En redressement judiciaire et sans commandes au-delà du 3 juillet, l'usine Famar Lyon pourrait fermer ses portes alors même que sort de ses chaînes le fameux antipaludéen à base de chloroquine.
FAMAR Lyon
Les avertissements sur une « inquiétante perte d'indépendance sanitaire » lancés il y a un an par Famar Lyon prennent une tournure tristement prophétique. À Saint-Genis-Laval, l'usine fabrique douze médicaments d'intérêts thérapeutiques majeurs. Le site est le seul du pays à en fournir deux à destination du marché français : le Notézine et la Nivaquine. Commercialisée par Sanofi, la Nivaquine est à base de chloroquine, molécule dont le dérivé - l'hydroxychloroquine - fait l'objet d'essais - plus personne ne peut désormais l'ignorer vu l'ampleur du débat - contre le Covid-19. Malgré cette production hautement stratégique, l'usine de 250 salariés et 35 intérimaires est en redressement judiciaire. Soumise à une activité d'intérêt pour la nation, elle continue de tourner pendant le confinement et a livré à Sanofi, en janvier, 180.000 boîtes de Nivaquine. Mais les salariés le savent : le carnet de commandes s'arrête net au 3 juillet.

Pour en arriver là, l'usine a connu tous les maux du siècle commençant. Elle est d'abord vendue par Aventis en 2003 au groupe grec Famar, qui appartient à la famille Marinopoulos, géant de la grande distribution. En 2008, c'est la banqueroute, quatre banques grecques créancières reprennent la main. Le fonds d'investissement new-yorkais KKR prend le relai en 2017 et annonce réduire l'activité de moitié en 2020. Lorsque l'investisseur décide de revendre les neuf sites Famar de France, tous trouvent repreneur, sauf celui de Saint-Genis-Laval. Dans un courrier adressé, pour sauver la boîte et répondre aux besoins du pays, à la mission d'informations sur la pénurie de médicaments du Sénat et au ministère de la Santé, le représentant CGT évoque un prélèvement douteux de 30 millions d'euros dans la trésorerie qui aurait été transférée à la filiale grande distribution de la famille Marinopoulos. Pendant ce temps-là l'entreprise, elle, a des commandes, mais peine à acheter les matières premières...

Mais il n'y a pas que cela qui manque. « Depuis que nous sommes devenus sous-traitants, les investissements sur les équipements sont mis de côté », ajoute Yannig Donius, représentant CGT. Il faut pourtant répondre aux règlementations de plus en plus nombreuses. « Ce retard a des répercussions sur l'image et les laboratoires Sanofi puis Merck ont voulu arrêter. Avec un tiers du business qui part, le site ne pouvait pas se relever. Et faire de nouveaux produits à l'heure de la délocalisation, c'était une équation impossible », souffle la direction. Lorsque l'entreprise se retrouve en cessation de paiement, les laboratoires consentent à augmenter les prix de 60 %. A vrai dire, ils n'ont pas le choix : ils ne peuvent transférer la production de Famar ailleurs si rapidement. « La contrepartie, c'est que nous n'avions plus de commandes après juillet 2020. » Pour sauver l'activité, l'usine espère et parie donc sur une commande de Nivaquine.

Prise dans une guerre Nivaquine vs Plaquenil ?

« Le fabricant indien de la substance active a annoncé arrêter sa production. Nous avions acheté les derniers lots pour Famar », répond Sanofi. Mais du côté de Famar Lyon on s'inquiète de cette décision et l'on se demande si Sanofi ne voudrait pas en fait laisser tomber la Nivaquine au profit du Plaquenil. Car pour ce dernier médicament à base d'hydrochloroquine, le groupe maîtrise la chaîne de production du début à la fin. « Les principes actifs sont en Europe et nous pouvons monter en production en France si le médicament s'avère nécessaire et efficace contre le Covid », prévient d'ailleurs le groupe. Seul détenteur de l'autorisation de mise sur le marché, Sanofi a annoncé une livraison gracieuse de 350.000 boîtes de Plaquenil aux hôpitaux. « Des médecins traitants prescrivent actuellement la Nivaquine et vu l'actualité, ils ne le font pas pour traiter le paludisme », fait valoir la direction de Famar.

Alors que l'audience du tribunal de commerce censée statuer sur l'avenir de l'usine a été reportée en raison de à l'épidémie, la CGT tente de demander une nationalisation temporaire, soulignant que l'État marocain réquisitionne les stocks de Nivaquine et de Plaquenil du site Sanofi de Casablanca. Du côté de Bercy, on rappelle que Bruno Lemaire s'exprimait de « manière générale » sur de possibles nationalisations. Comprendre : il n'avait pas spécifiquement en tête le cas Famar. « L'entreprise est certes en redressement judiciaire, mais elle tourne », indique Bercy qui s'active, nous assure-t-on, dans la recherche d'un repreneur. « Si nos clients ne nous passent pas des volumes de commandes importants, l'industriel qui reprendra va devoir faire face à un temps incompressible compris entre 12 et 18 mois pour relancer des productions. Dans cet espace, un support de l'État peut-être souhaitable », plaide la direction.

« Trois investisseurs m'ont appelé à la mairie. Il faut aller vers un partenariat public-privé. La nationalisation, c'est une réponse simple à des thématiques compliquées », estime le maire de Saint-Genis-Laval, Roland Crimier. En tant que maire de l'une des 59 communes de la Métropole de Lyon, il siège dans la collectivité présidée par David Kimelfeld. Dans les tuyaux, l'idée d'un achat du foncier par la collectivité ferait son chemin. La situation de l'usine a également fait sortir Laurent Wauquiez du bois. Le patron d'Auvergne-Rhône-Alpes serait disposé à apporter des aides « sous forme de prêts et d'accompagnement direct ». « La Région ne va pas devenir actionnaire, mais intervenir pour accompagner. Les approches sont confidentielles, mais la volonté est de trouver directement un repreneur », glisse son entourage. « Demander la nationalisation a au moins le mérite de pousser à la recherche d'un acteur privé », constate Yannig Donius. Il y a un an, le maire avait bien tenté de réunir les acteurs publics pour une table ronde. L'État était absent.