Je suis un mauvais diable, effroyable citoyen, indigne voisin mais je me refuse à la farce du masque dans la rue. Quand je vois s'approcher les morts vivants, calfeutrés derrière lunettes, masque et parfois cagoule, je ne peux m'empêcher de penser que la camarde a gagné la partie plus sûrement que les terroristes d'hier. Notre société s'est brisée, fragmentée, dissoute dans une frayeur irraisonnée : celle de mourir !
mjhgfr
La belle affaire que voilà, mes concitoyens découvrent hébétés et ahuris que la mort est la seule issue de ce magnifique voyage qu'on nomme la vie.

Soudain ils réalisent que leur condition de mortel est une menace permanente, un défi toujours remis en jeu, un parcours qui s'achèvera un jour. Eux qui avaient relevé la tête devant les hordes barbares des fous d'un dieu de haine et de terreur, s'inclinent devant un petit virus qui met la planète à genou.

Ils se sont pourtant voilés la face depuis si longtemps quand notre système de santé a été honteusement, méticuleusement, systématiquement attaqué, démantelé, réduit à la misère pour favoriser les capitaux privés et les amis des gouvernants. Ils n'ont pas protesté quand les hospices ont été vendus aux investisseurs de la mort lente dans l'inconfort et l'indignité. Tout cela n'avait aucune importance parce qu'ils n'étaient pas concernés.

Mais qu'on leur affirme qu'une méchante bête pourrait leur couper l'envie de respirer et les voilà qui se couvrent la bouche et le nez pour échapper à la terrible menace. Les zombis pourtant ne se privent pas de leur désir effréné de consommation. Ainsi transformés en spectres, ils hantent en masse les rayons des supermarchés, les centres villes, les esplanades et bords de rivière, persuadés que leur nombre fera fuir la menace.

Ils oublient alors qu'ils se font les agents du virus. Que c'est en consommant toujours plus qu'ils favorisent la prochaine vague ou la nouvelle. Ils n'ont rien compris du sens de ce simple et misérable avertissement. Misérable en effet au regard des statistiques mais naturellement pas pour ceux qui en furent les victimes.

Le monde d'après est mort né. Il n'a apporté que ce bout de tissus grotesque qui n'est pas si anodin que cela. C'est lui qui fera de ses adeptes scrupuleux, les robots de la nouvelle société. Ils ont démontré à quel point ils étaient malléables, obéissants, serviles, disciplinés parfois. Ils seront la grande armée du redressement planétaire par une nouvelle croissance, une reprise hystérique de la dépense, une élimination radicale de leur capacité de discernement.

Ils ont accepté sans broncher la négation même de nos valeurs. Ils avancent masqués dans un univers sous contrôle permanent, ils ont renoncé à toutes leurs libertés sauf celle d'acheter n'importe quoi et surtout de la merde. Complices de Satan, ils se tairont ou peut-être applaudiront quand nos chers dirigeants mettront en place les conditions de la grande catastrophe finale.

Leur masque sera formidablement utile lors des prochaines canicules, pour échapper aux cyclones et autres calamités climatiques. Il se le mettront sur les yeux quand l'armée tirera sur les réfugiés climatiques pour qu'ils ne mettent pas les pieds sur notre territoire. Ils en feront des liens pour entraver les résistants à cette folie collective, il permettra sans doute de donner plus de moyens aux hôpitaux qui sont à nouveau attaqués par un pouvoir inique. Ils hurleront avec leurs maîtres pour dénoncer mes propos.

En attendant, moutons serviles en partance pour l'abattoir, ils oublient les belles idées qui s'imposaient durant cette merveilleuse parenthèse de réflexion que fut le confinement. Finies les promesses, les prises de conscience, les modérations nécessaires, leur masque est un casque pour foncer tête baissée dans le gouffre consumériste et nous entraîner avec eux. Échapper au virus pour se mettre en marche et arriver à pareil résultat nous fera sans doute une fort belle jambe !

Démasquement vôtre.