Kiosque à journaux, Paris
© Inconnu
Quelle folie que de porter un toast à la presse indépendante ! Chacun, ici présent ce soir, sait que la presse indépendante n'existe pas. Vous le savez et je le sais : il n'y a personne parmi vous qui oserait publier ses vraies opinions, et, s'il le faisait, vous savez d'avance qu'elles ne seraient jamais imprimées. Je suis payé 250 dollars par semaine pour garder mes vraies opinions en dehors du journal pour lequel je travaille.

D'autres, parmi nous, reçoivent la même somme pour un travail semblable. Si j'autorisais la publication d'une opinion sincère dans un numéro quelconque de mon journal, je perdrais mon emploi en moins de 24 heures, comme Othello. L'homme suffisamment fou pour publier une opinion sincère se retrouverait aussitôt sur une route à la recherche d'un nouvel emploi.

La fonction d'un journaliste (de New York) est de détruire la Vérité, de mentir radicalement, de pervertir, d'avilir, de ramper devant Mammon et de se vendre lui-même, de vendre son pays et les siens pour son pain quotidien ou, mais c'est la même chose, pour son salaire.

Cela, vous le savez et moi aussi : quelle folie alors que de porter un toast à la presse indépendante !

Nous sommes les ustensiles et les valets d'hommes riches qui commandent derrière les coulisses.

Nous sommes leurs marionnettes ; ils tirent les ficelles et nous dansons. Notre temps, nos talents, nos possibilités et nos vies sont la propriété de ces hommes.

Nous sommes des prostituées intellectuelles.
John Swinton, rédacteur en chef du New York Times, discours d'adieu à ses collègues, au cours d'un banquet en son honneur, à l'American Press Association - 1914