L'équipe de l'expédition Deep Time a dévoilé un enregistrement réalisé par Christian Clot, actuellement isolé avec quatorze volontaires, dans la grotte de Lombrives en Ariège. Dès les premiers jours, tous ont déjà perdu la notion du temps.

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"A votre avis, quelle heure est-il ?". Quelques jours à peine après être entrés dans la grotte, il était déjà devenu difficile pour les volontaires de Deep Time de répondre à cette question. Et l'écart n'a fait que s'accentuer au fil des jours. En témoigne le récent enregistrement dévoilé par l'équipe de l'expédition.

Le message provient de Christian Clot, chef de cette mission inédite consistant à isoler pendant quarante jours 15 personnes dans la grotte de Lombrives en Ariège. Il y donne des nouvelles du groupe mais aussi de leur notion du temps. Au 23 mars - date de récupération de l'enregistrement -, l'explorateur en était à son 9e cycle.


Chaque cycle correspond à une période d'activité et une période de repos. S'il correspond habituellement à 24 heures, pour les "deep timers" privés de tout repère de temps dans leurs galeries obscures, le concept est rapidement devenu quelque chose de bien plus flou. Et surtout de très subjectif.
"Nous ne savons pas si nous sommes éveillés 15h, 20h ou plus mais nous n'avons clairement pas les mêmes timings biologiques ou mentaux", explique-t-il. Si Christian Clot atteignait son 9e cycle, d'autres en étaient ainsi à leur 10e, 7e ou 8e. "Il y a toujours au moins une personne réveillée dans la grotte", précise-t-il.
Une désynchronisation apparue dès le premier jour

Cette désynchronisation a commencé à s'installer dès l'entrée dans la grotte le 14 mars dernier, comme en a témoigné Mélusine Mallender, également aventurière et membre du projet Deep Time qui a accompagné le groupe et est restée à leurs côtés pendant près d'une semaine.
"Il y a vraiment une désynchronisation qui s'est créée dès le premier jour", a-t-elle raconté ce samedi lors d'une table ronde de la Cité des aventuriers organisée par la Cité des sciences. "Dès le premier jour, une personne s'est réveillée à la fin de la journée de tout le monde. Et au fur et à mesure, chacun a commencé à se désynchroniser".
Mais l'ambiance demeure "bonne et conviviale" et le groupe conserve une certaine tendance à "se retrouver" et "se faire à manger de manière collective", même si certains en sont au petit-déjeuner quand d'autres au diner. De son côté, Mélusine est restée sept cycles, selon son décompte, avant de quitter les volontaires et retrouver l'air libre.

"Au bout de sept cycles, quand je suis sortie, j'étais persuadée qu'il était lundi matin 9h mais non on m'a dit qu'il était dimanche soir 9h30", a-t-elle souri.

Inspirée par les conséquences de la crise sanitaire

L'idée du projet Deep Time a été inspirée par une enquête menée sur les impacts de la crise sanitaire. Réalisée sur quelque 10.000 personnes, elle a exploré leur santé mentale, leurs ressentis et leurs difficultés face à la situation. Et les résultats ont montré que 40% des participants déclaraient avoir un peu perdu la notion du temps.
"Cette année 2020 nous a soumis à une condition d'anomie, à savoir un état d'incompréhension, de nouveauté. Et on a dû essayer de se rétablir, de trouver des solutions pour faire face. On a vu que ce n'était pas facile et que plus la situation dure et plus c'est compliqué", a expliqué Christian Clot lors d'une conférence diffusée sur Facebook.
C'est ici qu'intervient la mission à Lombrives. L'objectif du projet est de mener un vrai protocole scientifique sur des personnes plongées dans une situation similaire d'anomie. En l'occurence les quinze volontaires installés à Lombrives. Mais pour eux, l'anomie est double : en plus d'être coupés du temps, ils vivent dans un milieu totalement nouveau.


L'expérience n'est pas inédite. Plusieurs missions similaires ont déjà été menées au cours des dernières décennies, notamment par le Français Michel Siffre qui s'est isolé deux mois dans une grotte en 1962. Des expériences qui ont approfondi la compréhension de ce que les scientifiques appellent la chronobiologie.

A ce jour, cependant, jamais aucun groupe ne s'est plié à un tel exercice. Encore moins avec un protocole scientifique complet pour étudier la façon dont leurs cerveaux et leurs organismes réagissent et génèrent une nouvelle synchronisation de temps, d'espace et de société.

Une batterie de tests à réaliser

Au cours de ces 40 jours, les volontaires - huit hommes et sept femmes âgés de 29 à 50 ans - vont en effet être soumis à toute une batterie de tests dans l'espace installé à cet effet dans la caverne. Des tests réalisés via des capteurs et différents dispositifs dont les résultats seront par la suite analysés par les scientifiques associés à l'expédition.

S'il est difficile de parler d'emploi du temps précis avec leur situation, les "grottonautes" ne vont en tout cas pas chômer. Puisqu'en plus de ces protocoles scientifiques, chacun s'est vu attribuer une tâche particulière : quand l'une supervise les stocks alimentaires par exemple, d'autres sont en charge de la mission de cartographie ou d'exploration de la grotte.

Parmi leurs activités, figurent aussi des indispensables comme pédaler sur un vélo au moins une heure par jour pour alimenter les batteries de l'espace scientifique ou partir chercher de l'eau dans un gouffre de la grotte pour que le groupe puisse s'abreuver, se faire à manger ou encore se laver.

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© Human Adaptation InstituteLes volontaires dans leur camp de vie, l'un des trois espaces installés au sein de la grotte de Lombrives pour l'expédition Deep Time.
Après neuf jours dans la grotte, c'est justement dans la capacité à organiser les tâches collectives que les premières difficultés ont émergé, "avec quelques tensions ici et là, heureusement vite apaisées", selon Christian Clot. "Toute la question est maintenant de savoir si, au rythme des cycles, nous allons parvenir à trouver une synchronisation collective".

Les "deep timers" n'ayant aucun contact direct avec l'extérieur, il faudra attendre le prochain message du chef d'expédition ou d'un autre volontaire pour le savoir. Ces enregistrements sont transmis de façon unidirectionnel par le même sas qui permet à l'équipe de surface de récupérer les déchets du groupe.

L'expédition Deep Time est à suivre sur les réseaux sociaux d'Adaptation (Facebook et Instagram) et sur le site officiel.