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Des tests ont trouvé que les « riches » avaient une attitude plus tolérante à l'égard de la cupidité, en plus d'être plus enclins à s'approprier le bien d'autrui.
Vous avez l'impression, quand une voiture vous coupe impoliment le chemin, que c'est toujours une «grosse BM» qui commet l'impair? Eh bien vous n'avez peut-être pas tort, selon une étude américaine qui suggère que les «riches» seraient des conducteurs plus égoïstes que les «pauvres» - et que ce ne serait pas leur seul travers moral, d'ailleurs.

Irrespect des piétons et des autres automobilistes. Recours au mensonge lors de négociations. Attitude relativement favorable à l'égard de la cupidité. Tricherie. Usurpation. Les «élites» en prennent décidément pour leur rhume dans cet article dirigé par Paul K. Piff, chercheur en psychologie à l'Université de Californie à Berkeley, et publié hier sur le site des Proceedings of the National Academy of Science.

«Comparativement aux individus des classes inférieures, les individus des classes supérieures se sont montrés plus enclins à adopter des comportements contraires à l'éthique. [... Leur] relative indépendance par rapport aux autres et [le fait qu'ils sont, professionnellement, dans des positions de surveillants plutôt que de surveillés] peuvent réduire les contraintes structurelles et leur perception du risque associé à enfreindre les règles d'éthique», écrivent les auteurs.

Dans un premier temps, ceux-ci ont observé la circulation automobile dans les rues de San Francisco, classant les voitures sur une «échelle de luxe» à cinq paliers. À une intersection où les voitures provenant des quatre directions devaient faire un arrêt obligatoire, 274 véhicules ont ainsi été scrutés, et la catégorie la plus cossue s'est avérée particulièrement délinquante, violant les règles de priorité et «coupant» d'autres véhicules pas moins de 30 % du temps, contre seulement 5 à 15 % pour les voitures moins luxueuses.

De même, l'observation de 152 autres conducteurs à un passage à niveau a permis d'établir que seulement 55 % des véhicules les plus coûteux cédaient le passage, alors que c'est une pratique très courante dans le monde anglo-saxon. Par comparaison, de 70 à 100 % des moins nantis faisaient le bon geste.

Retournant à leurs labos, M. Piff et ses collègues ont ensuite conduit cinq autres expériences qui montrent elles aussi les gens des classes aisées sous un jour peu flatteur. Dans l'une d'elles, par exemple, 105 sujets se faisaient décrire une négociation fictive où ils auraient tenu le rôle d'un employeur qui fait passer une entrevue à un postulant. Ce dernier, dans ce scénario, cherchait un emploi pour au moins deux ans et se montrait prêt à accepter un salaire moindre pour gagner en stabilité, alors que les sujets se faisaient dire que le poste à pourvoir serait coupé dans les six mois. Ceux qui appartenaient à la classe supérieure (ce qui était alors déterminé par questionnaire) se sont montrés plus susceptibles de cacher la vérité.

D'autres tests ont trouvé que les «riches» avaient une attitude plus tolérante à l'égard de la cupidité, en plus d'être plus enclins à s'approprier le bien d'autrui et à tricher dans un jeu afin d'accroître leurs chances de gagner un prix.

Accueil mitigé

L'étude a reçu un accueil mitigé chez les experts que Le Soleil a consultés, hier. Ainsi, le sociologue de l'INRS Jacques Godbout dit avoir déjà constaté, au fil de ses recherches sur le don, des éléments qui accréditaient la thèse des «élites à la morale douteuse». En proportion du revenu, en effet, les gens les plus riches donnent moins que les pauvres, que ce soit aux oeuvres de charité ou à leurs proches. «Quand on est riche, on a plus de biens, et on peut facilement croire qu'on a moins besoin de lien [social]», résume-t-il.

Cependant, son collègue de l'Université de Montréal Jacques Bergeron, spécialiste de la psychologie des automobilistes, croit que l'étude va «trop loin dans ses interprétations». Il n'est pas sûr, dit-il, que la marque de l'auto soit si finement corrélée à la classe sociale aux États-Unis, où la location et les «voitures de fonction» sont plus répandues qu'ici. Et puis, fait-il valoir, si l'on avait retenu la conduite en état d'ébriété comme indicateur, alors ce sont les plus pauvres qui apparaîtraient dénués d'éthique, puisque cette mauvaise habitude est plus répandue chez eux.

Pour sa part, le sociologue de l'Université de Montréal Arnaud Sales a qualifié l'étude d'«intéressante», mais «un peu trop brute». Il est en effet connu que les gens les plus instruits, et donc en moyenne les plus riches, ont tendance à relativiser les règles, ce qui n'est pas nécessairement une mauvaise chose, dit-il. Des expériences qui trouvent que les gens de la haute enfreignent davantage les règles ne sont donc pas très étonnantes, et peut-être pas si parlantes que ça...