Les patrons du Ministère américain de la Justice et les avocats qui défendent les banksters sont souvent d'ex-collègues ; ça aide à assurer l'impunité des coupables...

Personne n'a oublié la tournée européenne triomphale de Barack Obama en 2009. Et sa formule toute en nuance à destination des rois déchus de la finance, délivrée le 4 mars depuis l'Hôtel de Ville de Strasbourg, pour dénoncer « les spéculations irresponsables des banquiers ».

Il a remis ça dans le style tigre de papier à de nombreuses reprises au cours de son premier mandat.

En matière de poudre aux yeux sans lendemain, c'est pour sa colère feinte au cours de laquelle il a eu ces mots terribles, que nous avons un petit faible : « Mon administration est tout ce qui reste entre vous et la pointe des fourches » (cf. Newsweek du 6 mai 2012 : « Justice à vendre ? ») .

Il espérait sans doute se mettre dans la poche à peu de frais, les milliers d'exploitants agricoles et autres éleveurs du Midwest, plumés par le courtier en matières premières MF Global. Le patron de l'affaire, Jon Corzine, ancien gouverneur du New Jersey et Sénateur - démocrate - rêvait d'en faire une banque d'investissement. Un fantasme à 1,6 milliards de dollars. La huitième plus grosse faillite américaine de tous les temps intervenue le 31 octobre 2011 à la suite d'un placement malheureux de 6,3 milliards de dollars en dette souveraine européenne...

La sous-commission de la Supervision de la Chambre des Représentants vient de rendre jeudi 15 novembre, un rapport assez saignant sur la faillite de MF GLOBAL. Comme d'habitude, les parlementaires pointent du doigt lorsque le mal est fait, les multiples manquements de la SEC et la Commodity Futures Trading Commission à leurs obligations statutaires, dont ils relèvent l'absence de toute coordination entre les 2 agences qu'ils préconisent de fusionner.

Dans le rapport, les mieux habillés pour l'hiver sont toutefois les agences de notationqu'il s'agisse des notations erronées de Worldcom, Enron, de produits financiers structurés ou de MF Global, l'incapacité des agences de notation à faire leur travail a profondément affecté les marchés. Compte tenu de la concentration du secteur - Moody's, S&P, et Fitch occupent 98 % du marché - l'impact d'une erreur de leur part est décuplé... »).

De plus, le document souligne - sans surprise - qu'aucune action judiciaire ne sera probablement engagée contre les responsables du désastre...

Car c'est là que se situe l'empreinte génétique de l'administration Obama qui, au delà des formules à l'emporte pièce, s'en est tenue jusqu'à présent à un record inédit : à ce jour, le Ministère de la Justice n'a pas engagé une seule action pénale contre l'un des acteurs majeurs de la haute finance dévoyée américaine.

Too big to jail

Comme les établissements qu'ils dirigent, élevés au rang de « vache sacrée » par les pouvoirs publics qui n'osent envisager leur faillite, les grands patrons de la finance les plus impliqués dans les opérations spéculatives à l'origine de la crise financière - et dans une large mesure, économique - mondiale, ont en effet échappé à toute sanction pénale à ce jour.

Qu'elle semble loin en effet, la diatribe du très controversé Eric Holder (surnommé « Eric Holster » depuis le rôle présumé de son Ministère dans le scandale ) lors du discours inaugural du 17 novembre 2009 de la Task Force sur la fraude financière :
« Nous devons faire face aux défis sans précédents causés par la crise financière qui s'est emparée de notre économie l'année dernière. Les fraudes hypothécaires, celles sur les titres obligataires et toutes celles commises par les sociétés financières ont peu à peu érodé la confiance de la nation dans les marchés financiers et ont conduit au sentiment croissant selon lequel Wall Street échappe aux règles en vigueur dans le reste de la société. Des patrons sans scrupule, des experts en combines à la Ponzi et des criminels ordinaires ont ciblé les chéquiers et les comptes d'épargne et de retraite des américains de la classe moyenne, et dans de nombreux cas, ont dévasté le futur de familles entières. Nous ne laisserons pas ces actes impunis...La mission de cette Task Force n'est pas seulement de contraindre les responsables du désastre financier à faire face à leurs responsabilités mais d'empêcher qu'un tel désastre se reproduise.... »
Sous l'administration Clinton, le Démocrate au célèbre cigare baladeur, le Ministère de la Justice avaient tout de même aligné plus de 1 800 patrons et administrateurs de caisse d'épargne et plus d'un millier d'entre eux s'étaient retrouvés en prison.

Mieux, si l'on peut dire, la Task Force mise en place par George Bush sous la direction d'un ancien procureur du District Sud de Manhattan, avait obtenu entre 2002 et 2008 des condamnations pénales contre 1 300 patrons voyous dont 130 vice-présidents d'établissements financiers et 200 présidents et Directeurs Généraux si l'on en croit les statistiques de l'Université Syracuse (Transactional Records Access Clearing House) qui fait autorité en la matière. Alors pourquoi une telle clémence de la part de ceux qui, en grandes pompes, ont déclaré ouverte la chasse aux banquiers ripoux ?

Illustration banksters
© Ray Clid
Quand les ex-avocats du Ministère oeuvrent pour l'impunité

Le secret qui entoure la vague d'impunité dont ont bénéficié les banksters durant le premier mandat d'Obama se dissipe lentement lorsque l'on découvre que le ministre Holder, ses adjoints Lanny Breuer, Thomas Perrelli, Tony West, Karol Mason et autre James Cole viennent tous des prestigieux cabinets d'avocats new-yorkais, à commencer par Covington & Burling et Bryan Cave LLP, Jenner & Block ou encore Morrisson & Foerster qui défendent - à prix d'or - les dirigeants auxquels le ministère devrait normalement chercher des poux.

Pour ne s'en tenir qu'à lui, Covington compte aujourd'hui parmi ses clients principaux, Wells Fargo, J.P. Morgan, Bank of America, Citibank, Deutsche Bank, Goldman Sachs, ING, Morgan Stanley, UBS dont les noms sont forcément familiers des amateurs de la chronique judiciaire des principaux médias économiques.

Le cabinet a même pris part à la création du MERS, ce fabuleux système de gestion documentaire des actes hypothécaires qui a permis de faire signer par des machines, les centaines de milliers d'actes de saisie immobilière totalement irréguliers dont Bakchich s'était fait l'écho dans le passé.

Avant de prendre la tête de la Division Criminelle du Ministère de la Justice US, en théorie la plus crainte des banksters, le charmant Lenny Breuer ne co-présidait-il pas l'unité de défense et d'enquête en faveur des cols blancs chez Covington ? Son conseiller judiciaire en matière pénale au ministère, qui était notamment chargé de la coordination entre la Division Criminelle du ministère et la Task Force évoquée plus haut, ne venait-il pas du même cabinet où il est d'ailleurs retourné en 2010 pour rejoindre l'équipe des spécialistes en droit pénal des affaires, en charge de la défense des intérêts des dirigeants du secteur banque-finance ?

UBS, la banque suisse à laquelle l'Oncle Sam a fait les gros yeux pour avoir aidé sept mauvais citoyens américains à ouvrir des comptes dans ses filiales offshore pour un total de 100 millions de dollars, avait choisi en 2008 un talentueux avocat du Cabinet Covington pour la sortir du guêpier ; son nom ? Holder Eric...

Quant à MF Global et son Président Jon Corzine dont les parlementaires de la Sous-Commission de la Chambre des Représentants viennent de dire tout le bien qu'ils pensaient, devinez qui était son cabinet d'avocats favori ? Poser la question s'est y répondre : Covington & Burling ! Auquel le courtier indélicat devait d'ailleurs encore 114 275,55 dollars d'honoraires le jour de sa déclaration de faillite (source : United States Bankrupcy Court for the Southern District of New York - Notice of Application of the Chapter 11). Ingratitude, quand tu nous gagnes...

Quand ils se réunissent pour commenter la manière dont, l'un après l'autre, ils échappent aux fourches judiciaires, les banksters aiment à lire à haute voix avant de communier dans un énorme éclat de rire, les bons mots d'Eric Holder prononcés le 8 janvier 2010 sous les palmiers du Forum Club de Palm Beach : « Que ceux qui considèrent l'escroquerie comme la voie la plus directe vers la fortune, prennent bonne note de ce que je vais dire : si vous fabriquez de faux documents financiers, si vous propagez un dispositif frauduleux, si vous vous rendez complice d'une fraude financière, alors vous imprimez votre ticket d'entrée en prison. Sachez que nous enquêterons sur votre compte, nous déposerons plainte contre vous et nous vous jetterons en prison... »

Rétrospectivement, il est vrai que ça prête à rire....