Fish sick
© F. DerbalUn mérou infecté par le Nodavirus
La piste virale est confirmée. Vu l'ampleur des dégâts, des mesures de surveillance et de protection doivent être prises à l'échelle de la région.

Depuis plus d'un mois, la côte allant de Collo à Skikda a enregistré la mort de centaines, voir de milliers de mérous. Ce phénomène mystérieux n'a pas manqué de susciter une grande inquiétude parmi les écologistes et les marins pêcheurs qui regardaient, impuissants, disparaître une richesse faunistique des plus nobles de nos côtes. Plusieurs hypothèses avaient été avancées pour tenter d'expliquer cette mort étrange de mérous et de « badèches » et il a fallu attendre les résultats des analyses faites au niveau du Laboratoire bioressources marines de l'université de Annaba pour comprendre la source du mal. Farid Debal, docteur en biologie marine et responsable du laboratoire, dans une contribution exclusive, a accepté d'apporter des éclaircissements au sujet de cette mort étrange.

Il fera remarquer au départ :
« Après une année, exactement en octobre 2011, où il a été constaté sur les côtes bônoises, plus précisément dans le secteur est du golfe de Annaba des mortalités massives et mystérieuses de mérous et de badèches, voici que ce phénomène étrange réapparaît le long des côtes de Jijel et de Collo. Selon les témoignages des pêcheurs, des chasseurs sportifs et des plongeurs de la région, ces deux espèces de poisson appartenant à la même famille des Serranidae nageaient en surface mais de manière déséquilibrée. La majorité des individus capturés vivants présentaient une cavité abdominale gonflée et des signes d'érosion cutanée, alors que d'autres spécimens ont été retrouvés morts sur la berge et dans l'eau. »
Des virus dans le cerveau et les yeux

Au sujet des analyses faites au niveau de ce laboratoire, Dr Derbal expliquera :

« En se basant sur des signes cliniques apparents (érosion dermique, opacité des yeux), la piste privilégiée depuis l'apparition de ce phénomène étrange était pathologique selon les chercheurs du Laboratoire bioressources marines. En effet, des examens spécifiques effectués par cette même équipe ont permis de confirmer la présence abondante de virus dans le cerveau et les yeux d'un mérou brun et d'une badèche retrouvés morts. L'utilisation de techniques élaborées a permis d'identifier la souche virale (Red-spotted grouper Nervous Necrosis Virus) avec une grande similitude avec d'autres isolats issus de la région méditerranéenne et asiatique. Ces résultats confirment que les mortalités observées dans le golfe de Annaba sont dues aux betanodavirus. A notre connaissance, il s'agirait du premier signalement de betanodavirus sur les côtes algériennes, qui plus est, avec un impact sur la faune sauvage. » Il fera observer aussi que la mortalité observée en Algérie n'est pas la première du genre au niveau du bassin méditerranéen, puisque « des épidémies similaires ont ciblé aussi des mérous sauvages en Espagne et en Italie ».

Au sujet des mesures à prendre pour contrecarrer cette « hémorragie » qui a considérablement nui à l'espèce, Dr Derbal se montrera très pragmatique en déclarant : « Face à cette situation, il est désormais urgent de capitaliser ce genre d'informations précieuses pour apprécier dans l'avenir la fréquence et l'ampleur des épidémies virales dans l'ensemble du bassin méditerranéen, ce qui pourrait être le cas sous l'influence du changement climatique, du développement des activités aquacoles de masse d'espèces vulnérables aux atteintes virales », en expliquant que le nodavirus pourrait être une menace supplémentaire sur des espèces en danger. « Une surveillance vigilante doit être mise en place à l'échelle de la région », a-t-il préconisé avant d'ajouter que les précautions les plus strictes doivent êtres suivies au niveau de l'élevage aquacole. « Vous savez, la nature est incontrôlable et on n'est jamais à l'abri de telles pathologies. Il faut toujours s'attendre à des surprises, bonnes ou mauvaises et on ne sait pas si, dans 5 ans, le même phénomène se reproduirait pour toucher d'autres espèces », ajoutera-t-il.

Pourquoi uniquement le mérou ?

En plus de son statut de scientifique reconnu, Dr Derbal reste aussi un fervent écologiste et formateur en plongée sous-marine. Membre du groupe méditerranéen d'études sur le mérou, il n'omettra pas de mentionner ceci : « Les mérous sont des poissons à risque sur le plan des effectifs, et certaines espèces, comme le mérou brun (Epinephelus marginatus), bénéficient officiellement d'un statut légal de protection dans plusieurs pays riverains de la Méditerranée. Actuellement, le mérou brun, classé par des organismes internationaux comme l'Union internationale de la conservation de la nature (UICN ) comme espèce menacée sur les côtes de la Méditerranée, ne bénéficie d'aucune mesure de protection sur les côtes algériennes, malgré sa raréfaction. »

En plus du mystère ayant entouré la mortalité, en masse, des mérous et des « badèche », beaucoup de gens s'étaient également interrogés sur le fait que seule cette espèce soit concernée. Dr Derbal dira à cet effet que plusieurs facteurs semblent avoir fragilisé l'espèce. « C'est peut-être dû à la vulnérabilité du mérou. N'oublions pas que l'espèce est connue pour être des plus sédentaires, ce qui la prédisposerait à ce genre de pathologie, néanmoins les mécanismes ayant contribué à la propagation du virus reste pour le moment inconnus », a-t-il expliqué.