artemar., 15 avr. 2014 18:39 UTC
© artePatrick VAN DE VELDE, chercheur pour le laboratoire « Roussel-Uclaf ».
À l'heure de la mondialisation libérale, les molécules doivent être rentables. Un chercheur nous explique pourquoi ses recherches très intéressantes sur le cancer du sein s'arrêtent du jour au lendemain. « 600 millions d'euros de chiffre d'affaires, ce n'est pas suffisant ! » Cette vidéo est une parfaite illustration des intérêts du système ultralibéral.
Pendant 4 ans, Patrick Van de Velde a mené des recherches sur une molécule baptisée RU-58668. Une molécule qui s'annonçait très prometteuse contre certains cancers du sein.
- Je voudrais simplement vous expliquer un petit peu comment on a mené à bien cette expérience. En fait c'est extrêmement simple il suffit de prendre de la tumeur mammaire humaine que l'on implante chez la souris. Au bout de 3 mois, chez les animaux témoins, on avait ces tumeurs là, voyez, neuf tumeurs qui viennent de neuf souris
- Ca remplit entièrement mon flacon. Ca c'était les témoins qui recevaient aucun traitement. Ou alors on traitait avec notre produit, le RU-58668 : je pense qu'à la caméra on voit rien, parce que les tumeurs sont ici, voyez, dans le fond, elles sont 8 à 10 fois plus petites qu'au début du traitement. Ce produit là on l'a arrêté simplement parce que, derrière, y a des gens du marketing qu'ont dit "oui, mais voyez, 600 millions de chiffres d'affaires, c'est pas suffisant. Donc on arrête."
- C'est la loi du marché ?
- C'est la loi du marché. On fabrique des médicaments comme... on fabrique des aspirateurs."
Commentaire :
Abandon des recherches sur le RU 58668 10e législature
Question écrite n° 16231 de Mme Danielle Bidard-Reydet (Seine-Saint-Denis - CRC) publiée dans le JO Sénat du 27/06/1996 - page 1570
Mme Danielle Bidard-Reydet attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale sur la décision de la société Roussel Uclaf d'abandonner ses recherches sur le RU 58668, molécule prometteuse pour le traitement du cancer du sein, alors que le seul produit actuellement disponible a, selon l'organisation mondiale de la santé, des effets secondaires dangereux. Cette nouvelle a vivement touché l'opinion publique. Elle intervient dans un contexte où cette pathologie concerne 800 000 femmes et est responsable de 200 000 décès par an. La raison invoquée par la direction de Roussel Uclaf est que cette molécule ne présente pas un intérêt économique suffisant. Pourtant, outre l'aspect humain et de santé publique, une étude de marché révélerait que le développement de ce nouveau médicament rapporterait un chiffre d'affaires compris entre 500 et 800 millions de francs par an. Il s'agit en fait pour le laboratoire français de se soumettre à la stratégie décidée par le groupe Hoechst Marion Roussel qui conduit Roussel Uclaf à de nouveaux abandons d'axes de recherche en immunologie et en endocrinologie. La situation financière du groupe ne justifie pourtant pas la remise en cause de ces axes de recherche. En effet, le chiffre d'affaires de Roussel a dépassé les 16 milliards en 1995 et son résultat a progressé de 7 p. 100 l'an dernier. La direction de Hoechst Marion Roussel envisageant son introduction sur le marché boursier le plus rapidement possible, elle assigne à ses entreprises des objectifs financiers au détriment des objectifs humains. Ainsi, ce groupe envisagerait de porter sa rentabilité à 20 p. 100 du chiffre d'affaires d'ici 1998. Dans le même temps, 8 000 postes sur 42 000 devraient être supprimés. Tout en dénonçant fermement les conséquences dramatiques dans les domaines humains, scientifiques, économiques et sociaux de la stratégie financière de Roussel Uclaf, elle lui demande d'intervenir pour permettre la poursuite des recherches sur la molécule RU 58668 afin de répondre aux besoins impératifs de santé publique.
Réponse du ministère : Santé
publiée dans le JO Sénat du 14/11/1996 - page 2982
Réponse. - Il est précisé à l'honorable parlementaire que la molécule RU 58668 figure dans le portefeuille de l'entreprise Roussel-Uclaf, dont les premières études laissent présager une éventuelle similitude d'action thérapeutique avec d'autres produits déjà connus et disponibles sur le marché. Toutefois ces études n'en sont qu'à un stade très précoce, qui ne permet nullement de prévoir ni l'efficacité ni a fortiori les effets secondaires de cette molécule, puisque celle-ci n'a jamais encore été administrée à l'homme et que les études de toxicologie elles-mêmes ne semblent pas encore terminées. Le cours normal de la recherche pharmaceutique est de travailler sur un grand nombre de molécules en fonction de cibles thérapeutiques pour finalement, après plusieurs années de recherche et développement, aboutir parfois à un médicament, tandis que la plupart des produits sont abandonnés en cours de recherche. Dans ce cas particulier, il revient à l'entreprise de déterminer les suites à donner et les investissements à conduire sur la molécule RU 58668. Par rapoort à de telles décisions, le secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale tient néanmoins à préciser que les préoccupations du Gouvernement sont de deux natures. La première est d'offrir un cadre favorable au progrès thérapeutique, de sorte que tous bénéficient des innovations dans les meilleurs délais. De ce point de vue, le cas de la molécule citée ne pose aucune difficulté, puisqu'elle nécessitera dans un premier temps plusieurs années de travaux avant confirmation de son intérêt thérapeutique. Il s'inscrira ensuite dans la stratégie de l'entreprise de diffuser simultanément son produit sur les grands marchés mondiaux, parmi lesquels figure bien entendu la France. La seconde préoccupation du Gouvernement est de préserver et développer les capacités de recherche et de développement installées en France, afin que notre pays puisse figurer dans les premiers rangs mondiaux de l'innovation thérapeutique. De ce point de vue, il importe de nous assurer, au-delà de la gestion particulière de telle ou telle molécure au cours de son développement, de la volonté des entreprises de renforcer leurs activités dans ce domaine. A cet égard, il est à noter que la stratégie mondiale de l'entreprise Roussel-Uclaf, dans le cadre des vastes restructurations en cours dans l'industrie pharmaceutique, la conduit à renforcer encore le potentiel du centre de Romainville, qui figure dans son plan stratégique comme l'un des trois sites essentiels. Aussi bien, si la molécure RU 58668 devait être développée dans un autre site, ce sont déjà plus de vingt sujets et autant de molécules qui sont actuellement au stade des recherches précliniques au site de Romainville, dont l'avenir se présente donc sous un jour très positif.
source : https://www.senat.fr/questions/base/1996/qSEQ960616231.html
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