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« L'introduction de la notion de secret des affaires consacre le fait que le droit des actionnaires prime sur celui des salariés et de la société toute entière », affirment les signataires de ce texte, lanceurs d'alerte comme Hervé Falciani et Stéphanie Gibaud, journalistes, juristes, syndicalistes...

Lors des débats sur le projet de loi Macron, la notion de secret des affaires a été introduite à l'article 64. Cet amendement prévoit de punir d'une peine de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende quiconque prend connaissance de, révèle sans autorisation ou détourne toute information protégée au titre du secret des affaires. En introduisant cette disposition dans le projet de loi Macron, la France anticiperait - ce qui est exceptionnel - la transcription d'un projet de directive européenne, et deviendrait le premier pays européen à pénaliser la divulgation d'informations « à valeur économique ».

De nombreuses voies de droit existent pourtant déjà pour protéger les entreprises, de la propriété intellectuelle à l'abus de confiance en passant par l'obligation de confidentialité des mandataires sociaux. Pourquoi ne pas commencer par évaluer leur efficacité ? Pourquoi ne pas avoir ciblé le seul détournement d'informations secrètes au profit de concurrents ?

C'est que le champ large et flou du secret des affaires vise rien moins qu'à empêcher le droit d'expression dans et hors de l'entreprise, le droit d'intervention des organisations syndicales, le statut récent et fragile des lanceurs d'alerte et la liberté de la presse.

Le secret des affaires rappelle le secret bancaire, qui a permis aux grandes banques mises en examen pour blanchiment et fraude fiscale d'envoyer leurs lanceurs d'alerte en prison : Brad Birkenfeld (UBS) aux États-Unis, Rudolf Elmer (Julius Baer) en Suisse, Hervé Falciani (HSBC) en Espagne... Au quotidien, il s'agit de limiter la capacité d'action des institutions représentatives du personnel (comités d'entreprise, CHSCT...) et des organisations syndicales en frappant du sceau de la confidentialité les informations que les directions d'entreprise sont obligées de leur communiquer. Choix stratégiques, projets de cession ou de reprise, PSE, délocalisation, activité dans les filiales et sous-traitance, utilisation des aides publiques..., nombreux sont les élus et syndicalistes courageux qui communiquent aux salariés voire à la presse ces informations pour contrer les actionnaires. Ces militants et les journalistes qu'ils informent finiront-ils désormais en prison ?

La notion de secret des affaires impacte aussi les relations individuelles de travail et remet en cause la jurisprudence qui protège les salariés. Citons par exemple l'arrêt « Clavaud » qui a obligé à la réintégration d'un salarié licencié au prétexte qu'il aurait « diffusé des informations sur la fabrication des avions militaires » alors qu'il s'était contenté d'évoquer dans une interview les conditions de travail dans son entreprise.
Le contraste est frappant : le projet de loi Macron dépénalise le délit d'entrave, les employeurs ne pourront donc désormais plus être condamnés au pénal s'ils ne communiquent pas les informations obligatoires aux représentants du personnel, qui seront, eux, passibles de peines de prison s'ils jouent leur rôle et informent les salariés et les citoyens. De la même manière, le gouvernement fait tout pour enterrer une proposition de loi sur le devoir des vigilances des multinationales qui consacrerait plus de transparence et de responsabilité.
L'introduction de la notion de secret des affaires consacre le fait que le droit des actionnaires prime sur celui des salariés et de la société toute entière. Nous faisons appel aux députés pour qu'ils retirent cette disposition du projet de loi et au gouvernement pour qu'il s'oppose à la mise en place d'une directive européenne sur le sujet.