DERRIÈRE LES FRONTS, est un documentaire qui rend compte des conséquences psychologiques de l'occupation israélienne, et des ressources dont disposent les palestiniennes et palestiniens pour y résister et résilier. Alors que continuer de vivre en Palestine est déjà aux yeux de beaucoup une forme de résistance, des habitant-es de Jérusalem, de Naplouse, de Ramallah ou encore d'Haïfa tentent de déjouer le système et contrer les tentatives de division, d'attaques psychologiques et idéologiques.

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Derrière les fronts, traite des effets psychologiques de la colonisation israélienne, à partir du travail de la psychiatre psychothérapeute palestinienne, le Dr. Samah Jabr. Le documentaire propose de cheminer sur les routes de Palestine et dans nos esprits, pour mieux comprendre quelles sont leurs ressources psychologiques pour résister et résilier face à une occupation commencée il y a maintenant plusieurs décennies.
« Je ne pense pas qu'une libération nationale puisse être réalisée par des personnes qui ne sont pas personnellement libérées [...]. Les personnes alliées parlent toujours de libérer les terres palestiniennes, mais pour moi il est important de libérer l'esprit palestinien, le peuple palestinien, l'identité palestinienne. » Samah Jabr, psychiatre psychothérapeute palestinienne.
Genèse

J'ai découvert les chroniques de Samah Jabr en 2007. Je travaillais alors sur mon dernier long métrage documentaire Moudjahidate. Film relatant les engagements de femmes dans la lutte pour l'Indépendance de l'Algérie. J'avais à l'époque ce que l'on peut appeler une « position de principe » anticolonialiste quant à la Palestine.

Un extrait de Moudjahidate :


Les chroniques du Dr Samah Jabr m'ont permis de visualiser et concrétiser la situation. En proposant une approche inédite, dans l'héritage de Frantz Fanon - celle de politiser le psychologique, pour décoloniser les esprits - ses chroniques m'ont donné une porte d'entrée sur une réalité complexe, et m'ont conduite jusqu'à elle.

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Dr. Samah Jabr
Présentation du film

« L'occupation ne s'arrête pas avec un cessez-le-feu. »

La dernière offensive militaire israélienne de l'été 2014 a fait plus de 2 100 victimes palestiniennes dont plus de 500 mineurs. Ce massacre était une phase aiguë d'une occupation commencée il y a maintenant plusieurs décennies.

Au quotidien, la colonisation n'est pas seulement celle des terres, des logements, du ciel ou de l'eau. Elle ne cherche pas simplement à s'imposer par les armes, mais elle travaille aussi les esprits, derrière les fronts.

Ce documentaire s'intéresse à ses formes invisibles, c'est à dire : l'occupation intime, celle de l'espace mental. Espace où l'équilibre, l'estime de soi, le moral et l'âme deviennent des lieux et des enjeux de lutte.

Samah Jabr

Née à Jérusalem-Est, elle vit à Shufat en banlieue de Jérusalem et travaille en Cisjordanie. Issue de la première promotion en médecine de l'université palestinienne d'Al Quds (Jérusalem), elle est l'une des vingt psychiatres a pratiqué actuellement en Cisjordanie.

Directrice du Centre médico-psychiatrique de Ramallah, elle est également professeure dans des universités et forme des professionnels de la santé mentale (aussi bien palestiniens, israéliens ou internationaux). Elle intervient en prison et participe, en collaboration avec le PCATI, Comité public contre la torture en Israël, à collecter des témoignages de personnes ayant été torturées. Parallèlement à ces activités, elle écrit régulièrement des chroniques depuis la fin des années 1990 publiées au sein de revues internationales.

En s'appropriant un savoir académique acquis durant ses études en Europe et à l'Institut israélien de psychothérapie psychanalytique, Samah Jabr construit un diagnostic psycho-politique sur sa société tout en soulignant les liens entre la résilience du peuple Palestinien et la résistance à l'occupation.

Le terme de résilience vient à la base de la physique pour traduire la capacité d'un matériau à revenir à sa forme initiale après avoir subi un choc. En psychologie, la résilience désigne le processus par lequel une personne se développe malgré un traumatisme ou un environnement qui aurait dû être délabrant et destructeur.

« Derrière les fronts », invite à un double cheminement : à la fois dans nos esprits et sur les routes de Palestine.

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Des extraits de chroniques misent en scène, seront les pavés de cette route, tandis que la chronique de Samah Jabr « En dansant sur des rythmes différents mais en dansant quand même » orientera la trajectoire du film. Choisie entre autres parce qu'elle traverse des lieux d'affrontements physiques et psychiques : du Centre Médico Psychiatrique de Ramallah, en passant par le check point de Qalandia, pour aller vers Jérusalem.

Ces chroniques questionnent l'aliénation, l'impact psychologique d'une oppression au quotidien, et m'ont donné envie d'aller à la rencontre des personnes et lieux évoqués, pour aller au-delà des textes.

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Une pluralité de personnages dans une Palestine fragmentée ...

Alors que la Palestine est une, les réalités palestiniennes sont multiples : les Gazaouis font face à d'autres conditions d'occupation que les « Palestiniens de 48 » et que celles et ceux qui vivent en Cisjordanie. Il nous est actuellement très difficile de tourner dans la bande de Gaza, mais je n'oublie pas que leur sort est lié.

Alors que continuer de vivre en Palestine est déjà aux yeux de beaucoup une forme de résistance, mes interlocuteurs-trices de Jérusalem, de Naplouse, de Ramallah ou encore d'Haïfa s'inscrivent dans des tentatives de déjouer le système et de contrer les tentatives de division et d'attaques psychologiques et idéologiques.

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Quelques examples de résistance et résilience

Deema Zalloum, mère de Moussa Zalloum, habite à Shufat quartier de Jérusalem-Est. En juillet 2014, elle réussit à empêcher trois israéliens de kidnapper son fils. Le lendemain, ces mêmes israéliens ont kidnappé et assassiné le jeune Muhammad Abu Khdeir en le brûlant vif.

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© A. Dols
Mgr Theodosios de Sebastia (né Atallah Hanna) est l'archevêque du Patriarcat de l'église grecque orthodoxe de Jérusalem depuis 2005. Il propose une approche déconfessionnalisée du conflit et lutte contre les tentatives de divisions entre chrétiens et musulmans palestiniens.

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« De façon générale, les sionistes empêchent l'accès à toute la ville de Jérusalem : les Palestiniens de Cisjordanie ne peuvent pas y accéder excepté avec une autorisation donnée par l'occupant sioniste. [...] Cette interdiction n'empêche pas seulement les musulmans d'accéder à Al Aqsa et les chrétiens à l'église du Saint-Sépulcre, elle empêche les Palestiniens de manière générale d'avoir accès au marché et d'aller travailler » Mgr Theodosios de Sebastia.
Ghadir Shafie co directrice d'Aswat, (« voix » en arabe), groupe de Palestiniennes féministes et queer nous livrera son opinion et son expérience. Aswat est « un groupe féministe queer engagée à relier le féminisme, l'homosexualité et la résistance à toutes les formes d'oppression - en tant que Palestiniennes, femmes et queer - les réunir en une seule lutte monumentale ". Elle est également engagée dans le mouvement international « Boycott, désinvestissement et des sanctions pour Israël » (BDS).

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« Je ne veux pas que la communauté internationale me "sauve" en tant que queer. Je veux en priorité que l'occupation cesse. [...] La Palestine doit d'abord être libre pour être jugée en tant que société. » Ghadir Shafie.
Dr El-Sakka Abaher, originaire de Gaza, est sociologue et directeur du département de sciences sociales et comportementales de l'université de Birzeit dans lequel il enseigne. Sa recherche se concentre sur les expressions artistiques, la mémoire, l'identité, la protestation et les mouvements sociaux.

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Khader Adnan A été prisonnier politique. Arrêté dix fois en détention administrative -procédure qui permet à l'armée israélienne de détenir une personne pour une période de six mois maximum, renouvelable de manière indéfinie, sans inculpation ni procès.

Il a finalement été libéré en juillet 2015, après avoir mené une grève de la faim de 55 jours. Nous l'avons rencontré à l'hôpital quelques jours après sa sortie.

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Extrait de « L'homme ne vivra pas que de pain » Samah Jabr, juillet 2015 :
« Notre président nous a déclaré que "s'il nous faut choisir entre le pain et la démocratie, nous choisissons le pain". Pourtant, le boulanger Khader Adnan pense et se comporte autrement, illustrant le principe que "l'homme ne vivra pas que de pain". Adnan a mené deux longues et périlleuses grèves de la faim en détention depuis 2013. La torture et des sévices humiliants ont été les déclencheurs de la première ; ses interrogateurs lançaient des insinuations sexuelles à propos de son épouse, se moquaient de sa foi et de son physique, arrachaient sa barbe et souillaient sa moustache des saletés de leurs chaussures. Adnan a remporté ses deux grèves de la faim, ce qui a entraîné sa libération et attiré l'attention du monde sur la situation désespérée des prisonniers politiques palestiniens mis en détention administrative, c'est-à-dire détenus sans motif d'inculpation ni procès, pour des périodes de six mois, renouvelables indéfiniment .»
En général, les images des palestinien-nes dans les médias français sont souvent spectaculaires : foule en deuil, femmes sous le choc de la mort de leurs proches, regroupées autour d'un blessé ou d'un mort, ou bien encore combattants armés, incarnant le « danger terroriste ». Ces images ne laissent pas indifférent. Elles peuvent susciter un élan humanitaire ponctuel ou créer de la peur. Mais permettent-elles une réelle compréhension de la situation ?

L'idée est donc de sortir du spectaculaire pour entrer dans le quotidien d'un conflit qui n'est pas fait que d'armes et de morts. Prendre de la distance, explorer d'autres temporalités et laisser nos esprits cheminer sur les routes de Palestine, pour mieux comprendre les racines et les ressorts de ce qui s'y passe aujourd'hui.

Gageons que leurs témoignages pourront inspirer bien au-delà de leur réalité.