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© Clay Junell/CC BY-SA 2.0Au lieu de contribuer à prévenir le développement du diabète, la saccharine semble au contraire favoriser cette pathologie
C'est une nouvelle alerte sur les risques sanitaires potentiels des édulcorants artificiels, ces « faux sucres », dépourvus de calories, utilisés par l'industrie agro-alimentaire dans de nombreux aliments, sodas light, céréales et desserts. Publiée le 17 septembre dans la revue Nature, une étude israélienne montre que certains édulcorants peuvent avoir des effets strictement opposés à ceux recherchés. Au lieu de contribuer à prévenir le développement du diabète, ils semblent au contraire favoriser cette pathologie.

Les résultats de plusieurs études récentes suggéraient déjà l'existence de cet effet paradoxal. En février 2013 notamment, l'équipe de Françoise Clavel-Chapelon (Inserm, Institut Gustave-Roussy) qui avait suivi plus de 66 000 femmes durant 14 ans, avaient trouvé que les consommatrices d'une quantité modérée de boissons édulcorées présentaient un risque accru de développer un diabète, par rapport aux non consommatrices. Mais il s'agissait là d'un lien statistique, ne prouvant nullement l'existence d'un lien de causalité.

Mauvaise utilisation du glucose par l'organisme

La nouvelle étude publiée dans Nature confirme cette ambiguïté des édulcorants et révèle pour la première fois des perturbations de la composition et la fonction de la flore intestinale. « Nous avons été surpris de découvrir que trois édulcorants, la saccharine, le sucralose et l'aspartame, déclenchent chez la souris l'effet nocif même qu'ils sont censés prévenir : ils provoquent une mauvaise utilisation du glucose par l'organisme », raconte le professeur Eran Elinav, de l'Institut Weizmann en Israel, principal auteur de l'étude.

Trois groupes de souris adultes ont ingéré de l'eau de boisson enrichie d'un de ces trois édulcorants. Au bout d'une semaine, ces souris présentaient un des signes avant-coureurs du diabète : une « intolérance au glucose » qui s'est traduit par une élévation du taux de ce sucre dans le sang. En revanche, les rongeurs qui buvaient de l'eau seule ou même de l'eau sucrée ne développaient pas cette anomalie.

Focus sur la saccharine

Les auteurs ont ensuite focalisé leur attention sur la saccharine, celle des trois molécules qui provoque le plus grand effet. « C'est un des édulcorants les moins utilisés aujourd'hui, à cause notamment de son goût métallique. De plus, la saccharine à très fortes doses peut aussi déclencher des cancers chez le rat », note le professeur Karine Clément, directrice de l'Institut de cardiométabolisme et de nutrition ICAN, à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP, Paris). Mais la saccharine reste employée à faibles doses par l'industrie agroalimentaire, associée à d'autres édulcorants.

« Ici, les auteurs ont utilisé l'équivalent de la plus forte dose de saccharine autorisée aux États-Unis, observe Karine Clément. L'effet qu'ils observent chez la souris est vraiment important. »

Puis ces souris ont été traitées par des antibiotiques : leur flore intestinale a été supprimée. Conséquence inattendue : leur intolérance au glucose disparaissait, même si ces animaux se mettaient à boire de l'eau riche en saccharine. Un premier indice du rôle de la flore digestive. Creusant cette piste, les auteurs ont trouvé un second indice : les bactéries de la flore des souris du groupe « saccharine » différaient de celles des animaux des groupes « eau seule » et «eau sucrée ».

Pour en avoir le cœur net, les auteurs ont prélevé les selles des rongeurs nourris avec des édulcorants et les ont transplanté sur les souris dépourvues de flore digestive . « Les souris ayant consommé la flore de leurs congénères alimentées en saccharine développaient une intolérance au glucose, alors même qu'elles ne consommaient pas de cet édulcorant », explique Karine Clément.

Essai sur l'homme

Quels peuvent être les effets de la saccharine chez l'homme ? Les auteurs ont analysé les données de 381 hommes ou femmes non diabétiques, qui avaient répondu à un questionnaire sur leur alimentation. Résultats : leur consommation d'édulcorants est apparue liée à diverses anomalies du métabolisme du glucose.

Les équipes israéliennes ont également conduit un essai préliminaire sur sept personnes en bonne santé. Pendant une semaine, ceux-ci ont consommé de la saccharine (à la dose maximale autorisée par l'agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux, FDA). La moitié d'entre eux ont développé une intolérance au glucose. « Après seulement sept jours, quatre présentaient une élévation du taux de glucose dans le sang. La composition de leur flore digestive changeait, contrairement à celle des trois personnes au métabolisme du glucose inchangé », indiquent les auteurs. Autre co-auteur, Eran Segal espère qu'on trouvera des bio-marqueurs capables de prédire la réponse de chaque individu à l'effet d'un édulcorant donné.

Mais les effets de la saccharine sont-ils transposables aux édulcorants plus utilisés, et à plus faibles doses ? Et quid des mécanismes en jeu ? « La recherche doit tenir compte du fait que les édulcorants ne sont pas ces innocentes "solutions miracles" qu'on avait imaginées pour combattre l'épidémie de diabète et d'obésité », relève Nita Forouhi, épidémiologiste à l'université de Cambridge (Royaume-Uni). Et les consommateurs doivent en être avertis.