Aymeric Chauprade s'apprête à publier la nouvelle version de son ouvrage Chronique du choc des civilisations, qui s'annonce détonante. Le géopolitologue paraît avoir affermi ses convictions sur l'événement fondateur du XXIe siècle : le 11-Septembre. Dans un récent passage radiophonique, il a pu développer quelques-unes de ses idées fortes : le terrorisme international fabriqué, le rôle de l'Etat profond aux Etats-Unis, la guerre de l'information, la faillite des oligarchies mondialistes... Géopolitiquement incorrect ! Rarement un intellectuel de ce niveau aura lâché autant de bombes d'une telle intensité en l'espace d'une seule émission.


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Aymeric Chauprade, né le 13 janvier 1969, est un écrivain, politologue et géopoliticien français. Élève et disciple de François Thual, il se rattache comme lui au courant réaliste. Suite à la publication de la première édition de son ouvrage Chronique du choc des civilisations, il fut limogé sans ménagement de l'Ecole de guerre : un article de Jean Guisnel dans Le Point dénonça son chapitre introductif sur le 11-Septembre, trop complaisant avec les thèses "complotistes", et Hervé Morin, alors ministre de la Défense, le fit virer sur-le-champ. C'était en février 2009.

Aymeric Chauprade était le 24 août 2011 l'invité d'Emmanuel Ratier sur Radio Courtoisie, à l'occasion de la réédition (très augmentée, à 60% !) de son best-seller de géopolitique, déjà vendu à près de 20.000 exemplaires.

Petit balisage de cet entretien absolument passionnant

Après quelques minutes d'introduction, où il revient sur ses différentes fonctions professorales, puis les raisons de son éviction (9e-12e min), Chauprade s'exprime longuement sur le 11-Septembre et le "mythe" qui l'accompagne.

13e min : Il dit pourquoi le doute qu'il a exprimé est à ce point intolérable : "A partir du moment où on doute de la version officielle donnée par les autorités américaines, tout ce qui découle de cette version, de ce nouveau mythe fondateur, est invalidé."

14e min : Chauprade fustige le livre nullissime que Nicole Bacharan vient de sortir sur ce sujet, et plus généralement la mobilisation de l'émotion au détriment du raisonnement, dont les médias se rendent coupables lorsqu'ils parlent du 11-Septembre : "C'est la construction d'un mythe fondé sur l'émotion pour effacer la raison, pour effacer le raisonnement".

Remarque pertinente : les sceptiques usent bien souvent de leur raison, alors que les autres se cantonnent presque toujours dans le registre de l'émotion, ce qui rend le combat inégal :
"Ce sujet est très compliqué, car nous sommes à armes inégales : ceux qui cherchent à défendre - qu'ils aient tort ou raison - une autre interprétation d'une version officielle, établie, dominante, portée par les mass media, sont sur le registre de l'analyse ; ils analysent, essaient d'être dans la réfutation d'une thèse, au sens scientifique, en apportant des éléments fondés sur l'analyse rationnelle. En face, c'est le rouleau compresseur de l'émotion, qui écrase la raison..."
16e min : Chauprade nous livre la raison profonde de son combat, pourtant si rude, et peut-être perdu d'avance : "Il m'est absolument impossible de me respecter moi-même si je développe des raisonnements à partir de postulats que je considère comme faux."

20e min : Il insiste très pertinemment sur le fait que toute la géopolitique mondiale dépend aujourd'hui de l'interprétation que l'on fait du 11-Septembre. Pour les tenants de la version officielle, le monde est bipartite, scindé entre le camp du Bien, autour des Etats-Unis, et le camp du Mal, celui du terrorisme islamiste international, qui s'est substitué à l'Union soviétique.

Chauprade a une vision nuancée des relations internationales. Il ne nie aucunement l'existence de l'islamisme et "sa dimension jihadique inhérente, propre, autonome", mais il affirme qu'il a été "monté en puissance du fait du jeu de la CIA en particulier, et des outils du renseignement américain pendant la Guerre froide, et plus encore après la Guerre froide". "Le terrorisme, poursuit-il, est une fabrication essentiellement étatique, qui est exécuté par des opérateurs, des agents, souvent non-étatiques, mais qui est pensé, initié, piloté par des services de renseignement, quels qu'ils soient". Et de citer l'ISI, les services pakistanais, pour leurs opérations dans le Cachemire, ou la CIA pour sa stratégie de la tension en Italie dans les années 1970 et 1980 avec les réseaux Gladio.

25e min : Chauprade explique comment cette fabrication du terrorisme se passe pratiquement :
"Vous avez 2 ou 3 agents de la CIA, en l'occurrence, qui vont créer une cellule dans un milieu idéologique connu, qu'il soit d'extrême droite, d'extrême gauche... Ils s'infiltrent dans ces milieux, ils se font accepter tout en se faisant passer pour des militants idéologiques, et ils commencent à recruter des militants qui, eux, sont sincèrement des militants idéologiques, sur leur psychologie, pensant qu'ils peuvent les manipuler, et ils développent des cellules à l'intérieur desquelles les véritables militants idéologiques, d'extrême gauche, d'extrême droite ou islamistes, pensent sincèrement agir pour une cause de manière radicale, et ils vont aller poser des bombes, s'exposer eux-mêmes, alors que les initiateurs, le jour où la police arrête les exécutants, ont disparu dans la nature, et c'est exactement ce qui s'est passé avec les exécutants de l'attentat de la gare de Bologne..."
Le géopolitologue parle ensuite de "l'utilisation qui a été pensée, validée au plus haut niveau, depuis très longtemps, de l'islamisme comme un outil de guerre contre tous les compétiteurs géopolitiques des Etats-Unis, l'URSS durant la Guerre froide, mais aussi d'autres adversaires. Ça, c'était une politique officielle, validée au plus haut niveau, avec des services alliés comme les services pakistanais, les services saoudiens, et donc pendant la Guerre froide on s'appuyait sur ces cellules. Maintenant il faut distinguer cette politique de celle que j'appelle de l'Etat profond, c'est-à-dire un Etat dans l'Etat, qui s'est créé - à mon avis, c'est la thèse que je défends - dans l'appareil d'Etat américain."

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27e min : Chauprade évoque ce thème mis en lumière par Peter Dale Scott dans La Route vers le nouveau désordre mondial, celui de l'Etat profond : "Dans l'Etat et les structures officielles, des réseaux se sont développés à travers le temps et sont passés en roue libre, de plus en plus, en commettant des actions qui n'étaient pas forcément validées par la chaîne hiérarchique jusqu'au plus haut niveau politique... On ne peut pas se représenter ce qui s'est passé si on ne comprend pas le concept d'Etat profond dans l'Etat officiel". Chauprade loue le travail "remarquable" de Peter Dale Scott.

29e min : Le géopolitologue considère ainsi qu'il est simpliste de dire que c'est la CIA - en tant qu'organisation officielle - qui commet des attentats ; il s'agirait plutôt d'une organisation dans l'organisation officielle...

Pour illustrer son propos, il remarque que lors des différents attentats qui ont touché l'Occident (le 11-Septembre, Londres...), des exercices anti-terroristes de grande ampleur menés par les structures officielles de renseignement et de sécurité étaient en cours :
"Dans le virtuel s'est lové le réel, et le réel a pu se produire parce qu'il y a des taupes dans l'Etat officiel, des réseaux organisés qui utilisent les moyens et qui jouent avec les exercices virtuels et les rendent en partie réels."
Et Chauprade de livrer l'exemple du 11-Septembre... rappelant que durant cette matinée, les contrôleurs aériens ont compté jusqu'à 21 avions détournés, ce à quoi plus personne ne comprenait rien : on ne savait plus distinguer le réel du virtuel, le vrai du faux.

Le 11-Septembre est ensuite replacé dans une perspective géopolitique plus vaste : il s'agirait, pour Chauprade, d'une tentative pour les Américains de reprendre la main sur une Histoire qui leur échappe.

31e min : Selon lui, les Etats-Unis, confrontés depuis la chute de l'URSS à la perspective d'un monde multipolaire, synonyme d'une perte mécanique de leur suprématie, ont accéléré leur stratégie d'unipolarité, de contrôle du monde et d'endiguement de leurs principaux adversaires géopolitiques (Chine, Russie), et de tout adversaire, y compris régional (comme le Vénézuela), qui pouvaient mettre un frein à leur stratégie de puissance, et ce par l'utilisation du terrorisme :
"Ces événements catastrophiques participent d'une volonté d'inversion de l'Histoire. On perd la main sur l'Histoire, on cherche à reprendre la main sur l'Histoire, en provoquant des catastrophes, qui permettent de réorienter l'Histoire, de reprendre la main dessus. On le fait notamment en frappant les consciences, par l'émotion, parce que les Américains contrôlent un outil essentiel, qui est celui de la guerre de l'information".
Les Américains disposent, non pas seulement du "hard power" (c'est-à-dire la puissance économique avec le dollar, et le pouvoir militaire avec la moitié du budget de défense mondial), mais aussi du "soft power" (le pouvoir de la culture), qui fabrique l'ennemi, façon Hollywood, le "bon" et le "méchant" (Milosevic, Kadhafi, Saddam Hussein...), toujours avec les mêmes grosses ficelles (les armes destruction massive, un peuple tout entier qui se dresse contre son dictateur...), et modèle les consciences.

Le terrorisme international serait utilisé, d'une part, comme un outil de "neutralisation des raisons, du raisonnement", et, d'autre part, comme "une arme de coalition" des alliés.

Dans la suite de l'émission, Chauprade évoque la crise financière, louant au passage le livre de Pierre Jovanovic sur Blythe Masters, et fustige l'oligarchie mondialiste.
"Les régimes sont quasiment tous oligarchiques, et les Etats-Unis sont gouvernés par une oligarchie WASP, d'autres origines dans les milieux de la finance... et cette oligarchie on peut l'opposer au peuple américain, qui travaille... Nous sommes en train de vivre la faillite de ce monde euro-atlantique, dominé par des oligarchies financières, mondialistes, la faillite des deux monnaies, dollar et euro : dollar parce que politique folle, euro car construction totalement artificielle. Cette faillite se produit au moment où la multipolarité géopolitique du monde s'installe, avec des puissances émergentes, la multipolarité monétaire, bref nous sommes dans un véritable changement du monde... Pour moi c'est la fin d'un monde."
Selon Chauprade, la mort de Ben Laden (sur laquelle il ne se prononce pas) signe la fin d'un cycle et probablement le début d'un autre, avec la possible création d'un nouvel ennemi à l'origine d'une nouvelle catastrophe (mais ce n'est qu'une hypothèse sur laquelle il reste prudent).

50e min : "La privatisation de la guerre est un point essentiel, qui nous ramène à ce que je disais à propos de la compréhension fine de ce que peut être le 11-Septembre. Si on ne prend pas en compte l'interaction profonde entre le privé et l'Etat officiel, entre l'aspect militaire privé et l'Etat officiel, on ne peut pas comprendre la substance de ce qu'est le terrorisme international aujourd'hui".

Comment Chauprade voit-il l'avenir ?

D'abord, "un épouvantail se prépare, parce qu'il a une importante fonction de mobilisation, coalisatrice autour des Etats-Unis". Ensuite, "je crois que les Etats-Unis, dans le cadre d'une stratégie visant à ruiner la multipolarité, et en particulier le rétablissement de la Russie et la croissance de la Chine, vont accélérer leur prise de contrôle des périphéries faibles, comme le monde arabe, les périphéries du monde russe et européen, là où il y a du pétrole, de l'énergie, et essayer, comme pendant la Guerre froide, où il y avait cette guerre par délégation dans le Tiers Monde entre l'URSS et les Etats-Unis, de la même façon les Américains, je crois, sont en train d'accélérer, par le changement de régime, la prise de contrôle des élites de demain des pays du Tiers Monde, pour éviter que ces élites puissent se tourner vers la Russie, la Chine, l'Inde, etc. Et ça, c'est un point capital. Ce qui est en train de se passer, les révolutions, le printemps arabe, comme dans toutes le révolutions, il y a une dimension spontanée, il y a de la frustration, il y a la fatigue des régimes, je ne suis pas en train de dire que les peuples soutenaient nécessairement les régimes en place, pas du tout, ce que je dis c'est qu'il y avait la fatigue, l'usure des régimes, et il y a les logiques qui ont allumé la mèche, et ce qui allume la mèche, c'est comme pour les révolutions colorées en 2003 en Géorgie, 2004 en Ukraine... je pense qu'il y a une dimension de révolution colorée en Tunisie, en Egypte, et dans la fabrication du soulèvement libyen à l'est..."

Autre enjeu essentiel de la géopolitique actuelle : le totalitarisme technologique des Etats-Unis

55e min :
"On a de jeunes générations qui sont un peu tendues vers cet idéal, qui est une utopie, de la liberté totale par les nouvelles technologies à l'occidental, qui sont en réalité un leurre de totalitarisme, parce qu'ils sont en train de rentrer dans la gueule du loup : ils croient adhérer à la démocratie, mais ils sont en train d'entrer dans le totalitarisme invisible et mou du tout technologique, celui qui vous géolocalise à tout moment, à toute heure, vous réduit au rôle de numéro, et ça, c'est un enjeu essentiel de la géopolitique actuelle et qui, moi, me tient à coeur, parce qu'une des raisons fondamentales, au-delà de mon attachement à la civilisation européenne, à l'identité française et européenne, une des raisons fondamentales qui fait que je me battrai jusqu'au bout pour ce que je crois vrai, c'est que je pense qu'il y a vraiment un problème de totalitarisme, qui est le plus efficace parce qu'il n'est pas explicite, pas visible, qui est en train de s'installer à travers le pouvoir technologique des Etats-Unis."
"On est maintenant tracé, il y a une traçabilité des personnes, pas seulement des viandes congelées, c'est d'abord la traçabilité des personnes. Officiellement on fait des guerres pour exporter la démocratie et soi-disant libérer les peuples, et en réalité on est en train de participer à l'établissement d'un totalitarisme fondé sur la technologie, c'est un national-technologisme, concept sur lequel on devrait réfléchir... Heureusement qu'il y a les forces de la multipolarité pour lutter contre ça. Et même si ces forces me sont parfois étrangères en terme d'idéologie, moi je n'ai pas de sympathie particulière pour Chavez ou d'autres, mais ce qui est sain, c'est qu'il y ait une levée venant d'horizons idéologiques différents, de droite, de gauche, des forces multipolaires qui refusent cette unipolarité, parce que ça c'est la pire chose dans laquelle nous commençons à être encagés."
59e min : on interroge Chauprade sur Pearl Harbor et sa proximité avec le 11-Septembre. Il reste prudent, rappelant qu'il n'existe pas de consensus parmi les historiens sur le "laisser-faire" américain à Pearl Harbor. "Pour y avoir vraiment travaillé, j'ai une conviction très profonde sur le 11-Septembre, mais je n'ai pas suffisamment travaillé sur Pearl Harbor en tant qu'historien..." Il ne constate guère qu'une étrange régularité statistique, "une sorte de constante dans l'histoire américaine, où il y a un événement, une agression, et ensuite on déclenche une guerre..."

1h03 : Chauprade est interrogé sur la Russie, et considère que "l'élection de Poutine est au moins aussi importante que le 11-Septembre", car elle indique que nous prenons - sans doute irrémédiablement, quoi que fassent les Etats-Unis - la direction de la multipolarité.

1h07 : Chauprade considère que la phénomène géopolitique majeur auquel est confrontée l'Europe est la substitution de sa population.

1h09 : Quelques minutes sur la Chine... Si les Etats-Unis veulent contrôler les réserves mondiales de pétrole, ce n'est pas tant pour leur consommation, que pour contrôler celle des Chinois.

1h15 : Chauprade aborde le cas sensible de la Corée du Nord et de son arsenal nucléaire.

1h17 : Retour à la problématique de la "substitution de population en Europe de l'ouest", qui peut mener à "la fin de l'Europe". Chauprade espère un sursaut des Européens, mais avoue son pessimisme, tout en disant finalement croire à une réaction.

1h19 : Evocation du conflit libyen, de l'or, du gaz et du pétrole libyens, et de leur futur partage entre les puissances en guerre. Selon Chauprade, "c'est la guerre de Sarkozy" dont il compte tirer profit sur le plan intérieur. Il rappelle aussi que Sarkozy a rompu avec la tradition de la construction de l'Europe autour du couple franco-allemand, pour se rapprocher de l'Angleterre et faire primer la relation transatlantique.

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Chauprade ne sait pas si ses analyses sont justes, il le pense mais n'en est pas sûr, il n'est pas un dogmatique. Je ne sais pas non plus si ce qu'il dit est juste. Mais ses analyses sont passionnantes, elles ont de quoi emporter la conviction, elles paraissent fondées, et méritent en tout cas d'être connues et débattues - loin de l'odieuse pensée unique qui règne sans partage dans notre microcosme politico-médiatique.

A écouter en complément : une autre récente intervention d'Aymeric Chauprade sur Radio Courtoisie, relayée par Hieronymus sur AgoraVox TV, également très riche, même si l'on y parle moins du 11-Septembre.