Plus de cent jours depuis le début de la guerre en Libye, il apparaît ouvertement que la stratégie des États-Unis et de l'OTAN vise plus que jamais l'assassinat politique.
Des chasseurs américains et européens ont mené de nombreux raids aériens contre l'enceinte résidentielle de Mouammar Kadhafi, tuant ainsi des membres de sa famille. Frustrés par la durée de l'opération, qui est essentiellement dans une impasse, les stratèges militaires concentrent de plus en plus leurs efforts à déposer le chef d'État libyen pour transférer le pouvoir à d'autres forces au sein du régime. Cela pourrait se faire par une révolte dans le cercle rapproché de Kadhafi ou, sinon, par l'assassinat.
Plus tôt cette semaine, Mike Turner, un congressiste républicain et membre du House Armed Services Committee, a parlé d'une discussion qu'il avait eue avec l'amiral Samuel Locklear dans laquelle le commandant de l'OTAN en Italie a admis explicitement l'existence d'une politique d'assassinat. Selon Turner, Locklear « a expliqué que le mandat de protection de la population était interprété afin de permettre la déposition de la hiérarchie de commandements de l'armée de Kadhafi, dont Kadhafi fait lui-même partie ».
Mardi dernier, Stratfor, un groupe de réflexion étroitement lié à l'appareil d'État américain, a affirmé que les accusations de crime de guerre portées contre Kadhafi par la Cour pénale internationale « donnent une impulsion accrue à l'actuelle stratégie de l'OTAN consistant à utiliser la puissance aérienne pour assassiner le chef libyen dans le but d'accomplir la mission : un changement de régime ».
Mercredi dernier, le président américain Barack Obama a amené sa position lors d'une conférence de presse qui traitait essentiellement des plans pour d'énormes coupes dans les programmes sociaux aux États-Unis. Grâce aux actions des États-Unis, a déclaré Obama, cet « homme qui parrainait des opérations terroristes contre les États-Unis d'Amérique est maintenant acculé au pied du mur et le noeud coulant se resserre ». Ce n'était pas la première fois qu'Obama décidait de faire référence au lynchage en parlant de Kadhafi.
Durant sa conférence de presse, Obama a fait plusieurs déclarations extraordinaires sur le sujet de la Libye. Il a écarté les questions constitutionnelles soulevées par la loi sur les pouvoirs de guerre - promulguée après les révélations que l'État avait menti et agi criminellement durant la guerre des États-Unis au Vietnam - les qualifiant de « bavardage sur le processus et sur la consultation au Congrès, et ainsi de suite ». Le président, supposément un étudiant du droit constitutionnel, a tourné en dérision ceux qui critiquent l'illégalité de la guerre en Libye en disant qu'ils faisaient des « histoires ».
Ensuite, n'ayant même pas d'argument pseudolégal pour justifier sa politique, Obama s'est rabattu sur l'argument que Kadhafi, « avant Oussama Ben Laden, a été responsable de la mort de plus d'Américains qu'à peu près n'importe qui sur la planète ».
Personne des médias n'a jugé bon d'insister pour que le président revienne sur cette question. Avant la décision de bombarder la Libye en mars, Kadhafi profitait de relations amicales avec toutes les grandes puissances, y compris les États-Unis. En 2003, la Libye avait mis un terme à son programme d'armement nucléaire et biologique et ce geste avait été louangé par l'administration Bush comme le modèle à suivre pour l'Iran et la Corée du Nord.
En avril 2009, le fils de Kadhafi, à ce moment ministre de la Sécurité nationale du pays, a été chaleureusement accueilli par Hillary Clinton au département d'État. Cet événement a été suivi deux mois plus tard par une poignée de main, bien couverte dans les médias, entre Kadhafi et Obama.
Durant cette période, Kadhafi signait d'importants contrats avec les sociétés pétrolières américaines et européennes. Ensuite, pour des raisons qui n'ont jamais clairement été expliquées, mais qui sont clairement liées aux intérêts géostratégiques des puissances européennes et des États-Unis, la décision fut prise de renverser le régime de Kadhafi et de mettre en place un régime qui serait encore plus lié aux intérêts de l'impérialisme.
Après avoir d'abord tenté de déposer le gouvernement en appuyant les « rebelles » à l'est et à l'ouest, les États-Unis et l'OTAN adoptent maintenant une méthode plus directe.
Cette « pression ciblée, chirurgicale », signifie le recours aux drones téléguidés de l'armée et de la CIA ainsi qu'aux forces spéciales comme celles qui ont assassiné Ben Laden. Sous l'administration Obama, les États-Unis ont considérablement intensifié l'utilisation des drones en Afghanistan, au Pakistan, en Irak, au Yémen et maintenant en Libye, pour tuer toute personne qui serait qualifiée de « militant » ou de « terroriste ». Un sixième pays a été ajouté à la liste la semaine dernière lorsqu'un drone américain a attaqué les présumés dirigeants d'une organisation affiliée à Al-Qaïda en Somalie.
Dans une période historique précédente, des sections de la classe dirigeante américaine ont vu les immenses dangers que posaient de telles politiques. En 1965, après son arrivée au pouvoir, confronté à la révélation de complots d'assassinat par les États-Unis dans diverses parties du monde, le président Lyndon Johnson avait déclaré que les États-Unis « dirigent un satané Meurtre inc. »
En 1976, la commission Church, qui a mené des enquêtes du Sénat sur les complots d'assassinat de la CIA, avait conclu qu'une politique d'assassinat « transgresse les préceptes moraux essentiels à notre mode de vie ». Un ordre exécutif émis dans la foulée de la commission a interdit explicitement cette pratique.
Évidemment, il n'y a jamais eu d'âge d'or de l'impérialisme américain. Cependant, il s'est produit un véritable effondrement de la responsabilité légale et démocratique, même si celle-ci n'existait qu'en apparence, au cours des 35 dernières années. Une politique d'assassinat par l'État est le couronnement d'un processus formé de guerres d'agression illimitées, de torture, de détention sans accusation, et de l'érosion des droits démocratiques aux États-Unis. Ce processus est étroitement lié à la transformation des relations sociales aux États-Unis, à la montée d'une aristocratie financière parasite et à la croissance extraordinaire de l'inégalité sociale.
Des politiques visant à assassiner Kadhafi en tant que stratégie militaire auront des conséquences majeures. L'administration Obama et la classe dirigeante américaine démontrent qu'ils sont prêts à tuer extrajudiciairement n'importe qui jugé comme étant un obstacle.
Ce n'est pas qu'un avertissement dirigé vers les organisations politiques ou les chefs d'État étrangers. Il ne fait pas de doute que le personnel du gouvernement américain utiliserait des méthodes semblables contre toute opposition importante au pays même.
Commentaires des Lecteurs
Lettre d'Information