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Les médias occidentaux commencent à constater que le soutien indéfectible de leurs hommes politiques à Israël et à l'Ukraine diminue la position de leurs pays sur la scène internationale.

Sur Naked Capitalism, Yves Smith note les effets politiques dévastateurs de l'attentat de Gaza sur la politique étrangère de Joe Biden :
Biden reçoit le traitement Zelensky au Moyen-Orient alors qu'Israël tente l'escalade

Les États-Unis, dans une démonstration continue du degré d'amateurisme de ce qu'ils pensent être leur leadership, semblent croire qu'ils ont encore la force et le pouvoir de persuasion nécessaires pour se sortir de leurs pétrins géopolitiques par la force. Pourtant, cette semaine, nous avons des exemples stupéfiants de la façon dont les acteurs essentiels du reste du monde n'achètent plus ce que les États-Unis vendent. Le fossé entre le rapport de l'establishment américain à la réalité et les faits sur le terrain s'est creusé en un gouffre béant dans le monde arabe, la Jordanie ayant annulé un sommet de Biden avec son roi Abduallah II, le chef de l'OLP Mahmoud Abbas et le président égyptien Abdel Fattah El-Sisi en réponse au bombardement par Israël de l'hôpital arabe d'Al-Ahli. Ils rejettent non seulement la tentative de placer la responsabilité de l'attaque sur le Hamas (nous reviendrons bientôt sur l'allégation d'un "obus malveillant"), mais aussi la grande prétention qui se cache derrière cela, à savoir que les États-Unis sont incapables de mettre une chaîne d'étranglement à Israël, ou plutôt qu'ils n'en ont pas la volonté.

Même les médias occidentaux ne sont pas vraiment d'accord avec l'accusation d'Israël et de l'administration Biden disant que le Hamas aurait fait le coup, alors qu'Israël essaye de faire quitter le nord de Gaza aux Palestiniens et a notamment tenté d'ordonner l'évacuation de l'hôpital. Oh, et ceci fait suite à l'ordre donné par Israël à l'ONU d'évacuer Gaza dans les 24 heures et au bombardement de son entrepôt sur place : ...
Israël a bombardé, probablement avec un missile Hellfire de fabrication américaine, la cour de l'hôpital baptiste arabe al-Ahli où des milliers de personnes avaient trouvé refuge. Une courte vidéo de l'après-coup immédiat montre plusieurs dizaines, voire centaines de morts et de blessés. Des médecins ont ensuite tenu une conférence de presse au milieu des blessés.

Comme d'autres hôpitaux, al-Ahli Arab avait reçu l'ordre d'Israël d'évacuer mais n'avait pas pu le faire car il n'y avait pas d'autres endroits où les malades et les blessés, y compris de nombreux cas en soins intensifs, pouvaient être soignés.

Trois jours plus tôt, note l'ONU, le même hôpital avait, comme d'autres, déjà été bombardé :
14 octobre 2023 : Dans la ville et le gouvernorat de Gaza, l'hôpital Ahli Arab a été touché par des frappes aériennes israéliennes, endommageant partiellement deux étages et la salle d'échographie et de mammographie. Quatre personnes sont blessées. Sources : Al Jazeera V et communication personnelle
Il est incroyable de prétendre ensuite, comme l'a fait Biden, que "l'autre équipe" soit responsable de l'attaque.

Il était également beaucoup trop tard, estime un membre du RUSI :
Je vais le répéter car la situation a évolué davantage au cours des 16 dernières heures qu'au cours de la semaine précédente.

Les plaques se sont déplacées, radicalement. La fenêtre pour les opérations israéliennes s'est rétrécie, passant de plus d'un mois à quelques jours... voire à rien du tout.

Telle est la réalité de notre situation.
Aucun pays, à part les États-Unis et quelques pays Européens, ne défendra jamais une telle barbarie. Ils n'écouteront tout simplement plus ce que l'Occident a à dire.

Le Financial Times cite un fonctionnaire du G7 qui se débat avec cette fracture mondiale :
La précipitation de l'Occident à soutenir Israël érode le soutien des pays en développement à l'Ukraine (archivé)

Le soutien de l'Occident à l'assaut israélien contre Gaza a empoisonné les efforts visant à dégager un consensus avec d'importants pays en développement sur la condamnation de la guerre de la Russie contre l'Ukraine, ont averti des fonctionnaires et des diplomates.

La réaction à l'attaque du 7 octobre contre Israël par le groupe militant islamiste Hamas et à la promesse d'Israël de riposter contre Gaza a réduit à néant des mois de travail pour dépeindre Moscou comme un paria mondial pour avoir violé le droit international, ont-ils déclaré, exposant les États-Unis, l'Union européenne et leurs alliés à des accusations d'hypocrisie.

Au cours de visites diplomatiques d'urgence, de vidéoconférences et d'appels téléphoniques, les responsables occidentaux ont été accusés de ne pas défendre les intérêts des 2,3 millions de Palestiniens dans leur empressement à condamner l'attaque du Hamas et à soutenir Israël.

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La réaction brutale a renforcé des positions bien ancrées dans le monde en développement sur le conflit israélo-palestinien, ont déclaré des responsables. Ils ont averti que cela pourrait faire dérailler les futurs efforts diplomatiques sur l'Ukraine.

"Nous avons définitivement perdu la bataille pour les pays du Sud", a déclaré un haut diplomate du G7. "Tout le travail que nous avons accompli avec le Sud [sur l'Ukraine] a été perdu [...]. Oubliez les règles, oubliez l'ordre mondial. Ils ne nous écouteront plus jamais".

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Certains diplomates américains s'inquiètent en privé du fait que la réponse de l'administration Biden n'a pas reconnu que son large soutien à Israël peut aliéner une grande partie des pays du Sud.
Le New York Times exprime des préoccupations similaires à l'occasion de la réunion anniversaire de l'initiative de coopération régionale (BRI), qui réunit actuellement quelque 140 États à Pékin :
De nouvelles divisions mondiales en vue alors que Biden se rend en Israël et Poutine en Chine

La Russie et la Chine prennent le parti d'un peuple palestinien en quête de libération et d'autodétermination, alors qu'aux yeux de Washington, elles refusent ces mêmes possibilités aux Ukrainiens, aux Tibétains, aux Ouïghours et même aux Taïwanais.

Mais en hésitant à blâmer le Hamas et en s'efforçant de s'associer à la cause palestinienne, la Russie et la Chine font appel à un sentiment plus large dans ce qu'il est convenu d'appeler le Sud global - et dans une grande partie de l'Europe également. Pour eux, c'est Israël qui mène une politique colonialiste en occupant la Cisjordanie, en encourageant les colons juifs à s'installer sur les terres palestiniennes et en isolant les 2,3 millions d'habitants de Gaza, qui sont soumis, même en temps normal, à de fortes restrictions de leurs libertés.

Selon Hanna Notte, directrice du programme Eurasie au James Martin Center for Nonproliferation Studies, le Sud global, qui désigne les pays en développement, est une zone vitale de la nouvelle concurrence entre l'Occident et l'alternative sino-russe.

Du point de vue de nombreux pays du Sud, a-t-elle ajouté, "les États-Unis combattent la Russie, l'occupant de l'Ukraine, mais lorsqu'il s'agit d'Israël, les États-Unis sont du côté de l'occupant, et la Russie exploite cette situation".
Le comité éditorial du Washington Post déclare également l'échec des politiques américaines :
Ce serait une erreur morale et stratégique d'ignorer la situation critique de Gaza

Pourtant, les États-Unis et la communauté internationale dans son ensemble ont traité le sort des habitants de Gaza comme un fait triste mais immuable dans un conflit insoluble. Il s'agit d'une erreur morale et stratégique, qui a contribué à promouvoir l'instabilité qui a, pour l'instant, réduit à néant les efforts déployés par Israël, les États-Unis et les États arabes pour parvenir à un règlement diplomatique durable entre les principaux acteurs de la région.
Le Conseil Carnegie explique comment ce fossé global nécessite un changement dans les politiques occidentales. Il estime en particulier qu'il est nécessaire d'abandonner les politiques dites "fondées sur des valeurs" ou "fondées sur des règles" :
Requiem pour l'ordre fondé sur des règles

Les arguments en faveur d'une éthique neutre en termes de valeurs dans les relations internationales

Quelle que soit son issue, la guerre russo-ukrainienne représente un événement sismique qui annonce de profonds changements dans le paysage mondial. L'ère unipolaire touche à sa fin, les grands pays sont plus soucieux de leur souveraineté culturelle et de leur autonomie stratégique qu'ils ne l'ont été depuis des décennies, et il semble inévitable que l'hégémonie occidentale, autrefois dominante, doive progressivement céder la place à un système plus diversifié et multipolaire.

La période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale a vu l'ascension des États-Unis et de leurs alliés en tant qu'architectes d'un nouvel ordre international fondé sur l'institutionnalisation de valeurs occidentales telles que la démocratie et les droits de l'homme. Cette approche occidentale de la gouvernance mondiale, connue sous le nom d'"ordre fondé sur des règles", s'est heurtée à des difficultés croissantes. La montée en puissance de la Chine, la subversion géopolitique de la Russie et l'affirmation croissante des puissances émergentes du Sud ont érodé la domination occidentale. Il en résulte un monde plus diversifié, caractérisé par la coexistence de multiples centres de pouvoir qui remettent en question toute idéologie ou tout ensemble de valeurs fondamentales.

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Notre sens particulier de la moralité en Occident ne doit pas nous empêcher d'aspirer à poursuivre ce qui est à la fois sage et juste. L'évolution de l'ordre international, caractérisé par le polycentrisme et la multipolarité, remet en question l'ordre conventionnel "fondé sur des règles" dominé par l'Occident. En nous inspirant de la perspective de Nietzsche sur les valeurs, nous reconnaissons que les valeurs dépendent du contexte plutôt qu'elles ne sont innées, intemporelles ou universelles. De même, le déclin de l'ancien régime ne signifie pas la fin de l'éthique internationale. Si la transition actuelle est comprise correctement, elle pourrait promettre la naissance d'un nouveau système normatif basé sur une éthique fonctionnelle, neutre en termes de valeurs, situationnelle et diplomatique, dont la principale préoccupation est de gérer les relations réciproques entre les puissances mondiales.

Au lieu d'essayer d'imposer nos valeurs aux autres (même si nous pensons qu'elles sont bonnes ou vraies), nous, Occidentaux, devrions donner la priorité à l'engagement avec les autres grandes puissances sur la base d'intérêts communs et d'objectifs partagés. ...

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En résumé, dans le cadre intellectuel offert par le réalisme culturel, nous avons besoin d'une éthique instrumentale et pragmatique alternative qui 1) accepte les réalités de la politique de puissance et des sphères d'intérêt sans moraliser et projeter une mentalité manichéenne sur le monde, et 2) s'appuie sur des principes propices à un modus vivendi pluraliste, notamment la reconnaissance mutuelle et égale, l'esprit d'État, la non-ingérence, l'humilité, l'empathie stratégique et le dialogue ouvert.
Certains pourraient dire que l'Occident ne changera jamais son comportement, mais je ne crois pas.

L'Occident DEVRA changer de comportement, sinon il entrera dans le cimetière de l'histoire. Il n'y a pas d'alternative car l'ordre fondé sur des règles s'avère être une impasse.

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone