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© Inconnu
L'entendez-vous qui gronde, cette fronde anti-Tafta ? L'acronyme mystérieux hérisse les partisans de la démocratie en France et en Europe pour une raison plutôt valable. Mais savez-vous au moins ce que c'est, ce traité Tafta?
Cet accord en cours de négociation concernant les marchés américain et européen annonce vouloir élargir les possibilités d'emploi et de commerce entre les deux géants continentaux. Mais en réalité, il permettrait à une grosse entreprise d'attaquer une décision nationale susceptible d'entraver son développement économique. La loi française ne protègerait plus les citoyens contre les envies du secteur privé international. Et cela, en vertu d'une décision européenne.


L'accord transatlantique de commerce et d'investissement est resté secret jusqu'en avril-mai 2013, seulement quelques fuites et communiqués (en anglais) compliqués de l'Europe en dévoilent le contenu ces derniers mois.

Secret politique et démocratie peuvent-ils faire bon ménage? "Certainement pas", s'insurge une femme comme Susan George, co-créatrice du réseau ATTAC dans une conférence projetée au P'tit Ciné Berbisey le 30 juin 2014. Pourquoi un accord économico-politique serait-il maintenu secret s'il n'était pas à l'avantage d'un petit nombre et au détriment de la majorité ?

La commission européenne, chargée de négocier l'accord avec la chambre de commerce américaine et les syndicats patronaux occidentaux serait-elle en train de griller la priorité aux peuples européens souverains? Elle riposte en communicant sur sa parfaite transparente, mais les citoyens sont loin d'être convaincus.

Vers la fin des garde-fous économiques ?

Pour comprendre la controverse qui englobe Tafta (aussi appelé TTIP), il est important de revenir aux sources du problème. La démocratie. Selon la définition, elle est le « régime politique dans lequel le peuple est souverain » or pour rester souverain, le peuple (c'est à dire nous tous), doit pouvoir élire ses représentants - ceux qui prendront les décisions d'orientation. Or, en Europe, les seuls élus, les parlementaires, ne sont pas décisionnaires. Notamment pour Tafta. Les accords commerciaux ont été délégués par les chefs d'État à un commissaire européen délégué au Commerce, le néo-libéral Karel De Gucht (Belgique).

« D'où vient Tafta? » interpelle Susan George avant de glisser son explication. « L'accord date de 1995, avant l'AMI (Accord multilatéral sur l'investissement), quand des gens très prévoyants issus du monde des affaires et des entreprises transnationales de part et d'autre de l'Atlantique ont cherché un instrument d'échange pour unir encore plus leurs économies. Ils ont inventé le « dialogue des affaires transatlantiques ». Dès lors, 70 à 80 très grandes transnationales ont commencé à se réunir pour parler non pas tellement de commerce, mais pour parler surtout de régulation, avec des comités dans toutes les branches de l'industrie. Ils communiquaient sur ce qui les embêtaient dans les échanges économiques. »

Voilà pour les prémices de ce futur traité que l'on voit poindre aujourd'hui, et qui ne serait autre que la levée de ces barrières, de ces régulations, bref de ces garde-fous érigés par les sociétés démocratiques au moment de leur constitution. Susan George pointe du doigt un nouvel acteur « Il y a 4 ou 5 ans, cet organe est devenu en 2007 le conseil économique transatlantique qui se vante d'avoir maintenant une véritable influence je cite :« sur la politique des États-Unis et de l'Europe ». Leurs objectifs selon les sources de Susan George : « L'intégration économique transatlantique, la réduction des régulations pour donner plus de pouvoir au secteur privé ».

Intérêt privé = intérêt général ?

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© Jérémie LorandPancarte durant une manifestation contre la réforme des retraites
Mais qui sont ces soi-disant « ennemis » du peuple, de l'intérêt général ?

La réponse est presque une lapalissade : ce sont les intérêts privés. « Les hauts fonctionnaires et autres avocats vont obéir à la table ronde des industriels européens », explique la présidente honoraire du mouvement citoyen. « Les 50 transnationales, les plus grosses sociétés de l'Europe, qui sont très proches de la commission et le Business Europ, autrefois dirigé par notre très cher Antoine Seillère, l'actuel dirigeant est très bien intégré dans le milieu des affaires. Ils « prétendent » aussi défendre les petites et moyennes entreprises en Europe. Et du côté américain, c'est la Chambre de commerce américaine et leur équivalent de Business Europ. Voilà les maîtres du jeu, ceux qui dirigent ce conseil, les cerveaux qui ont préparé de longue date ce traité. »

Ouf. C'est dit. Le ton est inquiétant, presque complotiste. Côté Business Europ, on affiche une grande décontraction avec le sujet. Sur la page de présentation de leur site, on peut lire : « Pourquoi le TTIP est important pour le business européen » (sous-entendu bon pour l'économie et donc pour la croissance, pour l'emploi, et au final pour tous). Vous aurez leur réponse (en anglais) dans le pdf suivant. Business Europ se définit ainsi : « l'avocat principal de la croissance et de la compétitivité au niveau européen, défendant les entreprises à travers le continent et faisant campagne sur les questions qui pour la plupart influencent leur performance. Un partenaire social reconnu, nous parlons pour des entreprises de toute taille dans 35 pays européens dont les fédérations nationales d'affaires sont nos membres directs. »

Selon cette organisation, le « TTIP apportera des avantages à la société transatlantique entière : la croissance économique et la création d'emplois sont les buts les plus importants qui motivent le partenariat. De nouvelles occasions d'affaires pour des entreprises (grandes, moyennes et petites) stimuleront l'investissement, créeront plus de richesses, aideront à conserver des emplois existants et en créeront de nouveau pour des travailleurs européens et américains. » L'organisation prédit des gains futurs intéressants. Alors, pourquoi s'indigner ?

Susan George tranche : « Avec Tafta, il ne s'agit pas tellement de commerce parce que les barrières douanières sont déjà relativement faibles, sur l'investissement non plus, un sujet sur lequel il n'y a pas vraiment de débat. Il n'y a pas spécialement de violations de droits. Il s'agit beaucoup plus de régulation. Il s'agit d'une charte de liberté pour les très grandes affaires. Voilà de quoi il s'agit. »

La Côte-d'Or demande l'arrêt des négociations

Tafta, contre l'intérêt public ? C'est en tous cas ce que déclare la branche côte-d'orienne du collectif « Stop Tafta ». Il rassemble des signataires de plusieurs partis de gauche, d'écologistes, de syndicats et d'associations citoyennes. Il estime : « qu'un tel accord, générateur de reculs très importants pour les peuples ne doit pas voir le jour ». Leur objectif « lever le secret qui entoure ces négociations, informer la population, les élus et décideurs pour contribuer au débat public », mais aussi inviter au débat toutes les communes et collectivités territoriales. Plusieurs collectivités territoriales dont Gevrey-Chambertin ou Besançon se sont constituées symboliquement « territoire hors-Tafta »(voir le détail ici).

Le collectif alerte sur les retombées directes :
« Notre système de retraite par répartition ne sera plus garanti. Le droit du travail sera mis en lambeaux au nom de normes moins contraignantes pour les entreprises. Les pétroliers pourront imposer l'extraction du schiste ou du charbon. Nous ne pourrons plus être protégés contre les exportations de boeuf aux hormones ou de poulet lavé au chlore. Nul ne pourra interdire ou limiter l'usage des pesticides. Les appellations d'origine contrôlées seront menacées. Les firmes privées pourront attaquer les législations et réglementations des États devant des groupes d'arbitrages privés. [Elles] définiront progressivement les normes de la vie en société. » Précisant que les retombées impacteront les communes et départements même, dans leur choix de l'agriculture de proximité, du bio, de l'insertion, du bâtiment public.

Le collectif souhaite « lever le secret »pour débattre. Pourquoi ne demande-t-il pas l'interdiction pure et simple de Tafta ? Susan George résume : « C'est comme l'AMI, quand on pourra forcer les médias à en parler beaucoup plus qu'ils ne le font maintenant, quand les gens apprennent tout le contenu de ce traité, ils se demandent pourquoi ils ont été dans l'ignorance alors que ça les affectera dans des quantités de domaines (médicaments, alimentation, emploi, etc.). » Les militants semblent vraiment sûrs d'eux. Mais en face, l'adversaire reste de taille.

Susan George redoute une chose, c'est l'habileté du privé à rediriger le débat. « J'ai bien peur qu'ils ne vident Tafta de sa substance pour construire un comité de la coopération régulatoire, à qui seraient confiées les tâches de développement... » Un organe décisionnaire capable de contourner le traité. Et déjà d'autres yeux se tournent sur Tisa.