Parmi les phrases que l'on attribue à Winston Churchill, il en est une que l'Amérique profonde qui a élu le sinistre clown nommé Donald Trump ferait bien de méditer : « A nation that forgets its past has no future », qui a été transposée en « Un peuple qui oublie son passé est appelé à le revivre ».
dddd
© Dorothea Lange
En effet le message poignant, clair et fort que John Steinbeck, prix Nobel de littérature en 1962, a délivré à travers son célèbre roman, publié en 1939, The Grapes of Wrath (Les raisins de la colère) qui lui valut le prix Pulitzer, est celui de l'analyse froide sans concession de ce qui s'était passé dix ans plus tôt, la crise de 1929, également appelée The Great Depression.

L'effondrement de l'économie américaine, à la fin de l'été 1929, et les conséquences directes pour le peuple, les petits de la société, les plus démunis ont été superbement décrits par Steinbeck dans l'improbable quête de la famille Joad.

Les fréquents et violents orages, alliés ensuite à une implacable sécheresse, qui se sont abattus sur le Middle West, ont anéanti les récoltes de la famille Joad, et la férocité des banques ( déjà ! ), qui ont saisi toutes les maisons des paysans devenus insolvables, l'a poussée à quitter l'Oklahoma, en croyant atteindre le paradis, à savoir l'eldorado californien. La route sera pénible et semée d'embûches douloureuses, sur cette Route 66, dépourvue de tout romantisme à l'époque.

Pour Tom Joad, le père, la boucle sera bouclée en forme de descente aux enfers, puisque, libéré de prison avant le départ de l'Oklahoma, il va y retourner en Californie, à cause de ses choix et de ses engagements. Contrairement aux spéculateurs et aux Américains fortunés, la pauvreté va continuer à s'abattre sur les classes les plus pauvres de la société américaine, et comme le célèbre économiste JK Galbraith l'a dit, à plusieurs reprises, « des gens étaient affamés en 1930, 1931 et 1932 » comme en témoigne cette glaçante rétrospective photographique réalisée par le quotidien britannique The Guardian, qui montre des manifestations aux États-Unis et au Royaume-Uni, dans les années 1930, de femmes et d'hommes qui ne demandaient pas autre chose de leurs autorités que de travailler et de manger.
uuuu
© Inconnu
Selon les historiens, environ 34 millions d'Américains, en 1930, n'avaient plus du tout de revenus, et, en dehors des frontières le pire était à venir, puisque les années 1930 ont permis au nazisme d'émerger en Allemagne. Certes les électeurs américains ont eu le bon goût, dans leur désarroi, d'élire un visionnaire à l'esprit pratique, le démocrate Franklin Roosevelt qui a uni le pays dans une reconstruction massive. Pour revenir à la phrase introductive de Churchill, les États-Unis n'ont donc pas d'avenir, car, si Roosevelt avait aidé les banques à partir de 1932, les contreparties étaient sévères, ce qui n'a pas été le cas en 2008. Il ne faudrait pas pour autant croire que le chemin du créateur du New Deal a été parsemé de roses, pas plus que celui de John Steinbeck.
cvcv
Lorsque le Nobel de littérature fut attribué à John Steinbeck en 1962, le pourtant très respectable New York Times s'était étonné, inélégamment, férocement et injustement, que cette récompense fût donnée à un auteur whose limited talent is, in his best books, watered down by tenth-rate philosophising (dont le talent limité est, dans ses meilleurs livres, noyé par une philosophie de bazar). Une réponse possible vient du personnage principal de The Grapes of Wrath, (chapter 19, p. 217, Penguin, 1939) :
How can you frighten a man whose hunger is not only in his cramped stomach but in the wretched bellies of his children? You can't scare him — he has known a fear beyond every other.

«­ Comment pouvez-vous imaginer effrayer un homme dont la faim recroqueville non seulement son estomac mais aussi celui de ses malheureux enfants? On ne peut pas effrayer un tel homme — il a fait face à une peur qui va au-delà de toutes les autres ».
dddd
La lecture et la relecture des Raisins de la colère de John Steinbeck est d'une éclairante nécessité.