Amir Hassan
© InconnuAmir Hassan
Gaza, minuit 35 heure locale. Témoignage de notre ami Amir Hassan, rapporté par Siham Touil, qui habite en région parisienne et qui assure la liaison téléphonique avec lui.

Son dernier message indique que l'armée israélienne a fait savoir que "toute personne qui serait dans la rue après minuit sera considérée comme un combattant et donc susceptible d'être abattue" !

Derniers chiffres : 110 martyrs et 900 blessés

Lundi 19 novembre. 19h10 en France. 20h10 à Gaza. Je suis contente d'appeler Amir, comme nous avions convenu dimanche. Ce matin, je m'inquiétais de ne pas avoir de ses nouvelles, je craignais le pire voyant ses dernières mises à jour sur sa page Facebook datant de plus de quatre heures ! Quand il décroche, il me demande si je vais bien. Je ne sais pas quoi répondre, c'est plutôt à moi de lui demander ça. Il me dit qu'il y a eu des bombardements toute la journée. « On est en ce moment sur un générateur pour avoir de l'électricité. Attends, ils disent à la télévision que le Nord de la Bande de Gaza est bombardé. » En même temps qu'il me parle, il envoie un message à ses amis pour leur parler de la situation. « Si Israël entre dans la Bande de Gaza, il n'y aura certainement plus d'électricité, plus de carburant, plus rien. J'en profite maintenant pour contacter tout le monde. »

« Tu te souviens, hier, je t'avais dit qu'un bâtiment avait été détruit dans le Quartier Nasser ? Il y a eu un vrai massacre. Les sauveteurs ont sorti des décombres les cadavres de 14 personnes dont 5 enfants et plus de 20 blessés. Les victimes étaient de la même famille. Hier, ils ont assassiné l'humanité en tuant ces enfants. » Amir me détaille tout. A l'hôpital Al-Shiffa, sur des tables, les enfants sans vie ont été installés. Des images marquantes de l'enfance palestinienne qui n'avait rien demandé ! Hier encore, dimanche, très tard, une délégation des jeunes de la révolution égyptienne est venue à l'hôpital Al-Shiffa. « Il y avait 550 personnes dans ce groupe. Il y a eu une conférence de presse. Ils ont chanté pour la Palestine. Mais une heure plus tard, Israël a bombardé le Centre de Police qui se trouve juste à côté de l'hôpital. Ils ont été blessés et choqués. » A nouveau, les F16 ont fait trembler le quartier d'Amir car Amir vit non loin de l'hôpital. Un journaliste algérien a aussi été blessé. « Puis le Centre Gouvernemental Al Saraya a été touché vers 6 heures du matin. Il avait déjà été visé en 2008 lors de la précédente opération. »

A 7h, l'aviation israélienne a de nouveau ciblé le Stade de Palestine. « Les bombardements ont été impressionnants. Pendant que je te parle, les médias indiquent qu'il y a 101 matryrs et plus de 700 blessés. Je sais que quand je vais raccrocher, le chiffre de martyrs va augmenter ! » Amir continue à me parler de cette journée. Le centre des médias Al Chourouk a encore été touché. « Tu sais j'enseignais dans cette tour qui a fini en feu. J'enseignais au dixième étage précisément. Je donnais des cours de français. A présent tout est détruit. » Quant aux journalistes, ils doivent travailler depuis chez eux. Des journalistes qui n'arrivent pas à compter en temps réel le nombre des victimes. « Les médias disent qu'Israël compte sur l'Egypte pour établir une trêve mais si il n'y a pas de trêve alors l'incursion terrestre commencera. » Les cibles ministérielles ont été touchées. Israël bombarde les maisons. « Ce matin, j'ai été interviewé par une radio à Rouen et il y a eu un bombardement en direct qui a été enregistré. »

Amir me parle et regarde les médias en même temps. Il m'indique que les conditions d'Israël pour une trêve sont nombreuses. « Ce pays est fou. Mais c'est lui qui décide aujourd'hui. Re-précise encore que les victimes sont des civils. Il y a beaucoup d'enfants. » Aujourd'hui il y a aussi eu la visite du Président du Parlement Egyptien avec des membres des partis politiques. Le Ministère de la Santé continue à appeler à l'aide. « Il a demandé à tous les Ministères de la Santé du monde d'envoyer des convois de médicaments. Il faut savoir que l'hôpital Al-Shiffa est petit. Il n'y a pas assez de place pour tous les blessés. Souvent ils finissent par terre faute de lit. » Tant de fois, Amir a voulu aller à l'hôpital mais le trajet risque de le mettre en danger. « On nous déconseille d'y aller pour s'y regrouper, surtout parce que cela empêche les médecins de faire leur travail. »

L'attaque des journalistes, l'attaque de la délégation égyptienne, les meurtres des civils, prouvent à Amir que Tsahal ne respecte rien. Ne respecte personne. Puis Amir regarde par la fenêtre pour voir ce qu'il se passe dehors. « La ville est dans le noir. Il n'y a pas plus de lumière dans certains quartiers. Nous avons un générateur mais si Israël décide de fermer le point de passage de Karni alors nous n'aurons plus de carburant, ni de produits alimentaires car c'est par là que passe ce qui arrive à Gaza. Si nous n'avons plus de carburant, on ne pourra pas faire fonctionner le générateur. » De son côté, le gouvernement a aussi demandé aux commerçants de ne pas profiter de la situation pour augmenter les prix. « C'est tellement dangereux de sortir, ne serait-ce que pour faire quelques mètres. Une personne malade mentalement était dans la rue dans un des quartiers de l'est de Gaza et il a été touché par un missile. Il y a aussi eu un vendeur d'eau avec son fils. Ils ont été touchés. » Amir me dit qu'il ne dort pas la nuit. Il est très fatigué. Ce matin, il a dormi de 7h à 11h. « J'ai des images si fortes en tête. Je vois des corps déchiquetés. Des enfants. Des femmes. C'est très dur. Cette nuit, j'ai été fou. Je me suis échappé en entendant un bombardement. »

C'est le père d'Amir qui s'occupe de sortir tôt le matin afin d'acheter des denrées alimentaires. « Il a acheté du pain, du fromage. Il m'a dit que les gens sortent au marché car ils ne peuvent pas rester chez eux éternellement, ils doivent acheter à manger. Mais se pose aussi la question de la crise financière. L'autorité palestinienne a payé juste la moitié des salaires. L'un des représentants de l'autorité palestinienne a appelé à la réconciliation nationale afin de pouvoir donner comme réponse à cette attaque un message d'unité. Le peuple palestinien est soudé. » Les Israéliens sont fiers de ce qui se passe, me dit Amir. Ils montrent des images, des vidéos des bombardements. « Pendant que je te parle une femme enceinte est blessée dans les quartiers de l'est de Gaza. » Je questionne aussi Amir sur son petit frère de 6 ans. « Il a peur. Surtout qu'il nous voit, nous adultes, très préoccupés. » Il ne dessine plus mais écoute les bombardements. Souvent ils sont tellement forts qu'ils laissent penser que c'est leur immeuble qui est touché. Plus d'une fois, ils ont cru voir la fin. « Maintenant à la télévision, ils disent que des corps de martyrs en pièces sont amenés à l'hôpital. »

« Je suis bloqué. Je veux que tout cela cesse. Que ces crimes s'arrêtent. Nous n'avons rien. Ils ont tout. Des F16, du phosphore... Ils contrôlent les points de passage... Nous sommes les victimes. Martyr est notre statut. La situation ne s'améliorera jamais. Depuis 2002, les bombardements sont courants. Depuis 44 ans, la mer est fermée. Depuis 2006, l'électricité est coupé sans cesse. Ils veulent écraser la Bande de Gaza, nous effacer de la carte. Je sais que certains Israéliens veulent ça. Je sais que d'autres veulent plutôt utiliser la diplomatie. Qui sont les victimes dans tout ça ? Nous ou eux ? Eux qui violent les trêves à chaque fois ! » Amir me parle, je l'écoute. « Nous ne mettons pas de blocus sur Israël nous ! Il n'y a pas de problème avec l'eau en Israël. La nôtre n'est pas potable ! Il n'y a pas de crise alimentaire en Israël. Le peuple palestinien souffre ! »

Dans quelques jours, cela fera une semaine qu'Amir est rentré de Paris. Alors je l'interroge sur le fait qu'il soit rentré et qu'il ne soit pas resté en Egypte. « Je me dois d'être là. Ce n'est pas parce que j'ai eu la chance d'aller à Paris, que je parle français, que je dois abandonner ma terre. De toute façon, nous resterons tous ici. La Bande de Gaza et la Cisjordanie sont nos terres. Nous ne partirons pas même avec les bombardements. L'attachement à la terre est plus fort que tout. C'est ça notre réponse pacifique. » Avant de me laisser, Amir m'envoie les images qu'il veut que je montre. Le Stade de Palestine, avant et après. Il n'y aura plus de football dans ce stade. Les Palestiniens construisent. Les Israéliens détruisent. Il veut aussi que je montre cette vidéo où l'on voit un bombardement. Derrière les maisons bombardées, se trouve l'habitation d'un de ses amis. « C'est ce qui m'a surpris ce matin. C'est ce bombardement-là ! »

Voilà pourquoi Amir ne dort pas.

Notes :
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