À l'été 40, après l'effondrement français de mai-juin, l'historien Marc Bloch rédigea un ouvrage saisissant intitulé : « l'étrange défaite ». Dans ce qui se voulait la déposition d'un vaincu devant le tribunal de l'Histoire, il analysait les ressorts de la défaite militaire et de l'effondrement brutal de l'État et des institutions de la IIIe République à la suite de l'offensive allemande.
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Le Maréchal Pétain, 1940
Si la société française tout entière en prenait pour son grade, les cibles principales étaient l'État et l'armée. Il pointait en particulier « l'absurdité de notre propagande officielle, son irritant et grossier optimisme, sa timidité et l'impuissance du gouvernement à définir honnêtement ses buts de guerre ». Et l'art inimitable de la défausse qui caractérisait la caste : « Nous venons de subir une incroyable défaite. À qui la faute ? Au régime parlementaire, à la troupe, aux Anglais, à la cinquième colonne, répondent nos généraux. À tout le monde, en somme, sauf à eux. »

La guerre en Ukraine agit comme une démonstration de la permanence de ces tares au sein des élites de notre pays

Le déclenchement de la guerre

Si c'est bien la Russie de Vladimir Poutine qui a lancé son offensive, la responsabilité de notre pays dans le déclenchement de la guerre est très lourde. Malgré les gesticulations d'Emmanuel Macron, la France a été incapable d'accomplir son devoir, et ce, en commettant un parjure.

Oui parce qu'après le coup d'État téléguidé par l'OTAN en 2014 à Kiev, et le début d'une guerre civile marquée par des violences considérables à l'encontre de la population russophone du Donbass, nous avons été un acteur diplomatique pour tenter de trouver une solution. D'abord avec François Hollande puis Emmanuel Macron, notre pays a été un des acteurs de l'adoption « des accords de Minsk ». Signés par le gouvernement ukrainien, la Russie, mais aussi la France et l'Allemagne, nous en étions les garants.

Violant notre parole, nos dirigeants n'ont strictement rien fait pour imposer leur application par l'Ukraine. Qui par son refus violait lourdement ses obligations internationales. Rappelons que Volodimir Zelensky avait été élu sur la promesse de les mettre en œuvre. Avant de revenir sur ses engagements sous la pression des forces néonazies implantées dans l'appareil d'État. Prétendre que leur application et leur respect n'auraient rien changé est une blague. Cette défaillance nous retirait toute légitimité diplomatique pour être ne serait-ce qu'écoutés par la partie russe. Surtout que l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN, évident casus-belli géostratégique, était soutenue par la sombre nullité qui nous servait de ministre des Affaires étrangères, au nom de la souveraineté de Kiev ! Comme l'indique la citation attribuée à Montesquieu : « les responsables des guerres sont moins ceux qui les ont déclenchés que ceux qui les ont rendues inévitables ».

Absurdité de la propagande

Marc Bloch dénonçait l'absurdité de la propagande officielle du gouvernement de 40 et son irritant et grossier optimisme.

Que dire de celle d'Emmanuel Macron ? Peut-être histoire de donner des gages de loyauté au maître de l'Occident, il affirmait le 24 mars au sommet de l'OTAN : « L'économie russe est en cessation de paiement, (...) son isolement est croissant » On sait ce qu'il en est de ces affirmations. Tout d'abord, l'économie russe ne se porte pas si mal, et elle profite plutôt du régime des sanctions, comme le démontre ses comptes. Donc pour l'instant la cessation de paiement, ce n'est même pas en rêve. Quant à l'isolement, c'est également prendre ses désirs pour des réalités. Les pays qui n'ont pas condamné la Russie pour l'invasion de l'Ukraine représentent 82 % de la population mondiale... Un peu de sérieux ne serait pas de trop.

Que dire de celle de Bruno Lemaire ne voyant aucun inconvénient à passer pour un imbécile en annonçant triomphalement : « Les sanctions sont d'une efficacité redoutable. Nous allons livrer une guerre économique et financière totale à la Russie. Nous allons provoquer l'effondrement de l'économie russe. » ? Cela n'a pas gêné Emmanuel Macron qui, après sa réélection, a prestement reconduit un ministre de l'Économie aussi clairement ridicule.

Que dire de celle de la presse système avec son incroyable défaillance, quand 90 % des journalistes, oubliant leur déontologie professionnelle et la charte de Munich, se transforment en militants acharnés du récit médiatique d'une défaite militaire russe ? Récit concocté par les officines opaques entourant Zelensky, le bateleur de Kiev, et n'ayant rien à voir avec ce qui se passe réellement sur le terrain.

Le mensonge éhonté mis au service d'une guerre de la communication, pour l'utilisation duquel Zelensky quant à lui, a l'excuse de le faire pour ce qu'il pense être les intérêts de son pays. BHL, menteur professionnel, à celle de l'avoir toujours fait. On retiendra, en particulier, l'exemple de la volonté furieuse de minimiser la présence et l'influences néonazies en Ukraine, et ce, contre des évidences admises en Occident il y a encore quelques mois. Disparus les emblèmes nazis, les retraites aux flambeaux, les grands portraits de génocidaires dans les rues, les rapports des organisations internationales de défense des droits de l'homme, les rapports parlementaires français et américains, les vidéos des exactions, etc., etc. Non le danger fasciste, il était en France avec la présence de Marine Le Pen au deuxième tour de l'élection présidentielle

Que dire de celle des experts de plateaux télévisés, de la presse et des réseaux aux compétences parfois limitées et dépourvus de la moindre parcelle de bonne foi ?

Ils se partagent en deux catégories qui peuvent d'ailleurs fusionner dans certains cas : ceux à qui leur nullité permet de raconter n'importe quoi, sans avoir mauvaise conscience. Ceux qui savent très bien que leurs fariboles ne tiennent pas debout, mais se considèrent en mission. Soit pour des motifs de carrière, soit au service d'intérêts étrangers. On citera le général d'aviation Clermont éructant son racisme anti-russe pour proférer des énormités. Le général Yakovlev dont la carrière au sein de l'OTAN fournit peut-être une explication. Jusqu'au chef d'état-major de l'Armée Française, oublieux de son statut et affichant des camaraderies politiques incongrues sur les réseaux sociaux. On pense aussi au colonel en retraite Michel Goya qu'on avait connu mieux inspiré. Tout content d'avoir été adoubé par la presse atlantiste, il a renié ses analyses sur l'armée russe en Syrie au profit d'une reprise quasi littérale de la production des pires sites néoconservateurs américains.

Le début de la fin de la mondialisation occidentale

Nous avons dit dans ces colonnes que l'invasion russe du 24 février dernier marquait le début d'un affrontement géostratégique qui dépasse le théâtre ukrainien. Et qui enclenche peut-être le processus de la fin de la globalisation comme forme contemporaine de la domination de l'Occident. Par incapacité à résister aux pressions américaines, par pusillanimité face à l'Allemagne, force dominante économique et bientôt militaire de l'UE, nous sommes du mauvais côté de la barricade.

Nous avons accepté le coup d'État d'Ursula von der Leyen présidente de la Commission européenne s'arrogeant des pouvoirs dont elle ne devrait pas légalement disposer. Nous avons souscrit avec zèle à toutes les sanctions suicidaires mise en place par l'Europe contre la Russie et dont il ne fallait pas être grand clerc pour savoir qu'elles allaient avoir un effet boomerang terrible. Ou au moins écouter un Charles Gave rigolard, décrivant, dès l'annonce des premières sanctions, ce qui allait nous arriver. Concernant l'aspect militaire, le narratif d'une défaite de Moscou sur le terrain est en train de s'effondrer. Il est d'ailleurs intéressant de constater que la presse occidentale, à la remorque du New York Times et du Washington Post, multiplie les virages sur l'aile sur ce point. Mais chez nous, le récit, désormais inepte de la débandade russe, fait encore de la résistance.

Histoire d'enfoncer le clou, on invitera à la lecture attentive d'un article publié sur le site du journal britannique « The Guardian » le 2 juin dernier, signé par Larry Elliott, rédacteur en chef économie du quotidien et intitulé : « La Russie est en train de gagner la guerre économique - et Poutine n'est pas près de retirer ses troupes ». Ah bon ? Emmanuel Macron, Bruno Lemaire et BFM se seraient donc trompé ? On nous aurait menti ?

Le diagnostic de Larry Elliott est sans appel quoique formulé à l'aide de l'art très britannique de l'euphémisme :
« La défaite complète de Poutine sur le champ de bataille est une façon dont la guerre pourrait se terminer, bien qu'en l'état actuel des choses, cela ne semble pas si probable.... Le potentiel de graves dommages collatéraux de la guerre économique est évident : baisse du niveau de vie dans les pays développés ; la famine, les émeutes de la faim et une crise de la dette dans les pays en développement. »
Bigre, si l'on comprend bien, la défaite militaire de la Russie est improbable, et en attendant l'Europe est singulièrement dans la mélasse, terme choisi pour rester poli.

Avec « l'étrange défaite », « L'équipe mixte » est de retour

Marc Bloch avait témoigné de l'insuffisance de ces élites qui sombrèrent en mai, juin et juillet 1940. Il avait considéré la défaite et la débâcle françaises comme de la responsabilité du gouvernement et du commandement, influencés par les élites militaires, économiques et sociales.

Les dirigeants français d'aujourd'hui, mandataires du bloc élitaire, sont-ils à la hauteur du défi lancé à notre pays par cet événement méta historique ? La réponse est évidemment négative. Sinon, nous n'en serions pas là. Emmanuel Macron qui a tous les culots vient d'annoncer la création d'un Conseil national de la Refondation, par référence au Conseil national de la résistance (CNR) dont le programme a permis l'instauration de l'État-providence à la française. Pour poursuivre sa destruction le Président de la République, qu'on imagine jubilant du bon tour, n'hésite pas à en confier la mission à un organisme de même acronyme. Il se justifie en disant :
« nous vivons un temps comparable. Nous sommes dans une ère historique qui impose de changer profondément de modèles, et puis la guerre est là en Ukraine ».
Le problème, Monsieur le président, c'est que cette guerre, nous sommes en train de la perdre et qu'avec vos amis, vous serez responsable de la défaite.

Nous proposerons pour conclure, de solliciter un autre témoin majeur de l'effondrement de 40 en la personne de Charles de Gaulle. Qui prononça le 18 juin 1941 au Caire, un discours pour le premier anniversaire de son appel. Dans le début duquel, il écrivait l 'Histoire en quatre phrases fulgurantes :
« Le 17 juin 1940 disparaissait à Bordeaux le dernier gouvernement régulier de la France. L'équipe mixte du défaitisme et de la trahison s'emparait du pouvoir dans un pronunciamento de panique. Une clique de politiciens tarés, d'affairistes sans honneur, de fonctionnaires arrivistes et de mauvais généraux se ruait à l'usurpation en même temps qu'à la servitude. Un vieillard de 84 ans, triste enveloppe d'une gloire passée, était hissé sur le pavois de la défaite pour endosser la capitulation et tromper le peuple stupéfait. »
Malheureusement, politiciens tarés, affairistes sans honneur, fonctionnaires arrivistes et mauvais généraux, ils sont tous là. L'équipe mixte est de retour. Elle est au pouvoir et il faut rappeler que la confiance lui a été largement renouvelée le 24 avril dernier.