Eh bien, tout cela s'est passé remarquablement vite. Après avoir quitté l'Afghanistan d'une manière chaotique, laissant des amis et des milliards de dollars de bagages sur le tarmac de l'aéroport alors que le dernier avion s'envolait vers l'horizon, les États-Unis ont commencé à dérouler impitoyablement leur nouvel « ordre mondial » : les défenses aériennes ont été retirées d'Arabie saoudite ; « Israël » a reçu l'ordre d'expulser les Chinois qui construisaient son port de Haïfa ; et la France et l'UE ont été « entubées » par le nouvel accord AUKUS, négocié dans le plus grand secret pendant de nombreux mois.
hyujki
L'Europe a été prise de court. La France aurait appris l'existence de l'accord par les médias. Le Drian et le ministre français des Armées, Parly, ont publié une déclaration furieuse qualifiant l'accord de « coup de poignard dans le dos ». Pour ne rien arranger, l'annonce est intervenue un jour seulement avant que l'UE ne présente sa propre stratégie pour l'Indo-Pacifique, mettant les Européens dans l'embarras au moment même où ils cherchaient à renforcer leur puissance géopolitique. « Je suppose qu'un tel accord n'a pas été préparé avant-hier », a ironisé Josep Borrell, lors d'une conférence de presse destinée à dévoiler la stratégie de l'UE, qui a été totalement éclipsée par l'accord AUKUS.

L'« ordre ancien » est impitoyablement mis de côté, afin que « tout reste pareil » - pour l'élite mondiale (bien sûr). Le nouvel ordre est en train de se déployer, même s'il reste rhétoriquement habillé des vêtements de l'ancien. Au cas où quelqu'un n'aurait pas compris le message, il s'agit de la guerre froide avec la Chine. Tout le reste est pour les chiens. Si la province la plus proche du centre de l'Empire - l'Europe - est si perfidement jetée sous un bus, les provinces les plus éloignées de la portée impériale sont désormais sans intérêt.

En apparence, l'AUKUS concerne la fourniture de sous-marins à propulsion nucléaire, mais équipés d'armes conventionnelles. Mais le cœur du pacte négocié pendant des mois dans le plus grand secret réside dans le transfert de technologie nucléaire entre les parties. En fait, l'Australie, située dans l'arrière-cour de la Chine, se glisse sous le parapluie nucléaire occidental. Avec la technologie nucléaire en jeu, l'engagement des États-Unis envers l'Australie se transforme en un pacte d'une tout autre nature.

Selon un récent rapport des médias, l'administration Biden étudie la demande de Taïwan de changer le nom de sa mission aux États-Unis, du Taipei Economic and Cultural Representative Office (TECRO) au Taiwan Representative Office, la proposition recevant « un large soutien au sein du Conseil national de sécurité ». Si un tel changement de nom peut sembler insignifiant, il a en réalité des implications importantes. La suppression de la référence aux liens économiques et culturels et l'ajout du mot « Taïwan » élèveraient implicitement le statut du bureau à quelque chose de plus proche d'une ambassade. Cela inverserait effectivement la politique américaine d'une seule Chine, en vigueur depuis 1972, date à laquelle les États-Unis ont reconnu que « tous les Chinois de part et d'autre du détroit de Taïwan soutiennent qu'il n'existe qu'une seule Chine et que Taïwan fait partie de la Chine ».

La question clé ici est de savoir qui a imaginé ce double stratagème qui place la Chine dans une situation pire que la crise des missiles de Cuba en 1963, où des missiles soviétiques se trouvaient dans l'arrière-cour de l'Amérique. D'une part, Taïwan - l'ancien adversaire de la Chine dans la guerre civile - serait élevé au rang de vitrine des valeurs occidentales, sinon de « pays » ; d'autre part, l'Australie menacerait de l'intérieur de la sphère d'influence de la Chine, en tant qu'enclume nucléaire de l'Occident.

Quelle branche du gouvernement américain a proposé de manière si provocante de transformer le bureau TECRO de Taipei en une mission (semi-diplomatique) de Taïwan ? Il est difficile d'imaginer qu'une telle initiative ait pu naître dans l'esprit de Biden ou de Blinken. C'est subtil - ce n'est qu'un minuscule changement symbolique (ce sera revendiqué comme tel), mais c'est néanmoins un changement que la Chine ne peut pas ignorer et auquel elle ne manquera pas de répondre.

Nous parlons ici d'une Chine qui était déjà effrayée par l'appel du général Milley en octobre dernier à son homologue, lui promettant de l'avertir de toute attaque nucléaire américaine imminente provoquée par Trump sur la Chine. Rien ne prouve que Trump ait planifié une telle chose (bien que Nancy Pelosi - jusqu'à son investiture - ait fait miroiter à Milley toutes sortes d'événements apocalyptiques se produisant à Washington). Milley a clairement transmis ses angoisses à son homologue. Mais ce qui a tant effrayé Pékin, c'est qu'il n'avait même pas considéré qu'un échange nucléaire puisse être un tant soit peu « sur la table ».

L'appel ultérieur de Milley, en janvier, semble avoir renforcé les appréhensions chinoises (plutôt que de les apaiser, comme il en avait l'intention), ce qui a incité Pékin à se demander qui, diable, prenait réellement les décisions là-bas.

Il s'agit d'une question importante à laquelle nous n'avons pas de réponse. Qui a introduit cette idée d'un bureau de représentation de Taïwan dans le Conseil national de sécurité américain, largement réceptif ? Le Pentagone ? Ou bien quelqu'un du complexe militaro-industriel (CMI) en serait-il à l'origine ? On sait que Biden est proche du CMI et qu'il a été un fervent partisan de l'intervention. Ce dernier a également contribué généreusement au succès de la campagne de Biden.

Peut-être cherche-t-on au mauvais endroit : Thomas Wright dans un article de l'Atlantic, intitulé « Biden s'inquiète que la Chine puisse gagner », écrit : des éléments de la vision du monde de Biden se cachent à la vue de tous ... Il suffit d'écouter ce que dit le président : « Nous sommes à un point d'inflexion entre ceux qui soutiennent que [...] l'autocratie est la meilleure voie à suivre », a-t-il déclaré en février, « et ceux qui comprennent que la démocratie est essentielle ». Le mois suivant, il a déclaré aux journalistes : « Sous mon mandat », la Chine n'atteindra pas son objectif « de devenir le premier pays du monde, le pays le plus riche du monde et le pays le plus puissant du monde. » En avril, Biden a répété ce thème, affirmant que le monde était à un tournant pour déterminer « si oui ou non la démocratie peut fonctionner au 21e siècle ». Puis, le mois dernier, il a été encore plus précis, déclarant à David Brooks du New York Times : « Nous sommes en quelque sorte à un stade où le reste du monde commence à se tourner vers la Chine ». Fait révélateur, il ne se contente pas de le dire dans ses remarques officielles ; il aborde le sujet tout le temps.

Comment cela ? La Chine ne sera ni le premier État, ni le plus puissant, ni le plus riche, sous son mandat ? C'est le nouvel « ordre » ? On dirait un peu que le lobby des multinationales a encore poussé la « porte ouverte » de Biden. Pourtant, un groupe très différent de penseurs américains de l'ère post-11 septembre considère l'actuelle attitude belliqueuse à l'égard de la Chine comme une prophétie dangereusement auto-réalisatrice. Ils ont probablement tout à fait raison.

Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone