Un homme regarde les corps rassemblés dane une morgue des islamistes tués dans l'assaut lancé par les forces de l'ordre contre les partisans de Mohamed Morsi, le 14 août 2013.
© Mosaab El-Shamy/AFPUn homme regarde les corps rassemblés dane une morgue des islamistes tués dans l'assaut lancé par les forces de l'ordre contre les partisans de Mohamed Morsi, le 14 août 2013.

Etat d'urgence et couvre-feux ; au moins 124 partisans du président déchu tués.

Le gouvernement égyptien a demandé mercredi aux partisans de l'ancien président islamiste Mohamed Morsi d'"entendre la voix de la raison", et a estimé que les forces de sécurité avaient fait montre de "retenue" lors de la dispersion dans la journée des campements organisés en soutien du chef d'Etat destitué.

Les forces de l'ordre égyptiennes ont mis mercredi matin leurs menaces à exécution et ont commencé à disperser les partisans de Mohamed Morsi, dans une opération qui a rapidement tourné au bain de sang avec des dizaines de morts.

Dans un communiqué, le gouvernement s'engage à mener à bien la transition politique "de manière à n'exclure la participation d'aucun parti" et demande aux cadres des Frères musulmans de ne pas inciter à la violence. "Le gouvernement tient ces dirigeants entièrement responsables de toute effusion de sang, et de toutes les émeutes et les violences qui sont en train d'avoir lieu", dit le communiqué.

(Voir aussi : Images d'une journée sanglante au Caire)

La présidence a également décrété l'état d'urgence pour un mois et un couvre-feu a été imposé au Caire et dans 13 autres provinces. "Après que la présidence a annoncé l'état d'urgence, des couvre-feux seront imposés de 19H00 (17H00 GMT) à 06H00 (04H00 GMT) jusqu'à nouvel ordre", a indiqué un porte-parole du gouvernement installé par l'armée après la déposition de M. Morsi. Ces mesures s'appliquent pour un mois au Caire et aux provinces de Guizeh, d'Alexandrie, de Beni Sueif, de Minya, d'Assiout, de Sohag, de Quena, de Fayoum, de Beheira, du Nord et du Sud-Sinaï, Suez et Ismailia. Toute personne qui ne respecterait pas cette mesure s'expose à une peine de prison, a précisé le gouvernement.
Egypte, Les forces de l'ordre à l'assaut du campement de Rabaa.
© Amr Abdallah Dalsh/ReutersLes forces de l'ordre à l'assaut du campement de Rabaa.

Le président par intérim, Adly Mansour, nommé par les militaires après la destitution de M. Morsi, "a donné pour mission aux forces armées, en coopération avec la police, de prendre toutes les mesures nécessaires pour maintenir la sécurité et l'ordre ainsi que pour protéger les biens publics et privés et les vies des citoyens", selon le communiqué de la présidence. "La sécurité et l'ordre dans la nation sont en danger en raison d'actes de sabotage délibérés, d'attaques visant des bâtiments publics et privés et de la perte de vies humaines, des actes perpétrés par des groupes extrémistes", selon la présidence.

De son côté, le prix Nobel de la paix Mohamed ElBaradei, qui avait apporté sa caution morale à la destitution de M. Morsi, a présenté sa démission. Il avait à plusieurs reprises plaidé pour une solution politique à la crise, répétant que les Frères musulmans devaient participer à la transition.

Dans la matinée, une autre figure morale s'était désolidarisée de l'opération meurtrière des forces de l'ordre: l'imam d'Al-Azhar, plus haute autorité de l'islam sunnite, qui avait expliqué n'avoir pas eu connaissance des méthodes que les forces de l'ordre comptaient employer.

(Diaporama : L'assaut contre les pro-Morsi en images)

Sur la place Rabaa al-Adawiya, le plus important des deux rassemblements islamistes au Caire, un journaliste de l'AFP a compté 124 cadavres -dont plusieurs manifestement tués par balles- dans une morgue de fortune.

Et ce nombre pourrait augmenter, car aucun bilan n'était disponible dans l'immédiat après la dispersion de la place Nahda, que l'Intérieur dit désormais contrôler "totalement". Des correspondants de l'AFP y ont vu quatre cadavres, certains calcinés. Ce bilan ne tient pas compte non plus d'autres affrontements en cours dans le pays.

Un homme pleure dans la morgue d'un hôpital de campagne où sont rassemblés les corps des islamistes tués dans l'assaut lancé par les forces de l'ordre contre les partisans de Mohamed Morsi, le 14 août 2013.
© Mosaab El-Shamy/AFPUn homme pleure dans la morgue d'un hôpital de campagne où sont rassemblés les corps des islamistes tués dans l'assaut lancé par les forces de l'ordre contre les partisans de Mohamed Morsi, le 14 août 2013.

Au cours de la dispersion des manifestants, un caméraman de la chaîne britannique Sky News a été tué par balle.
Les Frères musulmans ont de leur côté annoncé que la fille de 17 ans d'un de leurs principaux leaders, Mohammed al-Beltagui, avait également été tuée par balle.

Au total, les Frères parlent de 2.200 morts et plus de 10.000 blessés, tandis que les autorités disent avoir recensé 149 décès à travers le pays, dont au moins sept membres des forces de sécurité au Caire, et affirment que les manifestants ont ouvert le feu sur la police. Un responsable de la sécurité a affirmé à l'AFP que 543 personnes avaient été arrêtées.

En début de soirée, des centaines de pro-Morsi quittaient la place Rabaa, les forces de l'ordre leur ayant ménagé un couloir d'évacuation.

Plus tôt dans la journée, dans l'hôpital de campagne du campement de la place Rabaa, les médecins débordés délaissaient les cas désespérés sur le sol maculé de sang, pour concentrer leurs efforts sur les blessures les plus susceptibles d'être soignées. Un homme qui respirait encore mais avait reçu une balle dans la tête n'a ainsi pas pu recevoir de soins, a constaté le journaliste.

L'assaut contre les partisans de Mohamed Morsi, sur la place Rabaa al-Adawiya.
© Mohammed Abdel Moneim/AFPL'assaut contre les partisans de Mohamed Morsi, sur la place Rabaa al-Adawiya.
Le correspondant en Egypte de Skynews a pu pénétrer dans le campement des partisans du président déchu sur la place Rabaa al-Adawiya. Sur son compte Twitter, il a évoqué des scènes de "chaos absolu". L'hôpital de campagne est "plein de cadavres" et de blessés graves. Les femmes et les enfants se cachent dans la mosquée, a-t-il poursuivi, ajoutant avoir vu au moins deux nourrissons morts, "pas en raisons de tirs, mais à cause de la chaleur et du manque d'eau". Le journaliste a également évoqué des snipers tirant à balles réelles, rendant plus difficile encore l'accès à l'entrée de l'hôpital.

Les partisans du président déchu ont été pris par surprise par les bulldozers des forces de l'ordre car les nouvelles autorités avaient promis des "sommations" afin de laisser partir ceux qui le souhaitaient, en particulier les femmes et les enfants. Les islamistes occupaient ces places depuis près d'un mois et demi pour réclamer le retour de M. Morsi, destitué et arrêté par l'armée le 3 juillet.

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Sur la place Rabaa, dont l'accès était interdit aux journalistes qui ne se trouvaient pas déjà sur les lieux, des tirs d'arme automatique résonnaient et une pluie de grenades lacrymogènes s'abattait sur le village de tentes, sur fond de chants religieux diffusés à plein volume par les haut-parleurs de l'estrade.

L'armée égyptienne a ouvert le feu sur des partisans du président déchu qui tentaient de rejoindre un campement pris d'assaut par les forces de sécurité, a également indiqué un correspondant de Reuters sur place, qui a dit avoir vu une vingtaine de protestataires atteints aux jambes par des balles tirées par les militaires. Les manifestants jetaient quant à eux des pierres des cocktails incendiaires sur les soldats.

Une Egyptienne se tient devant un bulldozer des forces de l'ordre.
© Mohammed Abdel Moneim/AFPUne Egyptienne se tient devant un bulldozer des forces de l'ordre.

Des sources au sein des services de sécurité ont par ailleurs fait état d'affrontements entre des partisans de Morsi et la police dans les villes d'Al-Minya et Assiout, au sud du Caire.

Un responsable de la sécurité a affirmé à l'AFP que des résidents avaient aidé les forces de sécurité à arrêter des dizaines de manifestants, alors que la télévision diffusait des images d'hommes menottés assis au sol et de familles escortées hors du site.

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"Ce n'est pas une tentative de dispersion mais une tentative d'écraser d'une façon sanglante toute voix opposée au coup d'Etat militaire", a dénoncé Gehad el-Haddad, porte-parole des Frères musulmans, sur Twitter.

Sa confrérie a appelé "les Egyptiens à descendre dans la rue pour arrêter le massacre". En réponse, le gouvernement a annoncé que le trafic ferroviaire en direction et depuis Le Caire était interrompu.

Un blessé, dans le campement d'al-Nahda.
© Engy Imad/AFPUn blessé, dans le campement d'al-Nahda.
En représailles à la dispersion, des islamistes ont commencé à bloquer des grands axes du Caire en incendiant des pneus en travers des routes pour tenter de paralyser le pays. Des heurts sporadiques avaient lieu dans plusieurs quartiers du Caire ainsi que d'autres villes du pays.

Dans les provinces d'el-Menia et de Sohag (centre), des pro-Morsi ont incendié des églises de la communauté copte, dont le patriarche avait lui aussi soutenu la décision de l'armée de destituer M. Morsi, toujours retenu au secret. Les militants accusent les pro-Morsi de mener "une guerre de représailles" contre les chrétiens.

Le gouvernement et la presse quasi-unanime accusaient les Frères musulmans d'être des "terroristes" ayant stocké des armes automatiques sur les deux places et se servant des femmes et des enfants comme "boucliers humains".
Les nouvelles autorités, s'appuyant sur une grande partie de la population qui reprochait à M. Morsi d'avoir cherché à accaparer le pouvoir sans rien faire pour l'économie en crise, entendent lancer une période de transition devant mener à des élections début 2014.