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Bien malins ceux qui auraient pu deviner que les 82 petits fragments de feuilles de bronze, recueillis en 1900 par des pêcheurs d'éponge dans une épave romaine échouée au large de l'île d'Anticythère, constituaient les restes d'un mécanisme astronomique d'origine grecque datant du IIe siècle avant J.-C. Les historiens des sciences eux-mêmes étaient persuadés que ce type d'instrument n'avait pas été fabriqué en Europe avant la fin du Moyen Âge.

La reconstitution du puzzle, rongé par un séjour de plus de deux mille ans par 42 mètres de fond, constitue une véritable prouesse (1). Conservé au Musée national archéologique d'Athènes, il est en effet rigoureusement interdit de le déplacer et encore plus de le toucher. Il aura fallu plusieurs mois de travail à une équipe de chercheurs américains, britanniques et grecs, et le recours à un scanner à rayons X pesant plus de 8 tonnes, pour parvenir à lui redonner une forme virtuelle. Cet appareil construit spécialement par une firme britannique a permis dans un premier temps de réaliser toute une série de clichés en trois dimensions avec une précision de 50 microns (un micron = un millionième de mètre). Ils ont pu ainsi faire ressortir de nombreux détails ayant échappé à l'historien britannique Derek Price qui, dans les années 1960-1970, avait été le premier à étudier de près ces pièces archéologiques. Dans un deuxième temps, les historiens des sciences, les astrophysiciens et les mathématiciens de l'équipe ont essayé de reconstituer le mécanisme dans son intégralité en testant des modèles à partir des données astronomiques de l'époque et des éléments du mécanisme ayant échappé à la destruction.

Depuis longtemps, le mécanisme d'Anticythère faisait fantasmer les plus imaginatifs. On sait qu'il comprenait cinq cadrans portant des inscriptions astronomiques en caractères grecs et une trentaine de petites roues de bronze reliées par des engrenages dentés. Il simulait notamment le mouvement de la Lune par rapport au Soleil, selon deux cycles astronomiques en vigueur durant l'Antiquité. Il devait permettre de prévoir les éclipses solaires et lunaires. Selon les chercheurs qui ont présenté leurs résultats lors d'un congrès qui s'est déroulé à la fin de novembre, à Athènes, il devait aussi être équipé d'aiguilles faisant office de curseurs et être actionné par un bouton.

« Jouet scientifique »

En dépit de toutes ces avancées, le mécanisme d'Anticythère reste obstinément énigmatique. D'où vient-il et qui l'a fabriqué ? Mystère total. En effet, même si certains auteurs latins comme Cicéron décrivent l'existence d'une école d'astronomie à Rhodes, cette dernière ne nous a rien laissé. À quoi servait le mécanisme ? Sur ce point, François Charette, de l'université Ludwig-Maximilian de Münich (Allemagne), craint les malentendus. Pour ce spécialiste des instruments ­astronomiques arabes anciens, il ne peut pas s'agir d'un outil de recherche. « C'était sans doute un objet de luxe comme les montres les plus sophistiquées d'aujourd'hui. Il ne s'agit pas d'une machine à calculer, mais plutôt d'un jouet scientifique capable de reproduire les mouvements célestes. »

L'année prochaine, l'équipe mettra sur Internet tous les documents analysés. Les spécialistes pourront juger sur pièce. « Il sera difficile d'apporter de nouvelles ­informations. Les limites technologiques ont été atteintes », assure François Charette.

(1) Nature, 30 novembre 2006