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Il est aujourd'hui dangereux, en France, de manifester dans la rue, même pacifiquement, même pour ses simples droits de travailleur. C'est là, en tout cas, ce que peut donner légitimement à penser, en toute objectivité, l'énorme bavure dont s'est rendue coupable, le mercredi 6 février dernier, la police française, dont l'actuel responsable, Manuel Valls, est un des fers de lance du Parti Socialiste : le comble pour un gouvernement de gauche, censé protéger l'intérêt des classes sociales les plus défavorisées, sur le plan économique, plutôt que les patrons d'industrie !

De ce crime qui ne dit pas son nom, presque passé totalement sous silence dans les médias français et, surtout, au sein du Ministère de l'Intérieur lui-même, c'est un jeune ouvrier liégeois, John David, âgé de 25 ans, métallo d'Arcelor Mittal dans le bassin sidérurgique wallon (en Belgique), qui en a été la malheureuse et grave victime : ce maudit 6 février 2013, il a en effet perdu définitivement son œil droit, lors de la manifestation qui a eu lieu devant le parlement européen de Strasbourg, suite à un tir de « flash ball » effectué par un des policiers alors présents, à l'extérieur de l'hémicycle strasbourgeois, afin d'y maintenir l'ordre.

VIOLENCE INJUSTIFIEE DE LA POLICE ET DE LA DOUANE FRANCAISES

Cet accident, déjà éminemment condamnable en soi, n'avait aucune raison, en outre, d'avoir lieu. Ces manifestants n'étaient pas armés. Ils avaient en effet été auparavant méticuleusement fouillés, leur cortège d'autocars ayant été arbitrairement arrêté à la frontière française, par des douaniers affairés. De plus, le pauvre John David, désormais borgne à vie, ne faisait absolument rien de répréhensible, au moment des faits, pour mériter pareil acte de violence à l'encontre de sa personne. Au contraire : il venait de se baisser pour repousser une bombe lacrymogène arrivée malencontreusement à ses pieds lorsqu'il a été atteint, en pleine tête, par une balle en caoutchouc tirée, sur lui, à bout portant !

Le jeune sidérurgiste liégeois, soudain aveuglé, s'est alors effondré sur le béton, presque inconscient, le visage en sang, sans rien comprendre de ce qui venait de lui arriver. Le noir total autour de lui ! Les cris de ses collègues pour tenter de le ranimer, de le sauver ! L'angoisse ! Le vertige ! Un terrible mal de tête !

Mais le pire, en cette histoire abominable, c'est que même les secours ont alors mis un temps interminable, trop long, pour pouvoir le rejoindre sur place : la police strasbourgeoise avait en effet bloqué, à grands renforts de sifflets et de matraques, l'ambulance qui devait l'emmener, de toute urgence, à l'hôpital le plus proche. C'est à cause de cet injustifiable retard, cette consternante et inacceptable lenteur causée par le zèle de la police de l'actuel Ministre de l'Intérieur, qui se dit démocrate et socialiste, que John David a perdu, précisément, son œil.

Manuel Valls, pour ce geste aussi criminel qu'inconsidéré, devrait avoir honte, et présenter, face à ce drame humain, des excuses publiques. Mais non, au contraire : il s'est empressé de faire étouffer l'affaire auprès de tous ses services, prenant surtout bien soin que ce scandale n'arrive pas aux oreilles de quelque journaliste trop indiscret ou compétent. Davantage : loin de dénoncer, en toute honnêteté et transparence, ladite bavure, il préfère la taire, de manière aussi lâche que médiocre !

On était par ailleurs en droit, également, d'entendre, sur cette épineuse et grave affaire, les protestations d'Arnaud Montebourg, actuel Ministre, lui aussi socialiste et démocrate, du Redressement Productif, lequel promettait très démagogiquement, il y a quelques jours à peine, rien moins qu'une « nationalisation » d'Arcelor Mittal sur le site français de Florange. Mais non, au lieu de cela, le même silence, assourdissant, fracassant, coupable !

LA CONSPIRATION DU SILENCE

C'est ainsi que, de cette tragédie humaine, advenue dans une indifférence quasi générale au sein de l'Hexagone, seuls les médias belges, et francophones en particulier, s'en sont faits véritablement, jusqu'à présent, l'écho. Dans la grande presse nationale française, c'est l'indigne et révoltante loi de l'omerta, la conspiration du silence : circulez, il n'y a rien à voir ; silence, on réprime !

John David, pourtant, est resté toute une semaine, mais dans le plus grand secret, à l'hôpital civil strasbourgeois, où il a été par ailleurs très bien soigné, et n'en est sorti que ce jeudi 14 février, pour s'en retourner alors, sans son œil, mais avec une immense douleur au creux de son être, dans sa bonne petite ville de Liège, en bordure de Meuse.

John David, depuis lors, a déposé plainte, pour coups et blessures, contre les CRS, lesquels sont à présent sur le coup d'une enquête, certes très discrète, de la part de la police des polices. Jean-Luc Mélenchon, proche des milieux syndicalistes, a par ailleurs demandé des explications, à propos de ce dossier d'une brûlante actualité, à Manuel Valls, qu'il juge être le vrai responsable, politiquement, de cette inqualifiable bavure.

Mais, comme si cela ne suffisait pas, un autre drame, d'ordre social, s'est ajouté à cet incommensurable mal : John David vient d'être licencié, sans raison apparente ni explication administrative (son tout récent absentéisme, peut-être, pour d'évidents motifs de santé ?), de son emploi de métallo chez Arcelor Mittal. Et ce, qui plus est, sans le moindre dédommagement financier ! Autant dire que c'est là, non moins scandaleux, le monde à l'envers... Peut-on imaginer plus cruel destin ?

L'OPPORTUNISME POLITIQUE DE MANUEL VALLS

Honte donc à Valls ! Honte à ce socialisme à la française, qui ne fait que protéger, en réalité, les intérêts de cette oligarchie, fût-elle politique ou économique, dont il est lui-même issu. L'hypocrisie est, là aussi, à son intolérable comble !

Même Sarkozy, lorsqu'il était Ministre de l'Intérieur, était un enfant de cœur à côté de l'implacable cynisme de Valls, qui, en l'occurrence, ne fait que prendre l'autorité de l'Etat pour un très pragmatique marchepied destiné à le propulser, dans quelques années, au sommet des ors de la République.

Il y a là, dans cet impitoyable mais efficace opportunisme politique de Valls, quelque chose de plus écoeurant encore - ce qui n'est pas peu dire - que dans l'effroyable cupidité financière de Mittal.

Et il y a effectivement là, sans vouloir me livrer ici à d'incongrus et par trop déplacés jeux de mots, de quoi broyer du noir : toute ma compassion, donc, à John David. Reste seulement à espérer que, grâce à cet admirable et courageux combat qu'il mène ainsi seul et en silence, il n'aura pas perdu son oeil, comme il vient de le confier lui-même à la presse belge, pour rien : ce serait là la pire, la plus atroce et inhumaine, des injustices...

Enfin, pire que tout encore : que François Hollande, Président de la République, se fasse chef de guerre, au Mali, est une chose ; mais qu'il déclare ainsi la guerre aux travailleurs à travers son propre Ministre de l'Intérieur, en France même et pour protéger en outre les tenants du capitalisme le plus sauvage, en est une autre, aussi abjecte que contraire aux valeurs les plus fondamentales de cette gauche qu'il dit, abusivement, incarner.

Hollande est un menteur, peut-être plus vil encore - ce qui n'est pas peu dire, là non plus - que ses prétendus adversaires idéologiques ! Il a purement et simplement trompé là - la preuve en est maintenant flagrante - son monde, surtout ceux qui ont voté pour lui et donc, fût-ce indirectement, ses dérives droitières, sinon fascisantes !

Daniel Salvatore Schiffer : Philosophe, auteur de « La Philosophie d'Emmanuel Levinas - Métaphysique, esthétique, éthique » (PUF), « Oscar Wilde » (Gallimard- Folio Biographies) et « Manifeste dandy » (François Bourin Editeur)