C'est bien un discours historique que fait M. Robert F. Kennedy Jr, pas un discours qu'il prononce ( qui serait préparé ), un discours qu'il fait le 28 août dernier dans un lieu symbolique, post-war, qui rappelle une paix berlinoise et se réactualise en une époque de pandémie qui pourrait réarmer ou diviser les peuples.
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© John MacDougall. AFP
C'est un discours substantiel qui se tient là, pas démagogique ni intéressé : « essayer de dire la vérité aux gens » (« to try to tell the truth to people »), dit en présentation le journaliste à l'extrême gauche de la table dont le locuteur occupe le centre, avec le drapeau américain devant lui, et avec à ses côtés deux femmes, chacune avec le drapeau de leur pays respectif : le drapeau allemand, le drapeau français.

C'est un discours du coeur qu'on entend; rien n'est lu mais tout est dit, et tout s'enchaîne dans une sorte d'avancée d'une parole convaincue et habitée. Ce n'est pas une improvisation, le locuteur a en tête (il se souvient à l'occasion) nombre de choses qu'il dit ou exprime, dont il se déleste. Peu importe qui il est, cela ne compte pas; c'est ce qu'il dit qui importe.

Les grandes lignes

Si l'on veut trouver un plan à ce discours, en voici les parties ou moments :

Au début de son discours, R. F. Kennedy Jr fait état de problèmes anciens aux USA concernant la santé publique et notamment celle des enfants eu égard aux tests entrepris pour la vaccination ; est visée la corruption du système politique avec ses antennes, ses relais jusqu'à avoir une emprise (capture) sur la presse que le pouvoir neutralise.

Et puis l'homme explique assez vite ce qu'il en est aujourd'hui de l'organisation du pouvoir, en venant précisément à cette pandémie du COVID-19 qui le renforce, un pouvoir qui impose l'obéissance et le contrôle ; concernant ce dernier point, R. F. Kennedy Jr nomme les actuels magnats du Tech dont l'accaparement des données est sans précédents avec un chantage exercé jusque sur les banques. Il compare cette actualité d'un pouvoir technologique et technocratique, fort d'une autorisation scientifique, aux nazis et à Goering, une autorisation ou revendication dont l'horreur consistait entre autres à effectuer des tests sur les juifs et les gitans [Roms].

« Petit à petit », répète-t-il, « le mal » s'étend. Et pour tout dire, ce qui est appelé faussement « science » ou ce au nom de quoi cette poignée d'hommes prétendent faire le bien ou justifier leur place sur un marché économique international, est en réalité de la corruption qui s'étend comme jamais auparavant cela s'est produit. À l'occasion, il invoque son père [ou son oncle] lui disant que la plupart des humains mentent.

Il reconnaît n'avoir aucune preuve de ce qu'il avance, mais il veut croire en la santé de la démocratie, en la liberté et en la capacité de penser de manière indépendante.

Le fond

Le discours qui est tenu est certes le discours de quelqu'un d'engagé, mais pas de quelqu'un de fanatique ou d'illuminé. Il ne s'agit pas, par exemple, d'une croisade contre la vaccination. Robert Francis Kennedy Jr n'est pas un témoin de Jéhovah. Il n'est pas contre les vaccins, mais il est contre l'idée répandue de leur panacée ; comme si des intérêts financiers n'existaient pas dans des questions de santé publique.

L'idée centrale de ce discours est justement celle de corruption. C'est d'une corruption généralisée dont souffre notre époque, à cause d'un pouvoir technologique sans précédent et d'une concentration de ce pouvoir sans réel concurrent.

Ce discours est bel et bien un appel au courage : dire la vérité au pouvoir, dénoncer la généralisation du mensonge. On vous ment, c'est ce qu'il veut dire. L'appareil médiatique est paré pour la bataille que le pouvoir tient à sa botte, c'est bien à un nouveau fascisme qu'il s'en prend. Cet appel aux citoyens est notamment, entre autres, une dénonciation de la désinformation.

Monsieur Kennedy n'a rien, en tout cas pas là, d' une star. Aucune starisation n'est ici à relever : pas de script, de mise en scène, de jeu. Il expose juste une réalité avec force. À Berlin encore, il s'agit de faire tomber un mur : celui du silence. C'est donc un discours vif, cordial, tribal presque, qui se déroule sous nos yeux et à notre écoute d' une voix qui peine au début à ne pas trembler. R. F. Kennedy jr a effectivement, à son tour, fait le déplacement dans cette capitale européenne, conformément à une tradition, dans le sillage familial d'un homme s'étant déclaré naguère « Berlinois », en son nom et en son nom seulement.

Conclusion

Bien sûr nous ne sommes pas tous Berlinois, nous ne l'étions pas, nous n'étions pas tous nés, etc. Mais le message, la transmission (et non pas l'information), est passé.

Je remercie la Chancelière Merkel qui a forcément consenti à ce que se tienne dans son pays à elle ce discours historique.

Il fallait le dire. La censure passe souvent pour être du silence absolu qu'on fait pour imposer des bouches cousues ; mais elle est aussi, en démocratie, un caviardage du discours c'est-à-dire une falsification voire une interprétation, un détournement de sens.

La démocratie n'est jamais évidente à réaliser ; elle n'est pas naturelle, pensait même Henri Bergson. Disons qu'elle ne va pas de soi. Les puissances de l'argent, une minorité contrôlant une majorité, sont terribles ; il n'y a pas de corruption sans argent. Cette minorité, qu'est-ce ? Une oligarchie ? Non, ce terme s'inscrit dans une description des types de gouvernements *monarchie, démocratie, aristocratie etc. selon la répartition des pouvoirs ; les oligarques sont ceux qui détiennent minoritairement le pouvoir. Alors, une mafia ? Oui, si c'est la loi du silence qui mobilise le choix de l'orateur en verve, à la voix empreinte d'émotions diverses mais au fur et à mesure assurée du contenu de son discours. Le message était finalement à tous les peuples : n'ayez pas peur ; et même si vous avez peur, céder à la peur serait pire. Ce n'est peut-être pas original, nouveau, mais l'ampleur actuelle de la corruption - l'objet de ce discours - exigeait un discours de fond.

C'est chose faite. La corruption, c'est le mensonge perpétué, perpétré, institué, voire institutionnalisé. L'invité de ce discours, un discours qu'il fallait faire, est justement de parler : parlez, dites.

Cécile Voisset est philosophe.