies depuis maintenant une vingtaine d'années. Parmi eux, les livres de Jacques Salomé, Christophe André, Catherine Bensaïd ou encore Boris Cyrulnik, Maryse Vaillant...

Mais ces guides de vie ne sont pas les seuls « livres thérapeutes ». Un roman, un conte, un poème... peuvent aussi nous aider, nous guider, nous éclairer, au point que la bibliothérapie est aujourd'hui considérée comme une « thérapie d'appoint ».

En 2008, le philosophe journaliste et écrivain suisse Alain de Botton ouvre la School of Life dans le quartier de Bloomsbury à Londres. L'établissement est bien connu des Londoniens pour les différents programmes et ateliers de connaissance de soi qu'elle propose. La bibliothérapie est le nouveau service mis au point dans le centre. Avec plus de 500 consultations depuis l'ouverture, cette activité fait un tabac. Loin de s'adresser uniquement aux malades, la bibliothérapie peut-être un véritable passeport pour les biens portants afin de partir à la conquête de soi, des autres et du monde.

Comment ça marche ? Vous remplissez un questionnaire détaillé sur vos habitudes de lecture, mais précisant aussi vos aspirations et préoccupations. Puis pour 70 £ (environ 80 euros) vous en discutez en "séance" de 40 minutes, en face à face ou au téléphone, avec une "bibliothérapeute". Quelques jours après, vous recevez une "prescription" de huit ouvrages, de fiction principalement. Une cure facile à suivre et à faire en cure chez soi, dans son lit, dans le métro.


Commentaire : Ce travail, pour aider à trouver un bon livre selon les besoins de chacun, était fait par la bibliothécaire. La bibliothécaire était en quelque sorte une psychologue avec une excellente connaissance des livres. La bibliothécaire a toujours eu un bon nez pour deviner quel livre vous aviez besoin.


À l'origine de cette démarche, il y a la conviction qu'un bon roman vaut tous les livres de développement personnel et leurs recettes parfois simplistes. Dans un roman, on trouve un écho plus profond et plus durable aux vicissitudes de notre propre existence. On parvient à les mettre en perspective, en épousant tour à tour le point de vue de différents personnages, en explorant avec eux des milieux ou des contrées diverses. Sans compter qu'un héros de papier à l'infinie capacité de résilience nous communique, souvent, une énergie nouvelle. Reste à trouver le bon livre... au bon moment.

Quelques prescriptions littéraires

Bien sûr, chaque prescription est unique. Il n'empêche que, de consultation en consultation, les bibliothérapeutes se sont constitué une sorte de pharmacie de base, pour parer aux plus fréquents bobos :

Un classique antiroutine conjugale :

La compagnie des loups, d'Angela Carter, recueil de contes de fées pour adultes, teintés à la fois d'érotisme et de féminisme.
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En cas d'errements professionnels:

Splendeurs et misères du travail, d'Alain de Botton.

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Le boulot est-il censé nous épanouir ? Et, si oui, comment y parvenir ?

Spécial crise de la quarantaine et questions existentielles diverses :

Le Faiseur de pluie, de Saul Bellow,

ou Le Voyage de l'éléphant, de José Saramago.

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Deux récits initiatiques signés par deux Prix Nobel.

Ou Replay de Ken Grimwood... Un voyage avec de nombreux replay

Pour tout oublier pendant quelques heures :

L'Ombre du vent, de Carlos Ruiz Zafon, thriller littéraire et gothique dans le Barcelone d'après-guerre ;

ou L'Asile, de Patrick McGrath : passion, folie et peinture des conventions sociales dans un hôpital psychiatrique de l'Amérique des années 1950.

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Ou encore Noces à Tipasa d'Albert Camus

Si l'on vient de vivre un deuil :

On peut préférer un livre dans lequel reconnaître son expérience

L'enfant éternel de Philippe Forest
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Ou trouver de l'élan chez le poète Henri Michaux Poteaux d'angle

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Si l'on est malade

La couleur des sentiments de Kathryn Stockett, parce que le livre est très romanesque et surtout facile à lire.

Les vrilles de la vigne de Colette. L'auteur se livre sur son enfance, sensuelle et affective

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La question qui vient presque aussitôt : A-t-on vraiment besoin d'une séance à 70 livres sterling pour ça ? L'idée de passer par un intermédiaire rétribué pour trouver son bonheur en librairie a de quoi surprendre. Car de la bibliothérapie, votre libraire en fait sans le savoir quand il déniche le livre qui consolera votre fille de son chien. Mais aussi votre meilleure amie, quand elle soigne votre coup de blues à coups du dernier bouquin qu'elle a dévoré... Mais une séance dédiée, c'est autre chose. La première étape, par écrit, oblige à se poser des questions inédites et tout sauf anodines :
  • Pourquoi lisez-vous ?
  • Quels livres ont marqué votre enfance ?
  • Qu'est-ce qui manque à votre vie ?
  • Comment vous voyez-vous dans dix ans ?...
C'est long, impliquant et perturbant. Mais le questionnaire est solide, la consultation sérieuse et les résultats... éloquents !

S'échapper par la fiction pour se sentir mieux, la recette n'a finalement rien d'extraordinaire. Mais elle revient à considérer qu'on peut puiser dans la lecture autant de bienfaits que dans n'importe quelle autre médecine douce.