Les États-Unis, l'Allemagne, l'Espagne, la Norvège ainsi que d'autres pays occidentaux ont annoncé, comme un effet domino, la livraison de plusieurs chars lourds à l'Ukraine afin de permettre à Kiev de faire face aux forces russes. Des décisions qualifiées de "dangereuses" par Moscou, qui suscitent des craintes "d'escalade" entre la Russie et l'Otan.
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La Nef des fous de Jérôme Bosch
La décision allemande était scrutée depuis plusieurs semaines. Mercredi 25 janvier, le chancelier Olaf Scholz s'exprimait devant le Parlement. À la mi-journée, Berlin a annoncé son feu vert pour la livraison de chars Leopard à l'Ukraine et le transfert de ces chars par les pays alliés. L'annonce a été faite par le porte-parole du gouvernement d'Allemagne, Steffen Hebestreit, dans un communiqué.

L'Ukraine devrait recevoir deux bataillons de chars, disposant chacun de 40 Leopards. Une livraison à laquelle prendront également part le Portugal, la Finlande, l'Espagne, les Pays-Bas, la Pologne et la Norvège.

La décision allemande a vite été applaudie en Grande-Bretagne par la voix de son Premier ministre, Rishi Sunak. "Aux côtés des Challenger 2, ils renforceront la capacité défensive de l'Ukraine", a-t-il écrit sur Twitter.

Son homologue polonais, Mateusz Morawiecki, a remercié l'Allemagne en saluant "un grand pas vers l'objectif d'arrêter la Russie". En France, c'est l'Élysée qui s'est "félicité" de cette décision, en estimant que cela "amplifie" le soutien de Paris à l'Ukraine après l'envoi de blindés AMX10-RC. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, s'est dit "reconnaissant", sa présidence en profitant pour exhorter les pays Occidentaux à fournir plus de chars, "déterminants pour notre future victoire".

Peu après l'annonce du gouvernement allemand, c'est la décision des États-Unis qui était scrutée avec un discours de Joe Biden prévu dans la soirée de mercredi. Le président américain, qui s'est entretenu avec les dirigeants allemands, français, italiens et britanniques au sujet de l'aide à apporter à l'Ukraine, a annoncé à son tour l'envoi de "31 chars d'assaut M1 Abrams". Des blindés qui s'ajoutent aux systèmes de défense antiaérienne Patriot, dont la livraison a été annoncée fin décembre 2022.

Livraison confirmée pour 77 chars lourds sur 130 attendus

En France, sans annoncer une livraison de chars lourds français (chars Leclerc) à destination de l'Ukraine, la Première ministre Elisabeth Borne a rappelé mercredi au Sénat que "rien n'est exclu", bien que le gouvernement pourrait décider d'envoyer d'autres types de matériel militaire, comme l'a fait savoir le ministre des Armées, Sébastien Lecornu. Ce dernier a affirmé que sa décision sera rendue publique "dans les prochains jours".

De leurs côtés, la Norvège, la Pologne, la Finlande, les Pays-Bas et l'Espagne ont également proposé de fournir des chars Leopard 2 à l'Ukraine, sans donner plus de détails sur leurs nombres.

Au total, Kiev pourrait recevoir plus de 130 chars lourds. La livraison de 77 unités a été confirmée, dont 14 de la part de l'Allemagne, 14 Challenger 2 de la part de la Grande-Bretagne, 31 chars Abrams de la part des États-Unis, 14 blindés de la part de la Pologne et 4 de la part du Portugal. L'Espagne, la Norvège, la Suède, les Pays-Bas, la Finlande et le Danemark ont également exprimé leur volonté de livrer à l'Ukraine leurs Leopard 2 sans donner plus de détails sur les chiffres.

La livraison de ces premiers chars lourds occidentaux ne pourrait intervenir avant "fin mars - début avril", à se référer au ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius. Un délai supplémentaire devrait être pris en considération pour la formation des militaires ukrainiens à l'usage de ces chars et leur entretien.

"L'Otan ne veut pas d'une solution diplomatique", regrette Moscou

Suite à la décision allemande, Moscou a averti, dans la foulée, que les chars occidentaux vont "brûler" une fois livrés à l'Ukraine. L'Occident "surestime le potentiel que les chars pourraient donner à l'armée ukrainienne", a déclaré à la presse le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. "Ces chars lourds sont très coûteux et cela ­retombera avant tout sur les épaules des contribuables européens. Les Américains, comme toujours, ­retrouveront leur argent au minimum et probablement feront de bons bénéfices", a-t-il commenté.

L'ambassadeur russe en Allemagne a, lui, dénoncé une décision "extrêmement dangereuse" qui va "amener le conflit vers un nouveau niveau de confrontation". "Cela nous persuade une fois encore que l'Allemagne, à l'instar de ses alliés les plus proches, ne veut pas d'une solution diplomatique à la crise ukrainienne, et qu'elle veut une escalade permanente", a estimé Sergueï Netchaïev.

Le gouvernement de Vladimir Poutine affirmait par la suite qu'une décision de Washington sera "une provocation évidente". "Si les États-Unis décidaient de livrer des chars, alors justifier ce choix en invoquant l'argument des 'armes défensives' ne fonctionnerait pas. Il est évident que Washington tente délibérément de nous infliger une défaite stratégique", a dénoncé l'ambassadeur russe aux États-Unis, Anatoli Antonov.

"Éviter" une escalade "inévitable"

Olaf Scholz a néanmoins tenu à faire preuve de prudence dans son discours pour justifier ces livraisons de chars Leopard 2.
"Nous faisons ce qui est nécessaire et possible pour soutenir l'Ukraine, mais nous empêchons en même temps une escalade de la guerre, vers une guerre entre la Russie et l'Otan", a affirmé le chancelier allemand devant le Bundestag, mercredi. "Les expéditions d'armes à l'Ukraine visent à aider le pays à se défendre tout en évitant une nouvelle escalade de l'agression russe. C'est pourquoi il était juste et intentionnel que nous progressions petit à petit", a-t-il plaidé.
Joe Biden a de son côté affirmé que ces livraisons ne constituent pas
"une menace offensive contre la Russie" mais s'inscrivent dans "l'engagement de pays à travers le monde menés par les États-Unis pour aider l'Ukraine à défendre sa souveraineté et son intégrité territoriale".
Pourtant, des responsables ukrainiens ou français ne se font pas d'idées quant aux conséquences de ces livraisons sur le déroulement de la guerre. Hier, lors de la séance de questions au gouvernement, le sénateur Claude Malhuret a exhorté la France à suivre
"l'exemple allemand" et fournir des armements lourds à Kiev "afin de faire définitivement basculer le conflit en faveur de l'Ukraine". "On ne peut dire aux Ukrainiens qu'on les soutiendra jusqu'à la victoire finale et dire que l'on ne veut pas d'escalade car, par définition, la victoire nécessite une escalade", a-t-il estimé. Et d'ajouter : "Depuis un an, nous laissons à Poutine le monopole de l'escalade, c'est lui qui fixe les lignes rouges, et nous qui craignons de les franchir".
Mykhaïlo Podoliak, conseiller et proche du président ukrainien, est du même avis :
"Je le confirme officiellement : une escalade de la guerre en Russie est inévitable et il y aura différents coups portés à différentes cibles", a-t-il dit. Il menace même d'une "escalade de la guerre à l'intérieur de la Russie. Ces villes choyées et paresseuses qui pensaient vivre dans une autre réalité seront exposées. Moscou, Saint-Pétersbourg, Iekaterinbourg... Tout sera exposé à l'escalade de la guerre, mais cette escalade est un problème interne de la Fédération de Russie".