Deux journées de pourparlers internationaux à Genève à propos des programmes nucléaires iraniens se sont conclues mercredi par un accord pour tenir une nouvelle réunion les 7 et 8 novembre afin de discuter des propositions présentées par les négociateurs iraniens cette semaine. Ces pourparlers réunissaient le groupe dit P5+1, réunissant les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Chine et la Russie ainsi que l'Allemagne, qui a discuté avec une équipe iranienne dirigée par le ministre des Affaires étrangères Javad Zarif.

Réunion à Genève des délégations iranienne et des autres puissances mondiales, le 15 octobre
© ReutersRéunion à Genève des délégations iranienne et des autres puissances mondiales, le 15 octobre
Aucun détail du plan iranien, présenté mardi par Zarif, n'a été publié. Cependant, dans une démarche inhabituelle, Zarif et Catherine Ashton, la chef de la politique étrangère de l'Union européenne et négociateur en chef du groupe P5+1, ont publié une déclaration conjointe décrivant les pourparlers comme « substantiels et innovateurs ». Ashton a qualifié ces négociations « des plus détaillées que nous ayons eues depuis longtemps ».

Le porte-parole de la Maison Blanche, Jay Carney, a déclaré que l'Iran avait démontré « un niveau de sérieux et de substance que nous n'avons jamais vu avant ». Le haut fonctionnaire de l'administration américaine a déclaré aux médias « Je n'ai jamais eu de conversations aussi intenses, détaillées, franches et candides avec les gens de la délégation iranienne. Je dirais que nous commençons un type de négociations où l'on peut s'imaginer que l'on peut peut-être arriver à un accord. ».

Le ton optimiste qui règne dans une grande partie de la couverture médiatique est toutefois en totale contradiction avec le fossé qui existe entre les deux parties. Les pourparlers eux-mêmes ont eu lieu à l'ombre des sanctions économiques paralysantes imposées à l'Iran par les États-Unis et leurs alliés européens, ainsi que de la menace constante d'attaques militaires par les États-Unis et Israël.

L'administration Obama poursuit ses allégations sans fondement selon lesquelles l'Iran chercherait à se doter d'armes nucléaires. Ce faisant, cela lui fournit un prétexte utile pour mener une campagne incessante de pressions et de provocations dont le but ultime est le renversement du régime à Téhéran. Cela fait maintenant plus de trois décennies, depuis la révolution iranienne de 1979 qui a renversé le Shah Reza Pahlavi, allié de Washington, que les États-Unis voient en l'Iran le principal obstacle à leur domination complète du Moyen-Orient riche en hydrocarbures.

Le régime iranien est clairement désespéré d'obtenir un certain soulagement des sanctions qui ont réduit de moitié ses exportations de pétrole, celles-ci étant au cœur de son économie et des recettes de l'État. Les sanctions ont entraîné une forte inflation, une hausse du chômage, un effondrement de la monnaie iranienne et la menace de troubles sociaux répandus. Avec le soutien qualifié du chef suprême iranien, l'ayatollah Khamenei, le nouveau gouvernement du président Hassan Rouhani a manifesté sa volonté de faire des concessions à propos du programme nucléaire du pays.

Toutefois, le vice-ministre des Affaires étrangères russe Sergei Ryabkov a déclaré mercredi : « Les positions de la partie iranienne et du groupe P5+1 sont aux antipodes les unes des autres, la distance les séparant pouvant être mesurée en kilomètres, tandis que les progrès peuvent être mesurés en pas d'un demi-mètre chacun. Même si le ton a changé, «les négociations étaient difficiles, parfois tendues, parfois imprévisibles ».

Même si aucun détail du plan iranien n'a été révélé, le vice-ministre des Affaires étrangères iranien Abbas Aragchi a indiqué que celui-ci comprenait trois étapes, la première étant de parvenir à un accord pour en arriver à une « fin de partie » ou la résolution finale de l'impasse. Aragchi a annoncé avant les pourparlers qu'en aucun cas l'Iran ne renoncerait entièrement à son programme d'enrichissement d'uranium.

Les États-Unis n'admettent toujours pas que l'Iran ait le droit en vertu du Traité de non-prolifération nucléaire d'enrichir de l'uranium à des fins pacifiques, notamment pour alimenter en combustible son réacteur nucléaire. Washington a présenté une série de résolutions au Conseil de sécurité de l'ONU pour l'imposition de sanctions tout en exigeant que Téhéran mette fin à tout enrichissement d'uranium.

Aragchi a laissé entendre que Téhéran serait prêt à limiter l'enrichissement de l'uranium, ainsi qu'à mettre en œuvre un soi-disant protocole additionnel de l'Agence internationale de l'énergie atomique, qui prévoie des inspections beaucoup plus intrusives de ses installations nucléaires que celles se déroulant actuellement. « Aucune de ces questions ne figure dans la première étape. Mais elles font partie de nos dernières étapes », a-t-il déclaré à l'agence de nouvelles officielle iranienne IRNA.

Le ministre adjoint des Affaires étrangères a également déclaré qu'il espérait voir une levée complète des sanctions dans les six mois. « Nous devons parvenir à un accord dans un laps de temps limité, de façon à ce que personne n'ait l'impression que nous sommes en train de passer le temps », a-t-il dit. Téhéran a déjà fait l'amère expérience de faire d'importantes concessions dans les négociations avec les alliés européens de Washington de 2003 à 2005, pour se voir octroyer très peu en retour.

L'administration Obama cherche évidemment à extraire ce qu'elle peut de ces négociations tout en offrant peu de garanties de son côté. Les responsables américains ont laissé entendre que Washington pourrait annuler l'imposition de nouvelles sanctions actuellement devant le Congrès. Selon un article de Voice of America, la présence du haut fonctionnaire du Trésor américain Adam Szubin pourrait indiquer la volonté américaine d'ouvrir un lien bancaire américano-iranien direct pour le commerce de biens humanitaires tels la nourriture et des médicaments. Cela ne fait que souligner le caractère criminel des sanctions américaines, car bien que celles-ci exonèrent nominalement ces biens des sanctions, dans les faits, leur vente est bloquée puisque les restrictions financières font qu'il n'existe aucune méthode de paiement.

Sur les questions de fond, l'administration Obama fait face à l'opposition du Congrès et de son principal partenaire au Moyen-Orient, Israël. Dans une démarche inhabituelle, le cabinet de haute sécurité d'Israël a publié un communiqué provocateur mardi demandant à l'Iran de cesser tout enrichissement d'uranium, de faire sortir du pays tous les stocks actuels d'uranium enrichi et de démanteler ou de mettre en veilleuse ses installations nucléaires. Il a également lancé une mise en garde contre tout assouplissement des sanctions avant que ces exigences ne soient mises en œuvre.

Ce communiqué n'est qu'une recette pour s'assurer que les pourparlers échouent, l'Iran ayant déjà exclu de mettre fin à l'enrichissement d'uranium. Israël, qui dispose d'un important arsenal d'armes nucléaires, est déterminé à maintenir sa prédominance militaire au Moyen-Orient en veillant à ce qu'aucun de ses rivaux n'ait même le potentiel pour égaler sa puissance. Le premier ministre Benjamin Netanyahu a annoncé à plusieurs reprises qu'Israël pourrait effectuer une action militaire préventive contre l'Iran, comme il l'a fait contre l'Irak en 1981, alors que des avions de guerre israéliens avaient détruit un réacteur nucléaire construit par la France en Irak.

L'administration Obama cherche par ailleurs à obtenir des concessions beaucoup plus vastes de Téhéran, allant au-delà de la restriction de son programme nucléaire. Ayant reculé dans ses intentions de mener une attaque militaire imminente le mois dernier contre le régime syrien du président Bachar Al-Assad qui est allié de l'Iran, Washington se tourne maintenant vers ce pays pour l'aider à évincer Assad. À ce jour, Téhéran a rejeté les conditions américaines pour sa participation à des « pourparlers de paix » syriens à Genève, ceux-ci comprenant le soutien à un régime transitoire en Syrie excluant Assad et ses proches partisans.

Il y a un peu plus d'un mois, les États-Unis et leurs alliés étaient au bord de la guerre avec la Syrie, un conflit qui menacerait d'engloutir l'Iran et toute la région. Ceci souligne le caractère très ténu des pourparlers de cette semaine à propos du programme nucléaire iranien. Quel que soit le résultat final des négociations, l'objectif primordial de l'impérialisme américain reste le même: assurer sa domination sans entrave sur le Moyen-Orient au détriment de ses concurrents, et ce, par tous les moyens, y compris la force militaire.