Les Nations Unies viennent d'adresser à la France une sévère réprimande, après le renvoi d'un lycéen portant un turban sikh. Mais, curieusement : la presse et les médias font comme s'ils l'ignoraient. Il est vrai : cette admonestation va contre la doxa d'une éditocratie hexagonale qui s'est fait une spécialité de stigmatiser certaines minorités au nom - et au prétexte - d'une « laïcité » dénaturée.

En 2004, on se le rappelle : les médiacrates français se sont unanimement prononcés en faveur de l'adoption de la loi interdisant « le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics » - qui avait été concoctée sous l'abri du «principe de laïcité» et qui fut partout présentée comme équitable, mais dont il fut dès l'abord évident que ses promoteurs étaient d'abord motivés par une farouche volonté de proscrire le port du foulard islamique.

C'est cette hypocrisie que le Comité des droits de l'Homme de l'ONU - chargé de veiller au respect, par ses signataires, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) - vient de mettre en lumière, huit ans après la promulgation de cette loi, dans un avis accablant (1)...

...Mais auquel la presse française n'a pour l'instant pas (encore) daigné donner le moindre écho : un oubli, sans doute...

Renvoyé pour un turban

Cet organisme avait été saisi en 2008 par un jeune lycéen du nom de Bikramijt Singh, exclu de son établissement scolaire en 2004 pour avoir refusé d'ôter son turban sikh, et qui avait ensuite, au cours des quatre années suivantes, épuisé toutes les autres voies de recours: le Conseil d'État, saisi de son cas, avait par exemple rappelé « que, si les élèves des écoles, collèges et lycées publics peuvent porter des signes religieux discrets, sont en revanche interdits, d'une part, les signes ou tenues, tels notamment un voile ou un foulard islamique, une kippa ou une grande croix, dont le port, par lui-même, manifeste ostensiblement une appartenance religieuse », et, « d'autre part, ceux dont le port ne manifeste ostensiblement une appartenance religieuse qu'en raison du comportement de l'élève » - puis statué que « le keski sikh (sous-turban) porté par » le jeune garçon « dans l'enceinte scolaire, bien » que « d'une dimension plus modeste que le turban traditionnel et de couleur sombre, ne pouvait être qualifié de signe discret et que l'intéressé, par le seul port de ce signe », avait «manifesté ostensiblement son appartenance à la religion sikhe».

« Une punition disproportionnée »

Sauf que : après avoir mené sa propre enquête, le Comité des droits de l'Homme estime, dans son avis (daté du 1er novembre dernier), que l'attachement légitime des autorités françaises au principe de laïcité n'autorise pas tout, et ne justifie nullement que des élèves soient renvoyés au motif de leur foi.

Au cas précis: l'ONU estime notamment que l'État français «n'a pas apporté la preuve irréfragable que le lycéen sanctionné aurait, porté atteinte», en n'ôtant pas son keski, «aux droits et libertés des autres élèves, ou au bon fonctionnement de son établissement». Partant : «Le Comité estime également que son renvoi définitif de l'école publique a constitué une punition disproportionnée, qui a eu de graves effets sur l'éducation à laquelle il aurait dû avoir droit en France, comme toute personne de son âge».

Plus précisément : «Le Comité n'est pas convaincu que ce renvoi était nécessaire», et doute que l'institution scolaire ait «véritablement pris en compte» les arguments et les intérêts de Bikramijt Singh. Selon lui: ce n'est pas en raison de « son comportement personnel » que l'État français « a infligé » au lycéen « cette néfaste sanction», mais « uniquement parce qu'il appartient à une large catégorie de personnes définies par leur conduite religieuse ».

Et pour finir : le Comité relève que les autorités françaises n'ont «pas montré en quoi le sacrifice des droits de ces personnes était nécessaire» - ou « proportionné» -, au regard des «bénéfices» escomptés.

Prévenir la récidive

Pour toutes ces raisons, l'ONU « conclut que le renvoi» de Bukramijt Singh «de son lycée n'était pas nécessaire», que cette sanction, qui a « porté atteinte à son droit d'exprimer sa religion », constitue « une violation » du PIDCP - et que la France, signataire de ce Pacte, est, à ce titre, dans la double obligation de réparer l'injustice faite au lycéen (« y compris par une compensation appropriée »), et «d'empêcher que de semblables violations ne se reproduisent dans le futur».

Et bien évidemment: ce dernier point est le plus important. Car il ouvre une brèche où ne manqueront probablement pas de s'engouffrer d'autres élèves victimes de la loi de 2004 - au grand dam de ses chantres médiatiques et politiques: c'est peut-être ce qui explique pourquoi les autorités françaises n'ont pas encore répondu aux impitoyables observations de l'ONU - elles disposent, pour ce faire, de 180 jours -, et pourquoi la presse a jusqu'à présent fait silence sur cette affaire.

(1) Comme l'a relevé le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), qui a fait part, après lecture de ce document, de sa très vive satisfaction.