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Si les media se livrent souvent à des opérations d'intoxication ou de déformation des faits, les citoyens n'ont que trop rarement le réflexe (ou l'occasion) de tirer la sonnette d'alarme et de recadrer le débat. Manque de bol pour la chaine de Martin Bouygues, j'ai été témoin direct d'un de ces reportages où les images effleurent à peine la réalité et où les explications sont plus que fantaisistes. Contre reportage.

Qu'on se le dise d'emblée, ne vous attendez à aucun scoop dans cet article, j'ai simplement été témoin d'un événement un peu trop normal.

Installez vous donc confortablement, et regardez le spectacle que nous offre LCI.

On peut y voir quelques types assis bien sagement, un autre qui rentre sans rechigner dans un fourgon, suivi d'un plan où l'on entend un accordéon jouer au rythme des mains qui claquent, encore un autre qui a gagné un ticket pour le commissariat, quelques affaires laissées en vrac, et puis... c'est tout.

Que nous dit la légende de la vidéo ?

« Des heurts ont éclaté ce lundi soir boulevard Saint-Germain, à Paris, entre des policiers et des "indignés". Ces derniers voulaient installer un campement dans la rue. Une manifestation qui n'avait pas reçu d'autorisation préalable. Deux "indignés" ont été blessés et 71 personnes ont été interpellées. Elles ont été réparties dans les commissariats du VIe et du XIIIe arrondissement. »

Un texte que Goebbels lui même n'aurait pas renié. Car cela ne s'est pas vraiment passé de la sorte.

Lorsque je suis arrivé sur les lieux, j'ai pu collecter quelques témoignages directs qui m'ont donné une bonne vue d'ensemble de la situation. A savoir que la marche se trouvait sur le trottoir, avançait pacifiquement et sans protester. Elle s'est alors confrontée à un cordon de policier qui a fait usage de gaz lacrymogènes sans la moindre sommation. Les renforts policiers sont alors arrivés rapidement pour une deuxième rasade de bioxyde de souffre et de chlore, sans oublier l'emploi d'une force disproportionnée face à des marcheurs simplement armés de guitares et de tentes Quechua. Alors, un important dispositif s'est déployé autour d'eux, afin de les prendre au piège, et de les jeter dans des bus pour les emmener au commissariat pour un contrôle d'identité. Les gyrophares du camion de pompier étaient là pour rappeler qu'une jeune femme avait perdu connaissance suite à l'inhalation des gaz, et qu'un autre s'était fait déboîté l'épaule (à ce moment là, j'avais entendu qu'il s'agissait d'un tir de flash ball, ce qui s'est avéré erroné par la suite).

Alors, lorsque j'ai vu une journaliste de LCI avec sa caméra, je suis allé lui apporter les informations dont je disposais. C'est là qu'elle m'a proposé de la suivre pour sécuriser son approche de la zone d'interpellation. Ce soir là, j'étais donc officieusement journaliste pour LCI. Nous étions alors sur le trottoir opposé, en compagnie des touristes et parisiens curieux et des sympathisants du mouvement là pour soutenir leurs camarades qui s'étaient mis en position de la « tortue » pour rendre leur interpellation plus fastidieuse. Ce n'est qu'après de longues discussions antipathiques (et les encouragements des Indignados : « Libertad de prensa ! ») avec les forces de police qu'elle a pu exercer son droit de filmer la scène, et seulement de loin. Alors qu'un bus plein avait déjà quitté les lieux, d'autres fourgons se remplissaient sous nos yeux ébahis. Les marcheurs étaient trainés sur le sol avant d'être placés dans les véhicules. J'étais là, et j'ai vu que ces plans violents étaient filmés. Tout comme les réactions hostiles des policiers face aux passants curieux, à l'image de cette dame âgée dont la pensée libertaire la poussait à soutenir les malheureux. Elle s'exprima face caméra sur son incompréhension de la situation, et au sujet de l'emploi disproportionné de la force. Je suis aussi passé devant l'objectif, où j'ai pu réitéré mes explications concernant l'incident. A croire qu'il ne faisait pas bon montrer ce genre d'information, car toutes ces séquences ont été soigneusement coupées au montage.

Donc non, contrairement aux affirmations de la chaine, les marcheurs ne voulaient pas camper sur le boulevard Saint Germain (qui le voudrait ?). Non, il ne s'agissait pas d'une manifestation (un responsable des RG a parlé de « mauvaise interprétation »...) et non, il ne s'agissait pas de heurts, mais d'une agression unilatérale des forces de polices face à un groupe de marcheurs pacifiques.

Je ne crois pas que je puisse accuser la journaliste. Elle a fait son boulot. Simplement, elle s'est contentée de déposer les bandes à sa rédaction, et l'équipe a fait le reste, surement sous un œil avisé. Il n'empêche que lorsque j'ai tenté de la contacter pour avoir des explications, elle jamais ni décroché, ni répondu à mes SMS pour répondre à mes questions.

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Cet article n'a pas pour but de décrire ce qui s'est passé ce soir là, vous pourrez facilement retracer les événements de la soirée sur la toile.

Ce que je retiens, c'est que :

- La police a mené une opération illégale, face à un groupe de personnes ne constituant aucunement une menace à l'ordre public, employant la force sans aucune sommation

- Les arrestations étaient non conformes au droit, sachant que si une personne est capable présenter sa pièce d'identité sur la voie publique, rien ne justifie son transfert au commissariat.

- La définition de la marche comme « manifestation non déclarée en préfecture » a pour effet de justification de police. Or, aucune autorité compétente n'a pu confirmer que le statut du déplacement en cours ce soir là était une manifestation. LCI n'a donc pas fait son travail d'investigation. Je ne reviendrais pas sur le mensonge sur les intentions des marcheurs, et les approximations sur les commissariats où ont été transférés les Indignés...

- Aucune personnalité politique, ni aucun grand media, ni les français, ne se sont « indignés » de ce pied-de-nez à la démocratie.

LCI a, un jour plus tard, diffusé cette vidéo.

Les images sont cette fois plus parlantes et plus conciliantes. Ceci dit, elles ont été pillées ici, sans aucune mention des soures (autre belle preuve de professionnalisme !), avec toujours la mention mensongère de « manifestation non déclarée en préfecture »... Quitte à faire un sujet, pourquoi ne pas avoir diffusé leurs propres images ?

Pour une vision globale du séjour des Indignés à Paris, je vous invite à lire l'article des Inrocks, qui revient sur l'absurdité du ministère de l'intérieur. A noter le mensonge de la Préfecture, qui dit qu'il n'y a eu qu'un tir de gaz lacrymogène. Faux, j'ai vu de mes propres yeux au moins trois munitions. Les policiers m'ont empêché de les recceuillir...

Quoi qu'on puisse penser de ce mouvement, il est intolérable que les droits fondamentaux des citoyens soient bafoués ostensiblement, et que cela soit relayé (quand ça l'est) de façon biaisée, sans provoquer la moindre réaction de l'opinion publique. Avoir été témoin direct de ce genre d'agissement ne fait que renforcer mon envie bouillonnante de devenir journaliste. Si quelques uns me lisent ici, sachez qu'il faut relever la tête... Même si je sais que vous n'êtes qu'une pierre du processus de médiatisation, nous ne pardonnerons ni n'oublierons vos articles...

La lucha sigue, cueste lo que cueste !! (NDS : "la lutte continue, quel que soit le coût")