Traduction : Daniel pour Vineyardsaker

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© RIA Novosti15 juillet 15 2014. Les dirigeants du groupe des BRICS sont réunis à Fortaleza, au Brésil (de gauche à droite) : le président russe Vladimir Poutine, le Premier ministre indien Narendra Modi, la présidente brésilienne Dilma Rousseff, le président chinois Xi Jinping et le président sud-africain Jacob Zuma.
Attachez votre ceinture : la guerre de l'information déjà lancée contre la Russie devrait s'étendre au Brésil, à l'Inde et à la Chine.

Il est maintenant de notoriété publique que le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine sont les quatre puissances émergentes à l'origine du groupe des BRICS, qui comprend aussi l'Afrique du Sud et qui accueillera dans un proche avenir d'autres pays du Grand Sud. Les BRICS sont cordialement détestés par Washington et son royaume du baratin peuplé de groupes de réflexion, car ils incarnent les efforts menés de concert dans le Grand Sud pour parvenir à un monde multipolaire.

On pourrait miser quelques bouteilles de champagne de Crimée que les USA répondront à ces efforts par une sorte de guerre de l'information totale, dont la nature ne sera pas très différente du système de veille totale mis en place par la NSA, cet État occulte, et qui constitue un élément crucial de la doctrine de domination tous azimuts du Pentagone [1]. Les BRICS sont perçus comme une menace sérieuse. Pour la contrer, une domination des réseaux de l'information s'impose.

Vladimir Davydov, le directeur de l'Institut de l'Amérique latine à l'Académie des sciences de Russie, a visé juste quand il a fait remarquer que « la situation actuelle indique qu'il y a des tentatives de museler non seulement la Russie, mais aussi les BRICS, étant donné le rôle accru de cette association dans le monde ». La diabolisation de la Russie s'est rapidement intensifiée aux USA avec l'imposition de sanctions liées à l'Ukraine, quand Poutine est devenu le nouvel Hitler et qu'on a ressorti des boules à mites [2] de la Guerre froide cette bonne vieille crainte que les Russes arrivent.

Dans le cas du Brésil, la guerre de l'information a déjà commencé bien avant la réélection de la présidente Dilma Rousseff. Wall Street et les élites locales dépensières ont tout fait pour faire couler ce qu'ils appellent une économie étatiste, en diabolisant personnellement Delma au passage.

Il n'est pas exagéré d'affirmer que des sanctions pourraient être imposées à la Chine dans un proche avenir en raison de sa position agressive dans la mer de Chine méridionale, à Hong Kong ou au Tibet ; à l'Inde par rapport au Cachemire ; et au Brésil pour cause de violations des droits de la personne ou de déforestation excessive. Officieusement, des diplomates indiens craignent que le premier pays des BRICS à céder aux pressions sera l'Inde.

Comme les BRICS sont de facto les briques servant à la construction d'un système mondial plus démocratique et inclusif au chapitre des relations internationales et sur le plan financier (il n'y en a pas d'autres), les pays membres semblent maintenir leur vigilance. Sans quoi ils seront mis KO l'un après l'autre. Georgy Toloraya, le directeur exécutif du Comité national pour l'Étude des BRICS en Russie, fait remarquer que « de plus en plus de communications ont cours aujourd'hui par l'entremise des canaux des BRICS ».

Les Brésiliens, par exemple, s'intéressent vivement à la coopération en matière d'investissement. La Banque de développement des BRICS deviendra réalité en 2015. Une équipe russe prépare aussi un rapport détaillé sur les perspectives d'avenir de la coopération des BRICS, qui sera examiné en profondeur à Beijing la semaine prochaine, en marge du sommet de l'APEC (Coopération économique Asie-Pacifique).

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© PareshPas de guerre des devises! Seuls les dévaluations compétitives
Le nouveau choc pétrolier saoudien [3], qui a reçu le feu vert de l'administration Obama, a tout d'une offensive digne du système de veille totale portée contre les BRICS, dont les principaux membres visés sont la Russie et le Brésil.

Plus de 50 % des revenus prévus au budget de la Russie proviennent du pétrole et du gaz naturel. Chaque baisse de 10 $ du prix du baril de pétrole équivaut pour la Russie à un manque à gagner pouvant atteindre 14,6 milliards de dollars par an. Cette perte pourrait être compensée quelque peu par la faiblesse du rouble, qui a perdu 25 % de sa valeur par rapport au dollar US depuis le début de 2014. La Russie dispose encore d'une réserve d'environ 450 milliards de dollars. L'on s'attend toutefois à une faible croissance de l'économie russe en 2015, de l'ordre de 0,5 % à 2 %.

Chaque fois que les prix du pétrole brut reculent d'un dollar, Petrobras, la plus grande société du Brésil, perd plus de 900 millions de dollars. Si les prix se maintiennent aux niveaux actuels, Petrobras perdra quelque 14 milliards de dollars par année. La chute des prix entrave donc l'expansion à long terme de Petrobas et sa capacité à financer de nouveaux projets d'infrastructure et d'exploration liés à ses précieux gisements de pétrole pré‑salifère. Petrobras était une cible de choix pendant la campagne de diabolisation de Roussef.

L'Iran ne fait pas partie des BRICS, mais tout comme ses membres, il favorise l'émergence d'un monde multipolaire. Pour que l'Iran atteigne l'équilibre budgétaire, le prix du baril de pétrole doit s'établir à 136 $. La conclusion d'un accord sur le nucléaire avec les pays du P5+1 dans trois semaines (le 24 novembre) pourrait entraîner un allègement des sanctions (du moins en Europe) et permettre à l'Iran de stimuler ses exportations de pétrole. Téhéran ne se fait toutefois pas d'illusions sur la façon dont la manipulation des prix du pétrole a été manigancée pour déstabiliser davantage l'économie de l'Iran et affaiblir sa position dans le cadre des négociations sur le nucléaire.

Sur le front économique, le système de veille totale se manifeste par la mise au rancart, par la Réserve fédérale des États-Unis, de son programme d'assouplissement quantitatif. Résultat : la montée du dollar US se poursuivra et cette devise sera moins présente sur les marchés émergents. L'article de Xinhua indiqué en note [4] a bien cerné la question.

Le dollar US et le yuan sont en fait liés. Lorsque le dollar est à la hausse, le yuan l'est aussi. Sauf que l'économie chinoise en souffre. Ce qui inquiète Beijing, c'est que l'industrie chinoise de la fabrication pourrait devenir trop coûteuse dans bien des secteurs commerciaux où les marges de profits sont déjà très minces.

Ce qui va sûrement se produire, c'est que la Banque centrale de Chine va arranger une chute contrôlée du yuan, tout en mettant en place des mécanismes pour lutter contre la sortie de capitaux fébriles, notamment vers Hong Kong. La Chine pourrait être relativement épargnée des effets de la levée du programme d'assouplissement quantitatif. Sauf que personne en Asie n'a oublié la crise financière de 1997, qui a débordé jusqu'en Russie en 1998. Seuls les intérêts des grandes sociétés américaines et l'hégémonie de Washington en sont sortis gagnants.

Ça ne tiendra pas

La diabolisation des BRICS va continuer sans relâche à divers degrés, en étant principalement axée sur la Russie qui, soit dit en passant, va déclencher la Troisième Guerre mondiale. Pourquoi ? Parce que les Américains l'ont dit. La plus récente pièce à conviction concerne le service du renseignement du ministère de la Défense danois (DDIS), qui a révélé la semaine dernière que la Russie a simulé une attaque avec des avions de chasse et des missiles sur l'île de Bornholm en juin. Le DDIS n'a divulgué aucun détail concret au sujet de l'attaque simulée. Il a toutefois souligné qu'il s'agissait de l'exercice militaire russe le plus imposant sur la mer Baltique depuis 1991. Le DDIS a publié son évaluation du risque pour 2014 [5], qui prévoit que « dans les prochaines années, il est fort probable que la situation dans l'est de l'Ukraine se transformera en nouveau conflit larvé en Europe ».

Les Danois sont toutefois très clairs : « Rien n'indique que la Russie constitue davantage une menace militaire directe contre le territoire danois ». Ce qui n'a pas mis fin au baratin des responsables militaires des USA voulant que la Russie s'apprête à lancer la Troisième Guerre mondiale.

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© InconnuImmanuel Wallerstein
Absolument rien n'indique que Washington est disposé à même discuter de la possibilité de modifier le système mondial actuel en faveur d'une gestion plus démocratisée, comme le propose la théorie d'Immanuel Wallerstein [6]. Le prochain sommet du G20 en Australie en sera une nouvelle fois l'illustration très claire.

La réalité, c'est que le système, qui est de plus en plus fragmenté, penche inexorablement vers un point de rupture catastrophique. Le système de veille totale, avec ses acolytes et ses circonvolutions, n'est qu'une stratégie désespérée visant à retarder l'inéluctable décadence. En définitive, Wallerstein a bien raison. Le monde de l'après-guerre froide va demeurer extrêmement volatile.

Notes :

[1] Joint Vision 2020 Emphasizes Full-spectrum Dominance, U.S. Department of Defense, 02-06-2000

[2] Sortir des boules à mites, Wiktionnaire

[3]La guerre du pétrole des Saoudiens contre la Russie, l'Iran et les USA, Le Saker francophone, 17-10-2014

[4] U.S. QE exit to put further pressure on China's slowing economy, Xinhua, 30-10-2014

[5] The DDIS Intelligence Risk Assessment 2014, Danish Defence Intelligence Service, 20-10-2014

[6] Immanuel Wallerstein est un philosophe et sociologue américain, référence du mouvement altermondialiste (Wikipedia, français). Lire aussi Le capitalisme est proche de sa fin. La suite ? Porto Alegre ou Davos, interview parue sur humanite.fr, 31-07-2013