Comment: Que les médias relaient en toute conscience un mensonge, ou qu'ils y croient dur comme fer, le résultat reste le même : impacter durablement les croyances et les opinions, par l'effet « magique » de la répétition. Le moment venu, il devient plus facile de présenter à l'opinion publique ce qu'elle rechignerait à accepter en temps normal : la propagande et la désinformation ont effectivement fait leur travail. A propos de cette dernière, dans son livre Les nouveaux désinformateurs Guillaume Weill-Raynal dit :
Le suprême raffinement en matière de désinformation consisterait ainsi à obtenir de l'opinion publique qu'elle acquiesce par avance à cette inversion [du thème du débat], qu'elle se mette d'elle-même à « penser à l'envers », volontairement, sans jamais prendre conscience de la manipulation dont elle est l'objet ni douter un seul instant avoir perdu son libre arbitre précisément parce que que ce que le discours qu'on lui a tenu correspondait à ce qu'elle avait « envie d'entendre ».Pour ce qui est de la population, le rouleau compresseur médiatique est passé maitre dans l'art de fabriquer les envies, toutes artificielles. De celles qui aplanissent les « dissonances cognitives » quelques peu inconfortables issues de sa confrontation avec une réalité objective. Quand aux instigateurs des plus grandes impostures de notre temps, on pourra donc finir avec Bossuet :
"Le plus grand dérèglement de l'esprit, c'est de croire les choses parce qu'on veut qu'elles soient, et non parce qu'on a vu qu'elles sont en effet. "
Dans le dernier épisode du feuilleton destiné à faire trembler les Occidentaux rien qu'à la mention du nom de « Vladimir Poutine », un article de Newsweek déclarait sur sa première et apocalyptique page « Comment et pourquoi la Russie est en marche vers la guerre ».
La Russie a été accusée - par la cour sans jury de l'OTAN - de mener les mêmes opérations que n'importe quelle autre nation qui espère garder sa souveraineté : dépenser de l'argent pour moderniser son armée.
L'auteur de l'article, Andrew Monaghan, qualifie nerveusement les fonds que le Kremlin a mis de côté pour ses dépenses militaires de « chiffres impressionnants ».
En 2010, la Russie « a dédié 610 milliards de dollars à un procédé de transformation qui doit durer 10 ans...pour assurer la modernisation d'au moins 70% de son équipement militaire, y compris l'achat de milliers de pièces high-tech et d'équipement lourd tels que des chars, de l'artillerie, des avions et des navires », hurle Monaghan, comme si la Russie venait d'inventer le concept d'armée nationale.
Cependant l'auteur ne mentionne pas que le Pentagone dépense à peu près la même somme chaque mois pour nourrir l'appétit vorace de son empire militaire. Et depuis que les conflagrations mondiales ont éclaté suite aux interventions des forces de l'OTAN à l'étranger, de nombreux pays ne perçoivent pas ce monstre que sont les États-Unis comme une chose lointaine et positive. Ils le voient bien sûr comme une menace directe à leur survie nationale.La Russie, qui se retrouve en ligne de front avec cette invasion, n'a pas perdu de temps pour moderniser son armée après avoir compris que la promesse de Washington de coopérer avec Moscou dans la lutte contre le terrorisme - pour ne pas mentionner le système de défense anti-missiles construit pas les États-Unis en Europe de l'Est - était une arnaque élaborée, destinée à mener la Russie en bateau en lui faisant croire à une sécurité bilatérale avec la superpuissance mondiale.
« Les politiques anti-russes [de Washington] ont convaincu les dirigeants russes que faire des concessions ou négocier avec l'Occident était inutile. Il est devenu évident que l'Occident soutiendra toujours tout individu, mouvement ou gouvernement anti-russe, que ce soit des oligarques qui trichent, des criminels de guerre ukrainiens notoirement coupables, des terroristes wahhabites soutenus par l'Arabie saoudite en Tchétchénie ou des punks profanant des cathédrales moscovites » ont écrit les docteurs Evgenia Gurevich, Victor Katsap, Dmitri Orlov et Andreï Raevski.De leur côté, les médias et think tanks occidentaux accusent régulièrement la Russie d'avoir des desseins diaboliques en ce qui concerne ses voisins, et ce malgré le fait que la Russie n'a pas montré le moindre signe de comportement menaçant.
Prenons par exemple le chapeau d'un article récemment publié dans le magazine Foreign Policy, dont la référence à une étude de la Rand Corp. a dû faire trembler les minuscules pays baltes :
« Si demain les chars et les troupes russes devaient envahir les pays baltes, les forces de l'OTAN, sous armées et en sous-effectifs, seraient écrasées en moins de trois jours. »L'article a été publié le jour où le Secrétaire américain de la Défense Ash Carter a annoncé un plan de 3,4 milliards de dollars pour munir l'Europe de l'Est et les pays baltes de d'avantage d'artillerie lourde et de véhicules blindés. En d'autres termes, un bon jour de paye pour les nombreux entrepreneurs américains dans le domaine de la défense, qui veulent désormais que les pays d'Europe de l'Est, qui croulent déjà sous les dettes, vident leurs portefeuilles ou se retrouvent seuls face à la menace invisible de « l'agression russe ».
« Nos estimations pour 2016 indiquent une augmentation de 1,5% en termes réels. C'est un progrès. Mais j'appelle les alliés à conserver et à renforcer ce dynamisme », a déclaré le Secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, cette semaine lors d'une conférence de presse. Personnellement, je trouve que cette déclaration résonne comme du chantage.
Vérifions rapidement les faits : si Moscou était aussi agressive que les dirigeants de l'OTAN veulent nous le faire croire, la carte autour de la Russie serait bien différente. L'Ukraine serait déchirée et balkanisée entre pas moins de deux républiques autonomes, et la Géorgie, qui a lancé une audacieuse attaque contre les gardiens de la paix russes en Ossétie du Sud le 7 août 2008, aurait de la chance si elle s'en était sortie avec rien de moins qu'une longue occupation de son territoire.Mais jusqu'à maintenant, la Russie n'a jamais lancé d'invasion militaire en Ukraine, comme l'avaient prédit de nombreux experts occidentaux, et la Géorgie (libérée de l'ancien président Mikhail Saakachvili, qui a ordonné l'attaque des gardiens de la paix russes) reste un Etat libre et indépendant et ses relations avec la Russie s'améliorent.
Cela a-t-il l'air d'un pays qui veut à tout prix rétablir son empire ?
Je suis convaincu que l'Occident non seulement anticipait mais espérait aussi que la Russie sauterait sur l'opportunité d'envahir l'Ukraine alors que la capitale Kiev succombait à des forces néo-fascistes soutenues par l'Occident. Une invasion par les forces russes aurait paralysé Moscou dans un conflit prolongé qui n'aurait réussi qu'à détruire les relations de la Russie avec les pays européens pour très longtemps, peut-être pour toujours. Cela aurait aussi donné carte blanche aux forces de l'OTAN pour décider du destin de la Syrie, un destin que les États-Unis ont déjà décidé unilatéralement - sans même un soupçon de démocratie - et qui ne prévoit pas de place pour le président Bachar el-Assad.
L'autre excuse avancée pour l'expansion de l'OTAN à la frontière russe est le référendum de la Crimée qui a eu lieu au summum de la crise politique de Kiev. Bien que les médias occidentaux l'admettent très rarement - beaucoup de journalistes qui devraient connaître la situation mieux que personne continuent de qualifier l'annexion comme résultat d'une invasion - la Russie n'a jamais employé la force militaire contre la péninsule. Aujourd'hui les habitants de Crimée - sondage après sondage - n'ont que des choses positives à dire sur leur nouveau statut national.
Vendredi 17 juin, le président Poutine s'est exprimé sur l'avancée de l'OTAN à la frontière russe sous le faux prétexte de l'agression russe.
« Après le Printemps arabe ils se sont rapprochés encore plus de nos frontières. Pourquoi avaient-ils besoin de soutenir le coup d'Etat en Ukraine ? », a déclaré Poutine lors d'une séance plénière au Forum économique international de Saint Pétersbourg. Le dirigeant russe croit que de telles mesures ont été prises pour justifier l'existence de l'alliance nord-atlantique. « Ils ont besoin d'un ennemi externe, d'un opposant externe - sinon pourquoi auraient-ils besoin de cette organisation ? » a-t-il expliqué.
Monaghan, de son côté, pense que la militarisation et la modernisation de la Russie « ne sont pas une réponse à ce que fait l'OTAN mais illustre plutôt ce qu'il se serait passé de quoi qu'il arrive ». En d'autres termes, rien de ce que l'OTAN fait dans l'arrière cour de la Russie ne peut expliquer la militarisation de la Russie ; la Russie se militarise parce c'est la Russie. Cette explication est soit une auto-illusion intentionnée soit un énorme mensonge. Cela fait des années que Moscou prévient qu'à moins que l'OTAN ne démontre qu'elle veut un véritable partenariat, et non un tas de déclarations creuses, il n'y a pas d'autres options qu'une nouvelle course à l'armement.
Tout bien considéré, la Russie a fait le bon choix. Même avant que Washington ne montre son jeu, révélant que ses appels à la coopération avec la Russie n'étaient que du bluff, Moscou avait déjà compris que l'oncle Sam cachait quelque chose.
Aujourd'hui, le léviathan de l'armée américaine a pris de telles monstrueuses proportions qu'il est presque impossible de compter avec certitude le nombre de bases militaires que les États-Unis opèrent à l'étranger. Le journaliste Nick Turse a rapporté en 2011 qu'il y a « un nombre qu'aucun Américain ne connaît c'est le nombre de bases militaires américaines à l'étranger ».
« Aujourd'hui, selon les chiffres publiés par le Pentagone, le drapeau américain flotte dans 750 sites militaires américains dans d'autres pays et sur des territoires américains à l'étranger », a écrit Turse. « Ce chiffre n'inclus pas les petits sites militaires de moins de 5 hectares ou ceux que l'armée militaire évalue à moins de 10 millions de dollars ».Evidemment, le Pentagone - qui finance près de 75% des dépenses de l'OTAN avec l'argent des contribuables américains - est devenu si grand et complexe qu'il a perdu la trace de 2,3 billions de dollars, a déclaré l'ancien Secrétaire américain de la Défense Donald Rumsfeld à des journalistes le 10 septembre 2001.
Non seulement l'OTAN devient une menace pour des centaines d'États souverains à travers le monde avec ses ambitions extrêmement impérialistes, mais, le même machiavélisme ayant fini par anéantir l'Empire romain, elle a réussi à devenir une menace pour lui-même.Aujourd'hui, la Russie ne prend aucun risque avec l'imprévisible hégémon mondial, dont la liste des nations qu'il a envahi s'allonge chaque année. Évidemment, l'armée russe s'est engagée dans un « processus de transformation » au même moment où l'OTAN martèle à sa porte. Cependant, au lieu d'ouvrir grand ses portes au poids lourd occidental, la Russie parie sur une stratégie sur le long terme, investissant dans une défense nationale forte.
Et c'est un « acte d'agression » que l'OTAN ne peut tout simplement pas tolérer.
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