serguei lavrov
© Source: Ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie,Interview de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, aux chaînes RT, NBC News, ABC News, ITN, France 24 et China Media Group, Moscou, 3 mars 2022
Question: Eu égard aux récents événements, avant tout sur le terrain, la situation évolue constamment avec une pression par les sanctions sans précédent contre la Fédération de Russie. La position de la Russie a-t-elle changé? Est-ce que le monde entend la Russie? Comment voyez-vous les négociations qui se déroulent en Biélorussie? Que faut-il attendre du prochain cycle?

Sergueï Lavrov: C'est une approche complexe. Vous avez mentionné plusieurs thèmes. Je suis certain que le monde écoute la Russie. Difficile à dire pour l'instant dans quelle mesure on nous entend. La plupart comprennent de quoi il s'agit, mais sont contraints de se soumettre à un diktat très ferme et brutal.

En parlant franchement, c'est évidemment mal quand des gens meurent: des militaires, des civils (femmes, enfants). Cela se passait pendant huit ans dans le Donbass et se passe maintenant pendant l'opération militaire spéciale de la Russie appelée à mettre un terme à toute guerre qui pourrait se dérouler sur le territoire ukrainien ou en émaner.

Je ne doute pas qu'une solution sera trouvée. Les conditions minimales pour nous sont bien connues. Elles sont évoquées notamment lors des pourparlers avec la partie ukrainienne. Cela se déroulait à Gomel et devrait avoir lieu aujourd'hui. L'équipe de Kiev a de nouveau trouvé des raisons pour reporter les négociations. Il ne fait aucun doute qu'ils reçoivent des consignes de Washington. Ce pays n'est pas du tout autonome. Néanmoins, les négociations doivent avoir lieu. Je n'énumérerai pas en détail les points abordés. Ils sont bien connus. Nous ne pouvons plus permettre qu'une menace d'attaque directe contre la Fédération de Russie émane du territoire ukrainien. De telles menaces se trouvent dans les doctrines actuelles du régime de Kiev. L'une des principales raisons est l'aspiration effrénée de l'Ukraine d'intégrer l'Otan, la réticence totale de l'Otan de tenir ses engagements qui exigent de ne prendre aucune mesure qui renforcerait « ta » sécurité au détriment de « ma » sécurité.

Dans l'ensemble, ce n'est pas simplement la situation en Ukraine, les objectifs de démilitarisation et de dénazification de ce pays, l'empêchement de la poursuite de manifestations de génocide sur son territoire, la cessation de toute violence, la garantie pour les Ukrainiens de la possibilité de déterminer leur propre destin. Il s'agit de l'ordre mondial. C'est pourquoi l'Occident évite par tous les moyens de réagir à nos propositions claires et nettes basées sur les accords en vigueur concernant l'architecture de sécurité en Europe.

J'ai mentionné le principe clé approuvé au sommet à l'OSCE et dans les relations Otan-Russie. Chaque pays a le droit de choisir ses alliés. Sachant qu'aucun État ne peut renforcer sa sécurité au détriment de la sécurité d'un autre pays. Aucune organisation n'a le droit de revendiquer un rôle dominant dans l'espace euro-atlantique, ce que fait activement l'Otan. Le renforcement de la sécurité de l'Occident au détriment de la sécurité de la Russie est déjà sur toutes les lèvres. On nous dit: « ne vous inquiétez pas, l'adhésion de l'Ukraine ou d'un autre pays à l'Otan ne créera aucune menace pour la Russie. » Pour quelle raison l'Occident décide à notre place ce qu'il faut à notre sécurité? Tout comme les Américains décident pour l'Allemagne et pour l'Europe ce qu'il faut pour garantir la sécurité énergétique de l'UE, car cette sécurité sera garantie par les livraisons de gaz naturel liquéfié américain bien plus cher.

Le fait est qu'on nous écoute, mais on ne nous entend pas. On cherche à nous imposer leur vision de savoir comment il faut vivre en Europe.

Cela fait penser à des parallèles. A leur époque, Napoléon et Hitler se fixaient pour objectif d'assujettir l'Europe. Maintenant, elle a été assujettie par les Américains. L'Otan ne suscite aucune question, quand à l'Europe, on lui a montré sa place. L'histoire du gazoduc Nord Stream 2 a clairement montré quelle était la place de l'UE sur la scène mondiale. Elle a été forcée et c'est tout. On entend actuellement des discussions et des exigences des capitales occidentales. Une image hollywoodienne fait son apparition sur la scène mondiale: il existe le mal absolu et le bien absolu incarné par une personne qui est le scénariste de ce « film d'action ». C'est regrettable.

Je suis certain que cette hystérie passera. Nos partenaires occidentaux finiront par se calmer. Nous sommes toujours prêts au dialogue à une seule condition - uniquement dans l'équité, le respect et la prise en compte des intérêts réciproques.

Question (traduite de l'anglais): Le Président russe Vladimir Poutine est décrit en Occident comme un politicien « isolé » qui réagit de manière émotionnelle. Quand l'avez-vous consulté la dernière fois? Accepte-t-il des conseils?

Sergueï Lavrov: Vous préférez décrire ce que fait le Président russe Vladimir Poutine en s'appuyant sur la propagande occidentale.

Le Président russe Vladimir Poutine exprimait plusieurs fois en détail notre point de vue ces dernières semaines. Il reflète la position du gouvernement russe et il est élaboré en parfaite conformité avec les pouvoirs constitutionnels du Président de la Fédération de Russie et des structures telles que le Ministère des Affaires étrangères, le Ministère de la Défense, les services spéciaux et le Conseil de sécurité de la Russie. Ce travail est mené quotidiennement. Les réunions des membres permanents du Conseil de sécurité de la Russie se déroulent (au moins) chaque semaine. Tel est le mécanisme d'élaboration de décisions.

Question (traduite de l'anglais): Pendant des décennies la Russie et les États-Unis maintenaient la stabilité malgré les craintes liées au potentiel nucléaire. Pouvez-vous rassurer le monde et dire que la Russie « dans un élan enragé » n'utilisera pas l'arme nucléaire en premier?

Sergueï Lavrov: Nous avons une doctrine militaire qui décrit les paramètres et les conditions d'utilisation de l'arme nucléaire. Il n'y a aucune « escalade pour une désescalade », comme cherchent à nous imputer les analystes occidentaux.

Il y a une discussion sur une guerre nucléaire. Je vous prie de regarder attentivement les déclarations faites et les « personnages » qui ont fait ces déclarations. D'abord, le Secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg, dans un élan propagandiste, voulant plaire aux forces les plus radicales en Occident, a déclaré que personne n'interdirait à l'Alliance de faire ce qu'elle voudra. Notamment si elle décidait tout à coup de déployer des armes nucléaires en Europe de l'Est. Commençons par dire que l'Otan ne peut pas décider où déployer l'arme nucléaire. L'Alliance n'en dispose pas. Les Américains en possèdent. L'allusion de Jens Stoltenberg était très révélatrice.

Après cela, Vladimir Zelenski a commencé à dire qu'ils renonceraient à leurs engagements d'État non nucléaire pour se doter de l'arme nucléaire. Vous vous en souvenez. N'oubliez pas les propos de mon homologue français, le Ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian. Vous savez, il aime parader. Le coq est le symbole national des Français. Et ils paradent souvent. Lors d'une nouvelle « séance » de communication avec le monde, Jean-Yves Le Drian a déclaré que Vladimir Poutine devait se rappeler que la France possède également l'arme nucléaire. Ce n'est pas moi ou le Président Vladimir Poutine qui le disent, ce sont eux qui ont commencé. La cheffe de la diplomatie britannique récemment nommée Liz Truss a déclaré qu'elle était prête à un conflit entre l'Otan et la Russie. Notez également la déclaration de votre Président Joe Biden. En répondant à une question pour savoir s'il existait une alternative aux « sanctions infernales » actuelles, il a dit que seulement une Troisième Guerre mondiale aurait été une alternative à ces sanctions. Il est clair pour tout le monde que la Troisième Guerre mondiale pourrait être seulement nucléaire. Je souligne que c'est dans la tête des politiciens occidentaux que trotte une guerre nucléaire, par dans la tête des Russes. Je vous assure que nous ne permettrons pas à des provocations de nous faire perdre l'équilibre. Mais si on déclenchait une véritable guerre contre nous, c'est ceux qui couvent de tels projets qui devraient y songer. Or de tels projets existent, selon moi.

Question (traduite de l'anglais): Le monde voit que des bombes russes tuent des gens en Ukraine et nous entendons les mensonges dits par les Russes sur ces attaques. Le monde s'est uni pour les condamner. Comment pouvez-vous défendre cette position?

Sergueï Lavrov: Je vois que vous l'avez lu sur une feuille. La question est brève, mais vous avez décidé de citer les mots sur votre feuille. Je ne peux pas commenter les divagations, qui sont nombreuses aujourd'hui. Si vous l'avez remarqué, c'est surtout l'Europe et les États-Unis qui cherchent à bloquer tous les médias, sources et chaînes d'information de Russie sur ce qui se passe en Ukraine, sur l'évolution de l'opération militaire spéciale et sur le comportement de l'armée ukrainienne et des bataillons néonazis ukrainiens envers les civils. Quand ils se replient, ils pillent simplement les communes. Les milices de Donetsk et de Lougansk ont commencé à les repousser de leur territoire dans le Donbass. Ils se replient, ils prennent aux habitants des voitures, de l'électroménager, se comportent comme des maraudeurs et des voleurs. Il existe de nombreuses informations sur la préparation de provocations, notamment à Marioupol et sur d'autres territoires où les Ukrainiens tentent d'utiliser les civils comme bouclier vivant. Parlez eux Indiens, aux Arabes et aux Africains qui tentent de quitter l'Ukraine, mais on leur en empêche. Littéralement hier, le Premier ministre indien Narendra Modi s'est entretenu avec le Président russe Vladimir Poutine. Il est préoccupé par la mort d'un étudiant indien en Ukraine, à Kharkov. Il n'y a pas de forces russes à Kharkov. Mais nous voyons la situation à la gare de Kharkov où on empêche aux étrangers de partir, notamment via le territoire russe. Nous sommes prêts à accueillir ces étudiants. Je n'ai pas le temps d'énumérer tous les faits. Je vous invite à consulter le site de notre Ministère qui décrit en détail tout ce que fait actuellement le régime néonazi de Kiev. Je sais que vous aimez le terme « assassin ». De véritables assassins combattent du côté du régime de Kiev.

Question (traduite de l'anglais): Pensez-vous que le Président Vladimir Zelenski, premier président juif de l'Ukraine, dont la famille a été massacrée lors de la Shoah, est un nazi?

Sergueï Lavrov: Je pense qu'il est manipulé par les nationalistes et les néonazis. Je ne peux pas expliquer autrement qu'il préside la société où les néonazis et le néonazisme prospèrent. Ils organisent ouvertement des marches aux flambeaux. Qui plus est, le président envoie sa garde d'honneur à ces marches. Ils organisent des exercices, s'entraînent aux combats urbains, au sabotage et aux provocations. Tout cela se déroule sous le Président Vladimir Zelenski. Ce dernier dit que son grand-père a combattu pendant la guerre. Mais regardez quelles lois il signe. Comment un président, un « homme de la paix » (tout juif doit l'être), peut-il signer la loi sur les peuples autochtones de l'Ukraine? La liste de ces peuples ne comprend pas les Russes. Si le président n'est pas raciste, comment peut-il signer et soutenir les lois qui interdisent la langue russe non seulement dans les écoles (ce qui est déjà horrible) et l'enseignement, mais aussi dans la vie quotidienne. Là-bas, on ne peut même pas demander en russe un médicament dans une pharmacie. Par ailleurs, il existe en Crimée russe (qui préoccupe tellement certains Occidentaux) trois langues officielles: le russe, le tatar et l'ukrainien. Rien de ce genre n'a existé sous le pouvoir ukrainien. Tout citoyen russe qui habite en Crimée a le droit de s'adresser à n'importe quel bureau public ou local et de recevoir une réponse en sa langue maternelle. Je peux longtemps l'énumérer. Mais je sais que vous aimez créer rapidement des images impressionnantes au lieu de vous pencher sur les faits. Visitez au moins une fois, pour une trentaine de minutes, le site de notre Ministère ou du Ministère de la Défense. Je comprends qu'on vous n'autorisera pas de hausser la voix. Le Président français Emmanuel Macron a déclaré hier qu'il était mensonger d'accuser Vladimir Zelenski et l'Ukraine du nazisme. On lui a déjà répondu. La meilleure réponse a été présentée par sa compatriote, une journaliste française qui s'était rendue dans le Donbass, avait observé un bombardement d'une école et la mort de deux femmes qui y travaillaient. Elle a fait honte à tous les responsables occidentaux qui refusaient de le voir. Évidemment, on ne lui a pas autorisé de publier ce commentaire, mais il est accessible sur les réseaux sociaux. Je vous suggère d'apprendre les faits au lieu de faire semblant qu'il s'agit d'un film d'action hollywoodien qui évolue selon le scénario écrit par vos collègues et qui comprend un mal et un bien absolus.

Question (traduite de l'anglais): Nous avons récemment interviewé plusieurs responsables européens. Ces derniers ont affirmé que l'Otan ne voulait pas s'élargir vers l'est. Cela ne devrait pas être un problème pour la Russie. Mais nous n'entendons plus les propos de ce genre. Quelles sont les raisons de ces changements et du blocage des médias russes, comme Sputnik et RT, en UE? Nous constatons des désinformations sur les réseaux sociaux et dans les médias. Quelle sera votre réponse à tout cela?

Sergueï Lavrov: Quelle sera notre réponse? Il s'agit d'un fait notoire qu'il est impossible de dissimuler. Les dirigeants de l'URSS et de la Russie ont reçu des promesses que l'Otan n'arriverait pas à l'est de l'Oder. Mais vous savez parfaitement ce qui s'est passé plus tard. Le Président Vladimir Poutine l'a évoqué à plusieurs reprises. Cinq étapes consécutives d'élargissement de l'Alliance atlantique. Qui plus est, la rhétorique de cette dernière, ainsi que sa planification militaire et des manœuvres étaient chaque fois de plus en plus orientées contre la Fédération de Russie.

Nous l'avons évoqué à de nombreuses reprises, avons attiré l'attention sur ce fait. Mais nous n'avons pas reçu de réaction confirmant la volonté de l'Otan de mener un dialogue égalitaire sur la base du respect des intérêts et des préoccupations de l'interlocuteur. Ce n'est pas par hasard que j'ai cité les déclarations adoptées au sommet de l'OSCE, à Istanbul en 1999, à Astana en 2010 ou à Pratica di Mare en 2002, entre les dirigeants de la Russie et de l'Otan. Ces textes stipulent clairement que personne ne renforcera sa sécurité au détriment de celle des autres et qu'aucune organisation dans l'espace euro-atlantique de l'OSCE ne peut prétendre à la domination dans cette région. L'Otan refuse catégoriquement de respecter ces deux clauses.

Vous avez posé une très bonne question: quelles sont les raisons de la situation actuelle et du maintien de la position occidentale? Je ne voie qu'une seule explication: une volonté têtue et obstinée de maintenir sa suprématie dans n'importe quel domaine et de montrer à tout le monde que c'est l'Otan qui dicte la loi en Europe. Jens Stoltenberg vient de déclarer que l'Otan était responsable de la sécurité globale. Nous n'avons donc aucune confiance en affirmations que l'Otan est une alliance défensive. Si elle était défensive, son objectif serait sa défense. Par ailleurs, personne ne l'a agressée. L'Alliance décidait tout elle-même. D'abord, sa ligne de défense était le mur de Berlin. Suite à la disparition de ce dernier, l'Otan s'est mise à rechercher de nouvelles zones de défense, à s'élargir vers l'est. Qui plus est, elle créait chaque fois, unilatéralement, de nouvelles lignes de défense. La dernière se trouve tout près des frontières de la Fédération de Russie. Nous l'avons expliqué à plusieurs reprises. Le Président russe Vladimir Poutine a évoqué de manière très claire notre position au cours de ses interventions publiques et de ses longs entretiens avec les dirigeants occidentaux. S'il s'agit des contacts bilatéraux, ces pays expriment visiblement une certaine volonté de nous comprendre, mais, dès qu'ils se réunissent, quelque chose change. Cela s'explique probablement par le rôle directeur des États-Unis qui donnent des ordres et des instructions. C'est dommage. Mais nous sommes toujours ouverts au dialogue qui commencera certainement tôt ou tard.

Tout le monde sait parfaitement que l'Ukraine a fait face à un coup d'État qui n'avait aucun prétexte raisonnable. Il a eu lieu un jour après l'accord entre le président et l'opposition sur l'organisation des élections que les opposants auraient gagnées facilement. Le Président Vladimir Poutine a demandé à ces collègues, pourquoi ils avaient organisé ce coup d'État. Sinon, l'accord aurait été respecté et il n'y aurait pas eu d'insurrection contre les putschistes en Crimée. La péninsule serait restée ukrainienne. Nous avons bien expliqué tout cela. Mais, dans le contexte actuel, nous ne pouvons pas accepter le maintien de cette menace, parce qu'on transformait depuis longtemps l'Ukraine en anti-Russie, en plateforme de torpillage de tout ce qui était russe. Il s'agissait d'un élément d'un grand jeu géopolitique. Souvenez-vous des propos de Zbigniew Brzeziński: « La Russie et l'Ukraine constituent une superpuissance ». Si je ne me trompe pas, il a également suggéré d'utiliser l'Ukraine pour torpiller les intérêts, l'influence et la culture russes. Il a également appelé à utiliser l'Ukraine pour torpiller l'orthodoxie ce qui se passe aujourd'hui. Le Président Piotr Porochenko a lancé cette politique, poursuivie activement par Vladimir Zelenski. Nous n'avons donc pas de déficit de bonne volonté, mais nous ne permettrons pas de nuire constamment et grossièrement aux intérêts russes, de créer des menaces physiques pour la sécurité de la Russie.

à suivre