Patrice Higonnet est profes­seur d:histoire à l'université Harvard. Il est l'auteur, en 2007, d'un ouvrage sur le nationa­lisme américain (Attendant Cruel­ties : Nation and Nationalism in American History, Other Press). Bostonien depuis son adolescen­ce, il a étudié dans le lycée public de Cambridge où Djokhar Tsar­naev, l'un des terroristes présu­més, a suivi ses études.
Après les attentats, le président Obama a dit que les Bostoniens étaient des gens « résilients ». S'agissait-il d'une phrase conve­nue de réconfort ou d'une affir­mation significative ?

Un peu des deux. L'idée de la vil­le-phare d'une Nouvelle-Angleter­re dominée par les grandes familles protestantes à l'éthique de responsabilité affirmée, corres­pond plus à un passé révolu des XVIII' et XIX' siècles qu'au présent. Car la ville est devenue catholique, avec l'afflux des Irlandais puis des Italiens- son maire actuel est d'ori­gine italienne - et désormais des Latinos; et le gouverneur du Mas­sachusetts, Deval Patrick, est noir. On est loin de la population qui a façonné l'imagerie « résiliente ». En même temps, il en reste quel­que chose. On l'a vu dans la sidération collective après l'attentat. Poser des bombes ne peut être que le fait de rustres. A Oklahoma City, dans ce Sud américain féroce, on comprend, mais à Boston ? Cela ne pouvait pas venir de « chez nous» !

Pourquoi ?

Parce que nous sommes des gens éduqués, respectueux de la loi. La brutalité est supposée nous être étrangère. Dans mon milieu, par exemple : la réaction quasi générale a été d'imaginer un atten­tat commis par des fondamentalis­tes chrétiens, des anti-impôts fana­tiques ou des défenseurs des armes à feu. Des gens qui ne pour­raient pas vivre parmi nous. L'idée qui s'est imposée d'elle-même a été que les terroristes ne pou­vaient qu'être issus d'un groupe humain qui déteste cette Améri­que policée que Boston représen­te. Or, par exemple, le jeune Lanza, qui a commis le massacre des enfants à Newton, il y a quatre mois, avait été élevé en Nouvelle­-Angleterre. Mais on oublie facile­ment nos origines. On oublie, par exemple, que l'arrivée des colons est marquée, en 1650, par un mas­sacre où les puritains brûlent tout un village indien et ses habitants.

Les suspects sont des émigrés. l'adoption d'une loi sur les conditions d'accès des immi­grés sans papiers à la nationali­té américaine, dont Barack Oba­ma fait un chantier prioritaire, peut-elle être entravée ?

Je ne le crois pas. Le grand secret de l'Amérique est de toujours finir par absorber ses immigrants, qui tous deviennent patriotes. Et il y a toujours eu ici de « bons » immi­grants et d'autres plus « douteux ». Le Centre d'études européennes d' Harvard auquel je suis rattaché a été créé par des immigrés alle­mands à une époque où Germani­ques et Scandinaves étaient bien vus, mais les Italiens ou les juifs d'Europe centrale beaucoup moins. Tout cela a évolué.

Aujourd'hui Latinos ou Chinois sont acceptés plus facilement que les Arabes ou les musulmans. Mais les républicains, par calcul électo­ral, ont choisi l'immigration com­me le seul terrain où ils peuvent changer leur fusil d'épaule. Parce que les Hispaniques, qui en fournis­sent la majorité, constituent une population religieuse et conserva­trice dans laquelle ils devraient nor­malement puiser beaucoup plus de voix. Cela ne changera pas.

Et le rapport à l'islam ?

Ça, c'est autre chose. Un senti­ment diffus monte aux Etats-Unis d'un danger particulier. L'at­mosphère qui règne à Boston, tout ça, peut-être à cause de terroristes islamistes, y contribue. Cela étant, je ne pense pas que cela ranimera un sentiment guerrier. Les Améri­cains ne veulent plus de guerre. Ils pensent désormais que cela ne sert à rien et coûte très cher.

PROPOS RECUEILLIS PAR S. C.