La collaboration TOTEM auprès du LHC et la collaboration DØ auprès du Tevatron, au Fermilab, annoncent la découverte d'un état à trois gluons.
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© CERNUne partie de l'installation TOTEM dans le tunnel du LHC, à 220 m du détecteur CMS.
La collaboration TOTEM auprès du LHC et la collaboration DØ, qui travaille sur les données du collisionneur Tevatron, au Fermilab, ont annoncé la découverte de l'oddéron, état constitué de trois gluons, qui avait été prédit il y a près de 50 ans, mais avait échappé jusqu'à présent aux observations. Ce résultat a été présenté vendredi 5 mars au cours d'une conférence au CERN. Il fait suite à la parution en décembre 2020 d'une prépublication commune de TOTEM et de DØ rendant compte de l'observation.
"Ce résultat touche aux phénomènes les plus profonds de la théorie de la chromodynamique quantique, montrant en particulier que les gluons interagissent entre eux et qu'un ensemble impair de gluons a la capacité d'être "incolore", recelant ainsi l'interaction forte, explique Simone Giani, porte-parole de TOTEM. Cette étude présente une particularité à relever: les résultats sont produits par la combinaison de données du LHC et du Tevatron à des énergies différentes."
Les états comprenant deux ou trois gluons, voire plus, sont généralement appelés "boules de glu". Il s'agit d'objets très particuliers, constitués uniquement de particules porteuses de la force forte. Avec l'avènement de la chromodynamique quantique, les théoriciens ont pu prédire l'existence de l'oddéron en 1973. Prouver son existence représentait toutefois un grand défi expérimental, car il fallait réaliser des mesures détaillées de protons se frôlant lors de collisions de haute énergie.

Alors que la plus grande partie des collisions de haute énergie amènent les protons à se briser, libérant leurs quarks et gluons constitutifs, environ 25 % sont des collisions élastiques, dans lesquelles les protons restent intacts mais se trouvent légèrement déviés de leur trajectoire (déviation d'environ un millimètre sur une distance de 200 m en ce qui concerne le LHC). TOTEM mesure ces faibles déviations observées dans la diffusion proton-proton au moyen de deux détecteurs situés de part et d'autre de l'expérience CMS, à 220 m du point d'interaction. DØ, de son côté, employait un dispositif similaire, installé auprès du Tevatron, qui est un collisionneur proton-antiproton.

À des énergies plus faibles, les différences relevées entre la diffusion proton-proton et la diffusion proton-antiproton s'expliquent par l'échange de mésons virtuels qui ne sont pas les mêmes (les mésons étant des particules constituées d'un quark et d'un antiquark). À des énergies de plusieurs TeV, par contre, les interactions entre protons sont censées ne faire intervenir que des gluons. En particulier, la diffusion élastique comportant un faible transfert d'impulsion à hautes énergies a longtemps été expliquée par l'échange d'un poméron, c'est-à-dire d'une boule de glu virtuelle, neutre du point de vue des couleurs, constituée d'un nombre pair de gluons.

Toutefois, en 2018, TOTEM a annoncé des mesures à hautes énergies qui s'accordaient difficilement avec cette explication traditionnelle. Il semble qu'en fait un autre objet de chromodynamique quantique entre en jeu, ce qui vient à l'appui des modèles intégrant un échange faisant intervenir un composé constitué de trois gluons, ou contenant un nombre plus élevé, toujours impair, de gluons. Les résultats permettaient d'annoncer qu'il existait des indices de la présence de l'oddéron, mais n'étaient pas encore suffisants pour qu'il soit possible de revendiquer une observation définitive.

Cette nouvelle étude s'appuie sur une analyse menée sans référence à des modèles, s'appuyant sur des données d'événements à transferts d'impulsion de moyenne ampleur. Les équipes TOTEM et DØ ont comparé les données proton-proton du LHC (enregistrées à des énergies de collision de 2,76, 7, 8 et 13 TeV, puis extrapolées à 1,96 TeV) aux données proton-antiproton du Tevatron, mesurées à 1,96 TeV. Elles ont ainsi trouvé une nouvelle fois des indices de l'existence de l'oddéron. Lorsque les équipes ont combiné ce résultat avec les mesures à 13 TeV de la collaboration TOTEM avec des angles de diffusion réduits, la signification statistique a atteint un niveau justifiant le terme de "découverte".
"En combinaison avec les mesures à 13 TeV, la signification statistique du résultat est dans la zone de 5,2-5,7 écarts-types, et on a donc la première observation expérimentale de l'oddéron", a précisé Christophe Royon, de l'Université du Kansas, qui présentait les résultats pour le compte de DØ et TOTEM lors de la conférence. Il s'agit d'une découverte majeure du CERN et du Fermilab."
Outre cette nouvelle étude TOTEM-DØ, menée sans référence à des modèles, plusieurs articles théoriques s'appuyant sur des données issues des Anneaux de stockage à intersections (ISR), du Supersynchrotron à protons (SPS), du Tevatron et du LHC, ainsi que plusieurs analyses se référant à des modèles, apportent des éléments supplémentaires à l'appui de la conclusion que l'oddéron existe.

D'après un article initialement publié dans CERN Courier.

Lien vers le VNR: https://videos.cern.ch/record/2754247