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© Aero Icarus de Zürich, SuisseUn Boeing 777 de la Malaysia Airways comme celui qui s’est écrasé en Ukraine orientale le 17 juillet 2014
L'administration Obama continue de traîner des pieds pour publier les preuves détenues par le renseignement US plus de six mois après la destruction du Vol 17 de Malaysia Airlines, un comportement laissant aux coupables le temps de se disperser, créant ainsi un terreau fertile aux théories du complot, écrit Robert Parry.

Plus de six mois maintenant après la destruction d'un avion de la Malaysia Airlines au-dessus de l'Ukraine, le refus de l'administration Obama de rendre publiques les preuves des services de renseignement qu'elle détient concernant les responsables a créé un terreau fertile pour des thèses conspirationnistes, réduisant en même temps les espoirs de trouver les responsables.

Etant donné les capacités de surveillance du gouvernement US - des photographies satellite et aériennes en passant par les interceptions téléphoniques et électroniques aux sources humaines - le renseignement américain a sûrement une bonne idée de ce qui s'est produit le 17 juillet 2014, quand le vol 17 de la Malaysia Airlines s'est écrasé en Ukraine orientale tuant les 298 personnes à bord.

On m'a informé que ces preuves ont été décrites au président Barack Obama et les conclusions des analystes du renseignement US sur la responsabilité de ce drame lui ont été présentées - il est possible qu'Obama ait partagé certaines de ces conclusions confidentielles avec le premier ministre malaisien Najib Razak lors de leur rencontre le 24 décembre à Hawaï.

Mais, après avoir hâtivement pointé du doigt les rebelles pro-russes, le gouvernement US est resté très silencieux sur le sujet. Selon lui, les rebelles auraient abattu l'avion d'un missile tiré d'une batterie anti-aérienne Bouk, fournie par le gouvernement russe et assez sophistiquée pour abattre un aéronef à 10 000 mètres d'altitude.

Depuis cette cascade précoce d'accusations non vérifiées, seules quelques bribes des conclusions des services de renseignement des États-Unis et de l'OTAN ont atteint le public - et le rapport d'enquête préliminaire hollandais d'octobre dernier sur la cause du crash a indiqué que les gouvernements occidentaux n'ont pas partagé d'information cruciale.

Le rapport préliminaire du bureau d'enquêtes hollandais a répondu à quelques questions, confirmant notamment que le MH-17 aurait été détruit apparemment par "des objets à grande vitesse qui ont pénétré l'appareil depuis l'extérieur". D'autres questions clés restent en suspens, comme celle du radar militaire russe prétendant avoir détecté un chasseur à réaction ukrainien SU-25 dans les environs, une affirmation que le gouvernement ukrainien a démenti.

Un radar russe aurait détecté la présence d'un chasseur en approche, "gagnant de l'altitude" alors qu'il se trouvait à une distance comprise entre trois et cinq kilomètres de l'avion de transport - comme les russes l'ont déclaré dans une conférence de presse le 21 juillet ; Mais était-ce le cas ? Les autorités de Kiev ont insisté sur le fait qu'elles n'avaient pas d'avion militaire dans les environs à ce moment-là.

Bien qu'attestant que les enquêteurs ont reçu les "données radar de la Fédération de Russie" de contrôle du trafic aérien, le rapport hollandais de 34 pages est resté silencieux sur la question du chasseur. Même mutisme sur la question épineuse de la possession, par le gouvernement US, de données satellites qui révéleraient exactement le lieu et les auteurs du supposé tir de missile sol-air.

L'administration Obama a assuré avoir connaissance des faits mais le gouvernement américain n'a pas dévoilé de photo satellite ou d'autre information de surveillance qui pourraient probablement corroborer les charges. Curieusement, le rapport hollandais précise également que de "l'imagerie satellite prise quelques jours après l'événement" a été ajoutée à l'enquête. Évidemment, les meilleures images permettant d'évaluer la responsabilité seraient des images aériennes prises les jours et les heures avant le crash.

Dès mi-juillet, l'est de l'Ukraine était une priorité pour les services de surveillance américains et un système aussi imposant qu'une batterie de missiles Bouk aurait dû être facilement repéré par les services de reconnaissance aérienne U.S. Les quatre missiles contenus dans la batterie mesurent chacun près de 5 mètres de long et auraient dû être transportés en camion avant d'être mis en position de feu.

La mention dans le rapport hollandais des seules photos postérieures à la destruction de l'avion est également curieuse. En effet, les militaires russes ont publié un certain nombre de photos satellite, prises avant l'attaque, montrant des systèmes de missiles Bouk du gouvernement ukrainien situés au nord de la ville de Donetsk, à l'est de l'Ukraine. On y trouvait notamment deux batteries qui auraient été transférées à 50 kilomètres au sud de Donetsk le 17 juillet, le jour même de l'accident, puis enlevées le 18 juillet.

Les affirmations russes

Le lieutenant général Andreï Kartopolov a invité le gouvernement ukrainien à s'expliquer sur les mouvements de ses systèmes Bouk et sur l'intense activité, juste avant la destruction du 17 juillet, des radars Koupol-M19S18 de Kiev, qui coordonnent les trajectoires des missiles Bouk.

Le gouvernement ukrainien a répliqué par la voix d'Andreï Lysenko, porte-parole du Conseil de Sécurité de l'Ukraine. Celui ci, faisant usage des termes de prédilection de Kiev pour qualifier les rebelles, affirmait qu'il avait « la preuve que le missile ayant frappé l'avion a été lancé par des terroristes, qui ont reçu de la Fédération de Russie des armes et des spécialistes ».

Lysenko a ajouté : « pour rejeter leur responsabilité dans cette tragédie, [les autorités russes] produisent une masse de dessins et de photographies. Nous étudierons toute photo et tout autre plan fournis par la partie russe. » Mais les autorités ukrainiennes ont été incapables de répondre aux preuves russes autrement que par de vagues démentis.

Le 29 juillet, alors que la rhétorique du gouvernement américain et des médias occidentaux contre la Russie allait grandissante, les membres de l'association des Anciens Professionnels du Renseignement pour le Bon Sens ont demandé instamment au président Obama de rendre publiques les preuves tangibles qu'il avait à sa disposition relatives à la destruction de l'avion, y compris les images satellite.

"En tant que professionnels du renseignement nous sommes gênés par l'utilisation d'information incomplète des services de renseignement », ont-ils écrit. « En tant qu'américains, nous espérons que vous trouverez un moyen de publier sans plus tarder les preuves les plus concluantes en votre possession. En accusant la Russie d'être directement ou indirectement responsable, le secrétaire d'état John Kerry a été particulièrement catégorique. Les preuves ne le sont pas autant. Ses déclarations semblent prématurées et porter les marques de la propagande."

Cependant, le gouvernement Obama n'a rendu publique aucune information en provenance des services de renseignement qui aurait appuyé ses anciennes suppositions. Au début du mois d'août, il m'a été dit que certains analystes du renseignement avaient commencé à s'écarter du scénario d'origine accusant les rebelles et les russes pour se concentrer plus sur la possibilité que des éléments extrémistes du gouvernement ukrainien soient responsables.

Une source qui a été mise au courant par des analystes du renseignement m'a dit qu'ils n'avaient pu trouver aucun indice que le gouvernement russe aurait donné aux rebelles un système de missiles Bouk. Par conséquent, ces analystes concluaient que les rebelles et la Russie n'étaient probablement pas en faute, et qu'il apparaissait que c'étaient les forces du gouvernement ukrainien qui étaient à blâmer, quoi qu'il se soit agi plutôt d'une unité hors du contrôle direct des hauts responsables ukrainiens.

La source disait explicitement que les preuves du renseignement américain n'impliquaient pas le président ukrainien Petro Porochenko ni le Premier ministre Arsenii Yatseniouk mais suggéraient plutôt un élément extrémiste des forces armées financées par l'un des oligarques ukrainiens. [voir « Flight 17 Shoot-down Scenario Shifts » et « Was Putin Targeted for Mid-air Assassination? » sur Consortiumnews.com]

Mais alors les discussions sur les informations que pouvait avoir le renseignement américain sur la destruction de l'avion se sont essoufflées. Lorsque j'ai récemment recontacté la source qui avait été informée par ces analystes, elle a dit que leurs opinions n'avaient pas changé, sauf qu'ils croyaient [maintenant] que le missile pouvait avoir été moins sophistiqué qu'un Bouk, peut-être un SA-6.

Ce qui était moins clair était de savoir si ces analystes représentaient un consensus dans la communauté du renseignement américain, où s'ils n'exprimaient qu'une des positions dans un débat en cours. La source disait aussi que le président Obama se retenait sur la voie de la publicité des informations du renseignement américain parce qu'il n'avait pas l'impression d'être inattaquable.

Un vide dangereux

Mais ce vide a laissé le débat vulnérable aux allégations de parties intéressées et d'experts autoproclamés, y compris certains qui tirent leurs conclusions des réseaux sociaux et d'internet, ceux que l'on appelle les "enquêteurs sur sources publiques". Le gouvernement Obama ne s'est pas non plus rétracté en ce qui concerne les anciennes déclarations du secrétaire d'état Kerry mettant en cause les rebelles et la Russie.

A peine quelques jours après l'accident, Kerry s'est rendu dans toutes les émissions du dimanche montrant du doigt la Russie et les rebelles et citant des preuves fournies par le gouvernement ukrainien par le biais des médias sociaux. Dans l'émission "Rencontre avec la presse" de NBC, David Gregory a demandé « Etes-vous essentiellement en train de dire que la Russie a fourni l'arme ? »

Kerry : « Il y a un article aujourd'hui qui le confirme, mais on ne s'est pas encore déterminé au sein de l'administration. Mais c'est assez clair lorsque - il y a une accumulation de présomptions. Je suis un ancien procureur. J'ai rendu des jugements dans des affaires sur des présomptions ; c'est très fort ici. [voir « Kerry's Latest Reckless Rush to Judgment » sur Consortiumnews.com]

Mais certains analystes offrirent bientôt des estimations contraires. Après que Kerry eut enchaîné les émissions télévisées, le Los Angeles Times a rendu compte d'une réunion d'information du renseignement américain tenue pour plusieurs organes d'information américains. L'article disait : « les agences de renseignement américaines ont été jusqu'à présent incapables de déterminer la nationalité ou l'identité de l'équipe qui a lancé le missile. Les officiels américains ont dit qu'il se pouvait que le SA-11 (un missile anti-aérien Bouk) ait été lancé par un transfuge de l'armée ukrainienne ayant été formé à l'utilisation de systèmes semblables. [voir « The Mystery of a Ukrainian 'Defector.' » sur Consortiumnews.com]

En octobre, le Spiegel a rapporté que le service de renseignement allemand, le BND, avait conclu que la Russie n'était pas à l'origine de la batterie de missiles - qu'elle avait été prise dans une base militaire ukrainienne - mais qu'il continuait à rendre les rebelles responsables de son utilisation. Le BND concluait aussi que les photos concernant la tragédie du MH-17 fournies par le gouvernement ukrainien « avaient été trafiquées », selon le Spiegel.

Et le BND contestait l'affirmation du gouvernement russe selon laquelle un chasseur ukrainien aurait été en vol à proximité du MH-17 juste avant qu'il ne s'écrase, déclarait le magazine dans son compte rendu de la séance d'information du BND tenue devant un comité parlementaire le 8 octobre, où avaient été présentées des images satellite et des photographies. Mais aucune des preuves du BND n'ont été rendues publiques, et il m'a été dit par la suite par un responsable européen que les preuves n'étaient pas aussi définitives que la présentation du magazine l'indiquait. [voir « Germans Clear Russia in MH-17 Case » sur Consortiumnews.com]

Donc, il semble qu'il y ait eu des désaccords significatifs dans le cercle des agences de renseignement occidentales sur la question de savoir qui précisément était à blâmer. Mais le refus du gouvernement Obama et de ses alliés de l'OTAN d'étaler leurs preuves sur la table a ouvert la porte aux théories du complot, et a transformé cette tragédie en une affaire dormante, laissant aux coupables - quels qu'ils puissent être - plus de temps pour brouiller leur piste et disparaître.