perturbateurs endocriniens
© Peter Arici / Getty Images Les femmes sont les premières consommatrices de plusieurs de ces produits, elles sont exposées de façons disproportionnées à ces agents chimiques.
Des chercheurs américains sonnent l'alarme. Le recours fréquent aux cosmétiques, parfums et autres produits de beauté peut aller jusqu'à doubler l'exposition des adolescentes à certains perturbateurs du système endocrinien au potentiel toxique. Réalisée par des chercheurs du Center for Environmental Research and Children's Health (CERCH) de l'École de santé publique de l'Université de Berkeley, l'étude a suivi pendant plusieurs jours la concentration de plusieurs agents chimiques courants chez une cohorte d'une centaine de jeunes filles.

En mesurant la présence dans l'urine de plusieurs de ces composés, avant et après leur usage, l'étude conclut que l'usage fréquent de savons, shampooing et crèmes de tout acabit peut comporter des risques à la santé à un âge où le système hormonal et reproducteur de ces jeunes femmes se trouve en plein développement.

Pour quantifier l'exposition à ces agents chimiques, les chercheurs ont remplacé pendant quelques jours les produits couramment utilisés par les jeunes filles par d'autres, ceux-là exempts de perturbateurs endocriniens connus, comme les phtalates (dont six dont déjà interdits dans les produits pour bébé), les parabens, le triclosan et l'oxybenzone.
Après trois jours, la présence de parabens, un agent de conservation largement utilisé dans les savons, les shampooings et les crèmes, avait chuté de 45 %, alors que celles de différents phtalates, un dérivé du plastique, avait diminué de 27 %. De la même manière, les taux de triclosan, un antibactérien présent dans les savons, le dentifrice et les désinfectants pour les mains, et d'oxybenzone utilisé dans des lotions solaires, avaient pour leur part fondu de 36 %.
« Parce que les femmes sont les premières consommatrices de plusieurs de ces produits, elles sont exposées de façons disproportionnées à ces agents chimiques. Quant aux adolescentes, elles courent un risque particulier, car elles sont à un moment où leur système reproducteur se développe, et les recherches montrent qu'elles utilisent plus de ces produits par jour que le consommateur moyen », souligne Kim Harley, auteure principale de l'étude, directrice associée du CERCH en Californie.

Douze produits par jour

Selon des données compilées aux États-Unis, les femmes consomment deux fois plus de produits cosmétiques et de soins personnels que les hommes, soit en moyenne douze produits différents chaque jour, truffés de plusieurs de ces perturbateurs du système hormonal. Parmi les plus grandes consommatrices, les adolescentes arrivent en tête de liste.

À ce jour, plusieurs études concluent que l'exposition à long terme à ces divers perturbateurs endocriniens (PE) est particulièrement préoccupante durant « les fenêtres critiques du développement » que vivent les femmes enceintes, les nourrissons, les enfants et les adolescents lors de la puberté. Ces agents chimiques peuvent perturber le développement sexuel, le développement des organes reproducteurs et entraîner des cancers hormonaux dépendants chez les animaux. Chez l'humain, leur effet sur la santé est toujours sujet à controverse, mais on les soupçonne d'être à l'origine de problèmes de fertilité et de certains types de cancers.

Réglementation timide

L'usage de six phtalates est interdit depuis 2010 au Canada, mais seulement dans les articles et produits destinés aux jeunes enfants. « C'est vrai que les adolescentes ou les enfants sont plus exposés, mais plusieurs de ces produits, qui ne sont pas vraiment réglementés, sont aussi utilisés de façon quotidienne par l'ensemble de la population », déplore Jean-Patrick Toussaint, chef des projets scientifiques à la Fondation David Suzuki.

Au Canada comme aux États-Unis, à part les phtalates, les fabricants de cosmétiques peuvent légalement inclure ces agents chimiques dans leurs produits, mais sont tenus d'en faire mention sur l'étiquette. Le problème, soulève M. Toussaint, c'est qu'on en ignore la quantité et que les fabricants recourent à certains ingrédients « fourre-tout » comme les « parfums » et « fragrances » pour éviter d'avoir à afficher tous les ingrédients actifs de leurs produits.

« L'autre problème, c'est que la composition et la sécurité des nouveaux produits ne sont étudiées qu'après leur mise en marché par les fabricants. C'est un principe qui, en soi, est aberrant », affirme ce dernier. Plus de 4000 nouveaux produits sont commercialisés chaque année au Canada. Dans ce contexte, il est difficile pour Santé Canada d'en évaluer rapidement l'innocuité, estime le porte-parole de la fondation.

L'organisme a d'ailleurs produit en 2010 un important rapport sur les ingrédients toxiques contenus dans les produits cosmétiques, ciblant douze produits à éviter.

Selon les chercheurs de l'Université de Berkeley, les chutes importantes observées dans la concentration de certains produits chez les adolescentes seulement quelques jours après leur retrait montrent que des gestes très simples peuvent faire une grande différence.

« Nous en savons assez pour être inquiets à propos de l'exposition des adolescentes à ces produits, a commenté Mme Harley au Berkeley News. Parfois, il vaut mieux retenir un principe de précaution, surtout s'il y a des changements faciles à opérer en modifiant les habitudes de consommation. »