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Les océans constituent le berceau de la vie sur Terre. Ils recouvrent pas moins de 70 % de notre planète bleue. Mais ces milieux de vie irremplaçables subissent les assauts de plus en plus destructeurs de l'humanité, qui pollue et pille ces vastes étendues d'eau jusque dans les plus grandes profondeurs. Sommes-nous en train de transformer les océans en déserts ?

De tout temps, le poisson a fait partie de l'alimentation humaine. Et de tout temps, nous avons compté sur les océans pour fournir cette ressource réputée inépuisable. Mais la destruction des stocks des différentes espèces comestibles a été telle que les océans risquent d'être totalement vides d'ici à peine 30 ans. Et aucune mesure efficace n'existe à l'heure actuelle pour éviter le pire.

« La protection des océans est un échec permanent de l'espèce humaine, résume le chercheur de l'Université Laval Eric Dewailly, qui travaille depuis 30 ans avec des populations qui vivent de la pêche. Ce qui nous attend, c'est le hamburger à la méduse. Sur les étals, on voit des poissons pêchés de plus en plus profondément. Toute la gestion des stocks est un échec. »

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Les données sur les pêcheries mondiales lui donnent malheureusement raison. Selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), de plus en plus d'espèces sont soumises à des pressions de pêches excessives. En fait 80 % des espèces sont « pleinement exploitées » ou « surexploitées ». De ce nombre, au moins 30 % en sont au stade de l'effondrement total.

« Étant donné la baisse des captures marines mondiales observée ces dernières années, l'augmentation du pourcentage de stocks surexploités et la diminution du pourcentage d'espèces non pleinement exploitées dans le monde, un constat s'impose : la situation mondiale des pêches de captures marines s'est aggravée », écrit la FAO dans son plus récent rapport sur la situation mondiale des pêches et de l'aquaculture.

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En fait, la situation est à ce point critique que le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) a souligné dès 2010 que les océans auront été complètement vidés de leurs ressources halieutiques d'ici 2050. Preuve de l'hécatombe en cours, pas moins de 90 % des gros poissons ont disparu entre 1950 et 2010. On peut citer en exemple la morue, dont les stocks ont été réduits de 99 % dans certaines zones des eaux canadiennes jadis extrêmement poissonneuses. Et l'espèce ne montre aucun signe de rétablissement, malgré les moratoires sur la pêche.

Le fléau de la pêche illégale

Charles Latimer, responsable de la campagne Océans chez Greenpeace, estime toutefois que l'état réel des stocks de poissons du globe est impossible à déterminer. « Ce qui est le plus préoccupant, c'est qu'il est très difficile d'avoir de vrais chiffres, à cause de la pêche illégale. Cette pêche non réglementée représente une bonne part des captures. On ne sait donc pas quelles sont les prises réelles dans le monde. »

Les diverses estimations disponibles indiquent qu'au moins 25 % de la pêche mondiale serait illégale ou non répertoriée. Selon la FAO, cette pratique « met en danger les conditions d'existence des populations dans le monde, menace les précieuses ressources marines et porte atteinte aux efforts réalisés et à la crédibilité mesures de gestion ». Par exemple, en janvier dernier, un imposant navire russe a été arraisonné alors qu'il pêchait illégalement dans les eaux du Sénégal. Les cas de ce genre sont monnaie courante, selon l'ONU.

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Malgré l'épuisement accéléré des poissons jusque dans les grandes profondeurs, les quantités de poissons débarqués à quai se maintiennent autour de 80 millions par année depuis plus de 20 ans. Un tel « exploit » est possible en raison de l'augmentation de la pression de pêche partout sur la planète. Quelque 20 millions de bateaux tendent filets et lignes dans les océans. Un chiffre nettement trop élevé, vu l'état des ressources.

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Pour le directeur du PNUE, Achim Steiner, une part importante de cette trop grande capacité de capture est due aux subventions accordées par les États. « On estime que plus de 27 milliards de dollars par an sont alloués, sous forme de subventions, à l'industrie de la pêche mondiale, ce qui a généré une surpêche qui dépasse de deux fois la capacité des poissons à se reproduire. En d'autres termes, les navires de pêche industrielle sont deux fois plus nombreux que ce que les océans peuvent soutenir », écrivait-il récemment dans une lettre appelant à mieux protéger les océans.

Techniques destructrices

Qui plus est, la traque des poissons se fait parfois en recourant à des techniques destructrices pour l'écosystème. Charles Latimer cite en exemple la pêche au chalut, qui consiste à traîner un immense filet sur le fond marin. « Ça équivaut à faire des coupes à blanc dans les fonds marins. » Malgré son caractère dommageable, le chalutage est toujours permis. L'Union européenne a d'ailleurs échoué à le faire bannir en eaux profondes en décembre dernier.

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Dans le cas de certaines espèces, comme le thon vendu en conserve, les techniques de pêche sont surtout destructrices pour d'autres espèces. C'est ce qu'on appelle les « prises accidentelles ». Bien souvent, des dauphins meurent dans les filets tendus pour attraper les thons, mais aussi des requins, des tortues et des oiseaux marins. Les prises non désirées, et le plus souvent rejetées mortes à la mer, représenteraient grosso modo 10 % de toutes les captures dans le monde. Dans le cas du recours à des techniques comme le chalutage, ce taux peut grimper jusqu'à 40 %.

Inaction mondiale

Face à la multitude de problèmes criants dans le secteur des pêcheries, que fait la communauté internationale pour éviter le pire ? À peu près rien, s'il faut en croire le constat d'Achim Steiner. « Les gouvernements n'ont jamais tenu compte des avertissements de leurs propres experts. La gestion du milieu marin demeure le fait d'un patchwork d'organismes nationaux et internationaux, possédant des juridictions distinctes mais couvrant souvent les mêmes aspects, sans qu'aucune responsabilité mondiale ne soit établie. Par ailleurs, dans de nombreuses régions des océans du monde, il n'y a personne en charge. »

L'exemple de la haute mer - la portion des océans au-delà des eaux territoriales - est en soi révélateur. Cette immense portion de la Terre représente environ les deux tiers de nos océans et 45 % de la surface de la planète. Or, « cette zone, qui contient peut-être le plus grand réservoir de biodiversité de toute notre planète, est exploitée par de nombreux pays, mais n'est gérée par personne », déplore le directeur du PNUE.

Les pays réunis à Rio lors du Sommet de la Terre en 1992 avaient pourtant reconnu la nécessité d'assurer la protection, même au-delà de leurs eaux territoriales. « L'épuisement des stocks de poissons, aussi bien dans les zones économiques exclusives qu'en haute mer, révèlent l'incapacité et l'échec de la communauté internationale à répondre à l'un des engagements les plus importants de cette réunion de 1992 », déplore Achim Steiner.


Avec Amélie Daoust-Boisvert.