Alors que 2 500 soldats français envoyés en Afghanistan doivent revenir d'ici à la fin 2012, le ministère de la défense tente de mieux prendre en compte les troubles psychiques dont souffre une partie d'entre eux au combat.

Depuis 2008, ces manifestations commencent à être prises en considération, mais encore trop lentement aux dires des familles, souvent démunies face à ces syndromes post-traumatiques.

Depuis 2001, ils ont été plusieurs milliers de soldats français à se battre sur les terres arides d'Afghanistan. D'ici à la fin de l'année, 2 500 d'entre eux regagneront le sol français. Selon des études américaines menées lors de la guerre d'Irak, environ 20 % des soldats de retour de théâtres d'opérations souffrent d'un « syndrome post-traumatique ». Un syndrome aujourd'hui bien connu au sein de l'armée, qui a commencé à le prendre en compte en 2008. Plusieurs familles n'en sont pas moins désemparées face à des troubles graves qu'elles n'avaient pas anticipés et qui peuvent s'accompagner de manifestations très spectaculaires.

French Warriors in Afghanistan
© Jef Pachoud / AFPSoldats français dans la province de Wardak, en Afghanistan, le 26 septembre

Des troubles spécifiques

Jacqueline Chouan parle pour son fils. Celui-ci, sergent du 126e régiment d'infanterie de Brive-la-Gaillarde, a tenté par deux fois de mettre fin à ses jours à son retour d'Afghanistan en 2006. De ces tentatives, il garde de graves séquelles neurologiques. Entré dans l'armée en 1998 à l'âge de 24 ans, Nicolas a été appelé à effectuer des missions à l'extérieur (OPEX) en Guyane, Côte d'Ivoire et Afghanistan. Il ne s'est jamais remis de cette dernière mission, témoigne sa mère. « Le soir de son arrivée en Afghanistan, couraient des rumeurs d'attaques du camp par les talibans, raconte-t-elle. La vigilance était extrême et la tension énorme. »

Très vite, son fils développe des fixations inquiétantes et des idées noires. Il souffre d'une difficulté à communiquer avec ses proches et, au téléphone, ses propos deviennent au fil des jours de plus en plus incohérents. Sur le terrain, les convois doivent faire face à plusieurs attaques de rebelles. Un jour, une « maladie se déclenche dans sa tête », comme il l'expliquera plus tard à ses proches. Aujourd'hui, âgé de 37 ans, il vit toujours dans la peur : cauchemars récurrents d'embuscades, hallucinations, souvenirs obsédants...

C'est le médecin général Louis Crocq (1), spécialiste des névroses de guerre, qui a examiné Nicolas. Sans hésitation, il diagnostique chez ce soldat qui « ne présentait pas d'antécédents neuropsychiatriques » avant son départ en mission un « syndrome post-traumatique de guerre ».

Le poids du vécu personnel

Ces névroses peuvent se déclarer sur le lieu du conflit, mais, dans la plupart des cas, elles apparaissent après un temps de latence d'une durée variable selon les individus. Le médecin a ainsi suivi un ancien combattant de Dien Bien Phu n'ayant manifesté aucun trouble particulier jusqu'à sa retraite. Sa femme l'a alors surpris à creuser des trous en pleine nuit « pour enterrer ses camarades ».

« La force du traumatisme dépend de la personnalité, de l'enfance, de la fragilité accumulée par la personne au cours de sa vie, explique Louis Crocq. En général, le syndrome n'est pas déclenché par un seul événement traumatisant mais par une accumulation qui use le sujet et par un sentiment permanent d'insécurité » . Il y a aussi la culpabilité de tuer des civils. Car parfois, lors des attaques, se trouvent un berger, une femme, des enfants qu'on n'a pu éviter.

Des familles démunies

Le sentiment d'impuissance face à un soldat qui ne parvient plus à reprendre pied parmi les siens, Marlène Peyrutie le connaît également. Son fils, sous-officier de l'armée de l'air, est lui aussi revenu suicidaire de sa mission en Afghanistan en septembre 2010. Dénonçant le manque d'informations délivrées aux familles sur ces troubles, elle a créé avec la députée bordelaise Michèle Delaunay, aujourd'hui ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie, l'association Terre et paix, qui a pour but de prévenir les proches.

« Le problème, c'est que les familles ne sont pas incluses dans le protocole médical des soldats car ils sont majeurs. On ne dispose donc d'aucune information sur leur état de santé mentale » , regrette-t-elle. Or, pour les proches non préparés, les difficultés peuvent être énormes. « Cela a été un séisme dans notre famille, ma vie a chaviré, raconte-t-elle. Si l'armée communiquait à ce sujet, on saurait décoder les maux, on gagnerait du temps. » Avec la sénatrice (PS) Marie-Noëlle Lienemann, Marlène Peyrutie milite aujourd'hui pour la création d'une cellule rapide qui prendrait en charge les soldats de retour cette année et leurs familles. Car selon elle, les structures actuelles sont insuffisantes.

La peur de l'exclusion

Ce n'est pas l'avis d'Humbert Boisseaux, chef du service de psychiatrie de l'hôpital d'instruction des armées du Val-de-Grâce, pour qui l'enjeu du retour a été intégré par le ministère de la défense dans le cadre d'un plan pour la prévention des troubles et le suivi des soldats. Mais pour ce spécialiste, la difficulté majeure ne réside pas tant dans l'insuffisance des structures que dans la capacité à convaincre les militaires de parler de leur mal-être : « Ils hésitent beaucoup à consulter car parfois ils se méfient des psychologues. D'autres ont peur d'être jugés et mis à l'écart du groupe. »

Sans compter la peur d'être déclaré inapte. « Cela peut être vécu comme une situation d'échec, poursuit-il. Donc souvent, ils se taisent. Or, plus on laisse traîner, plus c'est compliqué à soigner. Toutefois, il est bon de rappeler que la plupart des soldats n'éprouvent pas de difficultés importantes, même s'il est clair qu'on ne revient jamais de la guerre totalement indemne. »

Note :
(1) Louis Crocq, Les Traumatismes psychiques de guerre, 1999, Odile Jacob, 432 p., 32 €

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Laurent Attar-Bayrou : « L'AVENIR DE CHAQUE SOLDAT SE JOUE À SON RETOUR »
Le président de la Fédération nationale des anciens des missions extérieures donne son point de vue.

« Le vrai problème qui se pose à la fin d'une opération à l'étranger, c'est le retour au pays de tous les soldats, qu'ils soient valides, blessés ou atteints de troubles psychologiques. Le cas des anciens appelés en Algérie l'avait en son temps montré et cela s'est confirmé ensuite dans les années 1980 avec les casques bleus français revenant du Liban : l'avenir de chaque soldat se joue à son retour. Car il vit alors un décalage entre ce qu'il vient d'endurer et ce qu'il croit retrouver. Qu'il s'agisse de sa réintégration dans son unité militaire d'origine ou de sa reconversion dans la vie civile ou qu'il s'agisse de sa vie conjugale, familiale et sociale, la question qui se pose est de savoir comment l'aider à reprendre sa place. »