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En confiant depuis juin dernier la conduite de la guerre en Syrie à l'Arabie Saoudite - en remplacement du Qatar, viré pour incompétence - , le Bloc occidental a aussi opté pour la surenchère sanglante. Massacres dans les villages alaouites autour de Lattaquié ; vraie-fausse attaque chimique pour tenter de justifier l'intervention du Bloc au moment où ses mercenaires s'essoufflent : l'accélération est phénoménale.Mais elle déborde désormais sur le Liban voisin. Après l'attentat perpétré dans la banlieue chiite de Beyrouth il y a une semaine, une nouvelle attaque a frappé hier les sunnites à Tripoli, dans le nord du pays. La stratégie est cousue de fil blanc. Il s'agit de précipiter le Pays du Cèdre dans une nouvelle guerre confessionnelle pour «fixer» le Hezbollah, soutien de Damas.

La sanglante empreinte des Saoud en Syrie...

Le Bloc atlantiste semble avoir joué sa dernière carte en confiant la gestion de la guerre en Syrie à la Maison des Saoud. Matrice du terrorisme international islamiste, le Royaume sait qu'il n'a pas droit à l'erreur et a immédiatement donné le ton.

Dans les environs de Lattaquié, des villages entiers d'Alaouites ont récemment été massacrés dans un déferlement d'horreurs soigneusement ignorée par la presse-Système. L'idée est simple : susciter les désertions en faisant comprendre aux officiers de l'armée syrienne que tant qu'ils combattront sur le front, leurs familles seront décimées à l'arrière.

Ces massacres sont d'ailleurs survenus au lendemain d'une visite du chef des Renseignements saoudiens, Bandar ben Sultan, à Moscou, où il était venu proposer des contrats mirifiques à Poutine en échange de son lâchage de Bachar el-Assad. Le Prince avait été éconduit par le chef du Kremlin, et la riposte ne s'est donc pas faite attendre.

...et au Liban désormais

Nos sources au Liban pensent que c'est encore l'Arabie Saoudite qui est l'inspiratrice du récent attentat qui a frappé la banlieue sud de Beyrouth, pour punir le Hezbollah d'avoir participé à la bataille de Qousseir aux côtés de l'armée syrienne.

Et à l'heure où nous écrivons ces lignes, un nouvel attentat a frappé cette fois Tripoli, dans le nord du Pays. Pas besoin d'être grand clerc pour comprendre qu'une politique de déstabilisation est à l'œuvre au Liban pour faire éclater une guerre confessionnelle entre sunnites et chiites. La stratégie est cousue de fil blanc.
«Un coup chez les Chiites, un coup chez les Sunnites : maintenant qu'ils ont un mandat des Américains, les Saoudiens se lâchent», nous confie une source de haut niveau à Beyrouth.» Et d'ajouter : « Il ne faut pas non plus sous-estimer le fait qu'au-delà du mandat américain en Syrie, les Saoudiens ont leur propre agenda dans la région (1).»
Deadline en 2014 ?

Pour l'heure, la Syrie - et par ricochet le Liban donc - résiste tant que faire se peut à l'assaut de coupe-jarrets islamistes, mais aussi des mercenaires encadrés par des commandos jordaniens, israéliens et américains désormais. C'est que le temps presse, car il semble qu'une deadline ait été fixée à Riyad qui doit impérativement réussir à renverser le régime syrien avant l'élection présidentielle de 2014.

Les attentats perpétrés au Liban et le récent montage d'une vraie-fausse attaque chimique abracadabrantesque dans les environs de Damas attestent de cette accélération.

- Au passage, notons notre effarement de constater à quel point la presse-Système militante a perdu tout sens critique en relayant cette information sans le moindre scepticisme. Car de deux choses l'une, soit on est d'une parfaite mauvaise foi, soit on est complètement con, pour croire une seule seconde que le régime syrien va lancer une attaque chimique dans les faubourgs de Damas alors qu'il est en train de gagner sur tous les fronts et que les enquêteurs de l'ONU sont sur place - .

L'Occident en train de perdre le Moyen-Orient

Il faut replacer cette inflation de violences dans la vertueuse tentative de remodelage du Moyen-Orient voulue par Washington et ces zélateurs.

Et c'est peu dire que tous les pays qui ont eu le malheur d'être secouru par l'Occident se sont retrouvés ruinés, dévastés, livrés à une violence sans fin.

Aux guerres mafieuses lancées en Afghanistan et en Irak sous prétexte de croisade post-11 Septembre, ont succédé l'offensive généralisée contre les Chiites et la lamentable tentative de prise de contrôle du Printemps arabe. Résultat : l'Irak, l'Afghanistan et la Lybie agonisent, la Syrie baigne dans son sang et le Liban se bat pour ne pas être emporté dans la guerre voisine.

Du côté de l'Egypte, la rupture est également consommée avec Washington et Paris. Partout, de Kaboul à Bagdad, en passant par Beyrouth, Tripoli, Téhéran, Damas ou Le Caire, la rue rejette désormais la narrative occidentale et il n'y a plus guère que les proconsuls payés par le Bloc pour lui trouver encore quelques vertus.

La perte de l'Egypte
«Obama a d'abord soutenu Moubarak et a voulu ensuite nous imposer les Frères musulmans. Mais qu'est-ce qu'il croyait, qu'on allait accepter de passer d'un régime de fous à un autre parce-que ça arrange les Etats-Unis? Et pourquoi l'Europe nous menace ? Vous trouvez qu'on ne mérite pas mieux que des fanatiques menteurs et incompétents pour nous diriger?»
Ce coup de gueule d'un ami cairote hier, musulman pieu mais adversaire acharné des Frères musulmans, nous semble bien résumer l'amertume qu'ont suscitées au Caire les condamnations - forcément outrées - , de capitales occidentales - forcément vertueuses - , suite au «massacre» perpétré par l'armée égyptienne pour briser l'insurrection des Frères musulmans le 14 août dernier.

Chez les révolutionnaires de la première heure au Caire, la (re)prise de de contrôle du pays par l'armée est donc perçue comme une étape nécessaire d'une révolution toujours en marche.

Bien sûr, le processus est par nature dangereux, et comme nous le relevions dans notre précédente brève, le Conseil suprême de forces armées égyptien, le Scaf, devra jouer les équilibristes pour établir une feuille de route convaincante vers un retour du pouvoir civil, tout en évitant de se faire «pénétrer» par des saoudiens ou des israéliens toujours en embuscade.

Reste que Washington et Paris, donc l'UE, sont désormais hors-jeu de l'équation égyptienne, ce qui représente sans aucun doute un événement majeur pour la région.

La catastrophe générale est en marche

Le tableau qui se dessine est donc celui d'une catastrophe générale à venir pour l'Occident au Moyen-Orient :
- L'Irak passe lentement mais sûrement dans le giron iranien ;

- L'Afghanistan est en bonne voie pour retourner aux talibans ;

- La Libye s'évapore dans les guerres tribales ;

- Malgré la surenchère saoudienne en Syrie, le régime résistera tant que la Russie et la Chine le soutiendront et, à terme, il semble bien que Washington et Paris devront se résoudre à capituler sur ce front également ;

- En Egypte, le Bloc occidental vient aussi de perdre la bataille des cœurs.

- Quant au Liban, la déstabilisation très probablement orchestrée par les alliés de Washington, et la récente inscription du Hezbollah sur la liste des groupes terroristes de l'UE, achèvent de disqualifier là encore le Bloc occidental comme interlocuteur valable au Pays du Cèdre.
Ironie de l'Histoire, dans ce tourbillon de batailles perdues, de rendez-vous ratés et de stratégies occidentales foireuses au Moyen-Orient, le seul pays qui semble devoir rester stable envers et contre tout, n'est autre que l'Iran.

Décidément, il vaut mieux avoir l'Occident pour ennemi déclaré que comme sauveur.

Et ça, le Moyen-Orient l'a désormais intégré.

(1) Pour l'Arabie Saoudite, c'est la montée en puissance chiite qu'il s'agit de briser. Depuis la révolution islamique de 1979 en effet, une compétition féroce oppose Riyad et Téhéran pour le leadership musulman. Depuis la première guerre du Golfe, jamais les pétromonarchies n'ont été plus éloignées de leurs références islamiques et leur soumission aux intérêts américains, voire israéliens, est très mal perçue par la rue arabe. Avec des positions (anti-israéliennes, anti-américaines) aux antipodes de ses voisins du Golfe, Téhéran s'affirment donc de plus en plus comme une référence religieuse plus convaincante malgré le fossé qui sépare les branches sunnites et chiites de l'Islam. Au demeurant, on constatera aussi que les pays du Golfe sont en proie à des troubles souvent liées à leurs très fortes minorités chiites, sans parler de Bahrein dont la population est à 70% chiites. Pour les puissances du Golfe, la priorité absolue est donc à la chute de l'Iran chiite, et la déstabilisation du régime chiite alaouite de Bachar al-Assad n'est là aussi qu'une étape. -